Syrie : entre fragmentation et résilience

N°99 – Hiver 2016-2017

Après 5 ans d’un conflit qui avait commencé comme un soulèvement pacifique avant d’entraîner le pays dans la spirale d’une violence incontrôlée, la Syrie, son peuple, sa société, apparaissent aujourd’hui dans un état de fragmentation et de délitement extrêmes. En effet, plus de la moitié des Syriens ont été chassés de leurs maisons par la répression et les bombardements du régime de Bachar al-Assad, et plus récemment, par la violence des groupes jihadistes et les frappes russes et occidentales. Ils sont probablement au moins 6 millions à avoir quitté le pays pour se réfugier principalement dans les pays voisins, tandis qu’un certain nombre a réussi à rejoindre l’Europe après un périple autant dangereux qu’épuisant.

Le parti-pris de ce numéro de Confluences Méditerranée est de refuser les discours médiatiques qui tendent à réduire le « conflit syrien » à deux parties, ou au mieux trois : le régime, certes brutal mais « protecteur des minorités », l’« Etat islamique », groupe jihadiste « obscurantiste et sanguinaire », et les Kurdes, qui seraient les seuls à avoir un projet laïc non confessionnel, en oubliant les Syriens, réduits à un ensemble indifférencié de victimes de la violence d’un régime criminel d’un côté, de la barbarie jihadiste de l’autre.

En écho à une précédente livraison de Confluences Méditerranée sur « La tragédie syrienne » (n° 89, Printemps 2014) qui avait privilégié la dimension politique et les enjeux régionaux de cette crise, notre objectif est ici d’apporter un éclairage sur ce que vivent les Syriens depuis 2011, ce qu’ils font et inventent comme modes d’organisation, de communication et d’expression, en Syrie et dans les pays de l’exil, en laissant de côté un instant les enjeux géopolitiques d’un conflit qui, hélas, leur échappe largement. Notre hypothèse est que la fragile société syrienne qui avait commencé à émerger avant 2011 se développe, s’invente et se réinvente dans l’épreuve, en adoptant des formes tant originales que variées, façonnées par la nécessité et les contraintes mais aussi par une liberté retrouvée et par un engagement profond et responsable, et que ce faisant, c’est aussi l’avenir de la Syrie et des Syriens qu’elle prépare. Sans sous-estimer les risques induits par la violence, le sectarisme et l’intolérance, il nous paraît essentiel de rendre justice et visibilité aux efforts des Syriens de tous bords et à leur capacité de résilience et de résistance face à l’adversité.

Il nous a semblé enfin important, dans cet esprit, de faire appel à des voix syriennes et d’associer des témoignages et des réflexions d’acteurs, parfois à l’état brut, à des contributions plus analytiques et réflexives de jeunes chercheurs ayant une connaissance approfondi du terrain.

Ce qui ressort de ce dossier, c’est un mélange d’enthousiasme et de découragement, de dynamisme et de résignation, que nous proposons de problématiser en termes de tension entre résilience et fragmentation qui caractériserait la situation de la société syrienne après plus de cinq ans d’affrontements et de traumatismes successifs.

En mettant l’accent sur la notion de résilience, ce dossier interroge les processus d’adaptation et les arrangements institutionnels et informels qui ont lieu au niveau local face à des conditions sans cesse changeantes et de plus en plus extrêmes.

Mais combien de temps de temps les Syriens pourront-ils encore tenir face aux bombardements répétés, à l’encerclement des villes rebelles et à l’acharnement du régime, à l’impasse diplomatique et à l’indifférence internationale, et aux aides humanitaires qui ne suffisent pas ? La capitulation d’une ville comme Daraya, l’épuisement des populations d’Alep Est et l’exode de plus en plus d’activistes vers l’Europe et l’Amérique du Nord, dessinent en effet les limites de la résilience dont il est question dans ce dossier.

Dossier dirigé par:

Elisabeth Longuenesse et Laura Ruiz de Elvira

Syrie : entre fragmentation et résilience

Dossier

Elisabeth Longuenesse et Laura Ruiz de Elvira, La société syrienne, entre résilience et fragmentation
Thomas Vladimir Brønd, Sectarianism, Revolutionary Subjectivity and War in Syria – the case of the peaceful movement
Akram Kachee, Les conseils locaux syriens face à la militarisation du conflit
Salim Salamah, The Unacknowledged Syrians: Mobilization of Palestinian Refugees of Yarmouk in the Syrian Revolution
Amal Youssef, Rojava, d’un champ de cactus à un autre, deux récits
Rustum Mahmud, Les Syriens à Gaziantep : entre dynamisme et défis

Notes
Hana Jaber, Sur la situation des réfugiés syriens en Turquie

Steven Joe Dixon, Elsa Romera Moreno, Amal Sadozai et Ahmed Haj Asaad, Réfugiés syriens en Jordanie : choc démographique, résiliences et vulnérabilités
Vincent Vulin, Localisation of Humanitarian Response in the Syrian Crisis
Nicolas Appelt, Nawar Bulbul : un artiste syrien sur les sentiers de la liberté
Enrico De Angelis et Yazan Badran, Ziad Kalthoum ou le parcours du combattant : le cinéma syrien d’après mars-2011
Yassin Al-Haj Saleh, Interacting in a context of war : Communication Spaces in Idlib
L’écriture habitée : à propos de quelques caractéristiques de la nouvelle écriture syrienne

Variations
Ahmed Zaghloul Shalatah, Le salafisme à l’épreuve de la Révolution

 

Disponible en librairies et sur Cairn