Une évolution progressive pour transformer l’idée en projet
Au départ formulée comme un ballon d’essai marketing dans une campagne électorale marquée du sceau de la communication, l’initiative proposée par Nicolas Sarkozy de créer une « Union méditerranéenne » s’est peu à peu retrouvée exposée à la réalité de ses nouvelles fonctions et des attentes considérables exprimées dans cette région pour que le débat politique soit rénové. Le discours de Toulon du 7 février 2007, date à laquelle remonte la première énonciation du projet, a non seulement donné une orientation méditerranéenne aux objectifs de politique étrangère du candidat Nicolas Sarkozy, mais simultanément provoqué une multitude de réactions passionnées et controversées sur la valeur ajoutée potentielle de cette hypothétique Union méditerranéenne. Cette dynamique s’est décuplée à peine le candidat élu à la Présidence de la République, puisqu’il citera la Méditerranée parmi les grands axes diplomatiques futurs de son mandat le soir de sa victoire le 6 mai 2007.
A peine ses fonctions prises que le nouveau Président français effectuait une tournée maghrébine à plusieurs étapes durant l’été 2007, avec comme principal leitmotiv le constat martelé que « l’avenir de la France et de l’Europe se jouait en Méditerranée ». Et plus le chef de l’Etat français parlait de son projet d’Union méditerranéenne, et plus les commentaires se contrastaient entre ceux percevant le risque d’une telle initiative qui sembla faire fi des enceintes de coopération existantes dans la région et ceux se réjouissant de voir rebondir le débat politique méditerranéen grâce à la France. Ce décalage permanent, oscillant finalement entre scepticisme et curiosité, s’est ensuite épaissi à mesure que Nicolas Sarkozy peinait à clarifier les objectifs de cette Union méditerranéenne dont il tirait visiblement l’inspiration de son conseiller Henri Guaino. Et ce n’est pas le refus successif à la fin de l’été 2007 des deux anciens premiers ministres, Alain Juppé et Michel Rocard, de prendre la tête d’une mission spéciale sur le dossier, qui rassurera sur le développement serein de l’initiative.
Car force fut alors de constater qu’entre la conception idéologique et la surcommunication autour de l’Union méditerranéenne faisait écho de fortes incertitudes sur la faisabilité du projet au niveau politique, financier et juridique. En effet, plusieurs acteurs se sont plus à rappeler certains faits au nouveau locataire de l’Elysée : que l’Union européenne était impliquée en Méditerranée à travers le Partenariat euro-méditerranéen et sa politique de voisinage, que certains Etats non méditerranéens menaient une active stratégie de coopération dans la région à l’instar de l’Allemagne, que pour proposer une Union méditerranéenne, il faillait assurément dialoguer et se concerter avec les pays méditerranéens de sorte à faire mûrir une idée unilatérale en projet commun, que l’Espagne et l’Italie devaient inéluctablement être associés à cette réflexion pour ne pas en brider d’entrée la dynamique, que pour lancer une telle ambition géopolitique les moyens financiers n’étaient pas à déconsidérer tant les besoins de développement en Méditerranée étaient importants, que pour légitimer cette initiative auprès de la Turquie il convenait simultanément de ne pas annoncer l’absurdité d’une adhésion d’Ankara à l’Union européenne… Et quand bien même ces barrières seraient peu à peu levées, il était certain qu’une profondeur technique serait à trouver pour que l’Union méditerranéenne passe du concept à l’opérationnel.
Passons les pérégrinations libyennes et les stratégies commerciales autour du nucléaire civil pour observer alors un automne 2007 toujours aussi marqué par la Méditerranée, avec un moment clef situé à Tanger, lorsque Nicolas Sarkozy, le 23 octobre, consacre un discours entier à l’Union méditerranéenne, avec pour récurrence lyrique le fait que « l’avenir compte bien plus que le passé » et pour message politique que cette Union là sera « pragmatique car à géométrie variable selon les projets ». Sans oublier un premier signe annonciateur de formules futures comme le fait que « c’est par la Méditerranée (…) que l’Europe retrouvera son identité, que son projet retrouvera le sens qu’il n’aurait jamais dû perdre, qui est celui d’un projet de civilisation ».
Après Tanger, malheureusement, la dynamique recherchée par les autorités françaises afin de promouvoir l’Union méditerranéenne s’est tour à tour heurtée aux silences significatifs de la communauté euro-méditerranéenne (le projet n’est pas une seule fois cité dans la déclaration finale de la 9ème réunion euro-méditerrannéenne des Ministres des Affaires étrangères, tenue à Lisbonne le 6 novembre 2007), à l’attitude prudente de la Commission européenne et aux critiques polies de l’Allemagne, symbolisée par les propos de la Chancelière Angela Merkel après son entretien à l’Elysée avec le Président Nicolas Sakozy : « Si, à côté de l’Union européenne, les Etats riverains de la Méditerranée devaient constituer une deuxième union totalement différente, j’ai dit que cela risquait de constituer une épreuve difficile pour l’Europe ».
C’est alors que survient l’Appel de Rome du 20 décembre 2007, avec le souhait exprimé par la France, l’Italie et l’Espagne de développer une « Union pour la Méditerranée ». Mais pour entraîner dans ce sillage José Luis Zapatero et Romano Prodi, Nicolas Sarkozy a dû jouer avec la plasticité de son projet. D’abord, avec la sémantique, puisque l’on décide désormais d’adopter officiellement le terme d’Union pour la Méditerranée et d’abandonner celui moins européo-compatible d’Union méditerranéenne, précisant à ce titre que tous les pays de l’Union européenne avait vocation à travailler sur ce projet. Ensuite, en reconnaissant l’importance des enceintes de coopération existantes que sont à la fois le Partenariat euro-méditerranéen et la Politique européenne de voisinage. Enfin, en concédant que cette initiative n’entravera en rien le processus de négociation en cours avec la Croatie et surtout avec la Turquie. L’Appel de Rome donne en outre deux indications stratégiques : d’une part que la « valeur ajoutée de l’Union pour la Méditerranée devrait résider d’abord dans l’élan politique » qu’elle devrait donner à cette coopération régionale ; d’autre part que cette « Union devrait être fondée sur le principe de la coopération et non de l’intégration ». Dernier information officialisée avec cet Appel épousant les traits d’une concorde euro-méditerranéenne : la tenue pour le 14 juillet 2008 d’un Sommet de chefs d’Etat et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée et de l’Union européenne, précédé d’une réunion des pays riverains la veille.
Un débat relancé pour un rendez-vous à ne pas manquer
Si toute la communauté euro-méditerranéenne est amenée à défiler sur les Champs-élysées le 14 juillet prochain, c’est aussi parce que la France présidera l’Union européenne au second semestre 2008 et que cet espace temporel constituera assurément un moment stratégique dans le mandat du Président Nicolas Sarkozy. Il convient de reconnaître combien le projet d’Union pour la Méditerranée réveille le débat politique sur le modus operandi des coopérations en Méditerranée, provoquant même une relecture positive du bilan si souvent critique à propos du Partenariat euro-méditerranéen. Et en France comme dans d’autres pays méditerranéens, les commentaires et les analyses ont très souvent relayé le mérite de Nicolas Sarkozy à relancer la question du devenir de la Méditerranée en des termes nouveaux et parfois audacieux.
A charge désormais pour la France de préparer au mieux ce Sommet, d’enrichir et de clarifier le projet d’Union pour la Méditerranée, avec de le rendre plus consensuel, plus concret et plus opérationnel. Actuellement, des projets sont en cours d’identification puisque toute l’Union pour la Méditerranée sera d’abord et avant tout une « Union de projets », comme l’a déclaré l’Ambassadeur Alain Le Roy en charge du dossier dans une interview à l’hebdomadaire Al-Ahram dans son édition du 26 décembre 2007. Six thèmes sont cités par ce dernier comme grands domaines de coopération : environnement, développement durable, croissance économique, développement social, dialogue des cultures et sécurité. Parallèlement, un travail diplomatique rigoureux est mené par une nouvelle cellule ad hoc placée sous l’autorité de la Présidence de la République, dont la mission est sans nul doute délicate et complexe.
En toile de fonds à ce processus de promotion de l’Union pour la Méditerranée et de préparation pour le Sommet du 14 juillet, on observe toutefois que de nombreuses réserves sur le projet s’expriment. Ainsi, celle du Premier ministre slovène, Janez Jansa, qui dans son discours de présentation des priorités de son pays pour le semestre de sa présidence européenne, déclara à propos de l’Union pour la Méditerranée devant le Parlement à Strasbourg le 16 janvier dernier, « Nous ne pouvons nous permettre de créer des doublons ou des institutions rivales ». Mais la plus récente et la plus cinglante vient de France, avec Jean-Pierre Jouyet, actuel secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, qui s’est livré au Figaro le 25 janvier 2008 en ces termes à propos de l’Union pour la Méditerranée : « Nous avons tendance à faire des annonces le matin et vouloir les réaliser le soir. Il ne faudrait pas qu’on se mette à construire un projet à côté ou en dehors de l’Union européenne, ce qui constituerait un très grave point d’achoppement (…) Le grand projet de civilisation, il est européen. Si nous en voulons un autre, il faut le dire. Si, à l’occasion de notre réunion qui sera organisée sur la Méditerranée, les 13 et 14 juillet à Paris, nous donnons l’impression à nos partenaires, notamment allemands, de vouloir privilégier une union à côté d’une autre, nous aurons beaucoup de mal à conserver la crédibilité de la présidence française. Nous sommes placés devant un choix stratégique : soit nous privilégions une présidence française ambitieuse, assurant la nécessaire continuité des dossiers européens, tout en donnant les impulsions nécessaires. Soit nous considérons que l’Union méditerranéenne, en soi, est plus importante que tout le reste. Mais à ce moment-là, nos partenaires pourraient nous demander de choisir ».
Dans cette perspective, il faut espérer que le Sommet du 14 juillet 2008 ne sera pas une répétition du Sommet gâché de Barcelone du 28 novembre 2005, qui en place de célébrer les dix ans du Partenariat euro-méditerranéen et d’en dynamiser le processus, avait illustré le malaise de la coopération régionale. L’Union pour la Méditerranée, aujourd’hui projet, peut demain servir à rénover les relations euro-méditerranéennes, si le volontarisme politique se conjugue avec toute la sagesse diplomatique que cette ambition exige.
Deodato Cambarau, Consultant Méditerranée