Le Sahara Occidental, alors colonie espagnole, a été inscrit dès 1962, par le Comité chargé de l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux peuples et aux territoires coloniaux (résolution 1514 /1960), dans la liste des territoires non autonomes et a fait l’objet depuis 1965, de résolutions, émanant d’abord de l’Assemblée Générale puis du Conseil de sécurité, rappelant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
Faible enjeu stratégique ? Volonté de ne pas contrarier et déstabiliser un Etat du Maghreb qui a compté dans la grande confrontation Est-Ouest et qui compte dans l’équilibre régional ?
Faut-il pour autant oublier les Sahraouis ? Au nom de la realpolitik, faut-il compter pour rien 50 ans de résolutions des Nations Unies et de l’Union Africaine, qui disent toutes la même chose (l’autodétermination) et plaider comme nombre d’Etats occidentaux, dont la France au premier chef, pour la solution marocaine « d’intégration douce », avec l’autonomie de la « province saharienne » c’est-à-dire de l’ancien Sahara espagnol ? Celui-ci fut déjà partagé en 1958, quand l’Espagne remit au Maroc (tout juste indépendant) la partie Nord, appelée zone de Tarfaya, sans rien demander à l’époque à ceux qui la peuplaient.
Les victoires immédiates des peuples en Tunisie et en Egypte qui, en quelques semaines, ont défait leurs deux dirigeants, devenus au fil des années de véritables potentats accapareurs de tous les pouvoirs et de toutes les richesses, ont rendu leur dignité à ces anciens peuples colonisés, où la gouvernance autoritaire et liberticide semblait aller de soi.
L’histoire se poursuit au Maghreb et au Machrek, dans des contextes régionaux et internationaux qui rendent plus incertaines les transformations radicales observées en Tunisie ou en Egypte.
Ce mouvement des peuples a-t-il modifié la donne au Sahara occidental ?
L’examen de la scène marocaine invite plutôt à en douter. Depuis l’épisode de la Marche Verte, lancée en novembre 1975 par Hassan II pour récupérer le reste du Sahara espagnol, cette question est restée centrale dans la politique chérifienne. La monarchie avait confié un double objectif à la Marche : sauver, en 1975, le trône fragilisé par les mouvements sociaux et la défiance de l’armée ; renforcer l’adhésion populaire autour du monarque par le renouvellement de la ferveur nationaliste, consacrant l’intégrité territoriale du royaume, compromise par une double colonisation, française et espagnole. Cette ferveur était largement partagée par la classe politique marocaine, par conviction, crainte ou intérêt. Le non respect de la marocanité du Sahara, conduisait sous le règne d’Hassan II directement en prison. Abraham Serfaty, longtemps partisan de l’autodétermination des Sahraouis, en est un l’exemple le plus connu.
Cette cohésion nationale construite sur le refus d’une démarche démocratique, l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, au nom d’une construction historique considérée par la majorité des Marocains comme légitime, a privé l’ensemble de la société d’un débat démocratique -tout aussi légitime- et a tenu éloigné le Maroc des institutions africaines [1].
La fin de la guerre entre le Maroc et l’APLS [2] avec le cessez-le-feu signé en 1991, puis l’avènement de Mohamed VI en 1999, ont fait davantage passer au second plan la question du Sahara, laquelle reste cependant, un thème très commode pour la monarchie, en cas de difficultés.
L’actuelle réforme constitutionnelle proposée par le roi comme réponse à la nouvelle situation au Maghreb est aussi l’occasion de renouveler le refus de l’autodétermination, en inscrivant dans la nouvelle Constitution la régionalisation. Cette inscription est destinée à conférer davantage de crédibilité à la solution marocaine d’autonomie, en lieu et place de l’autodétermination. Le succès du référendum le premier juillet 2011, marquant approbation de la réforme constitutionnelle, témoigne de l’attachement de la majorité des Marocains à la royauté. Mais ces résultats dignes d’un Ben Ali (98% des voix pour le oui) ne vont-ils pas faire douter les « observateurs » des progrès démocratiques revendiqués par le Maroc ?
Des tribus nomadisant dans l’espace actuel du Sahara occidental au peuple sahraoui : quel est le chemin parcouru ?
En 1979, j’ai rencontré pour la première fois le Professeur Théodore Monod, au retour d’un premier voyage dans les campements de réfugiés sahraouis à Tindouf, dans le sud-ouest algérien. Connaissant mon intérêt pour cette région, il me demanda : « savez-vous ce que sont devenus les Reguibats ? » [3] Situation paradoxale, cet éminent spécialiste du désert ignorait comment s’était constitué le Front Polisario – Front Populaire pour la libération de la Saguia El Hamra et le Rio de Oro [4] qu’il connaissait bien pour autant et avait soutenu dès 1976. Ces tribus bédouines (Reguibats, Laroussine, Ouled Delim et quelques autres) étaient passées au second plan pour se fondre dans un même peuple et créer une nation disposant d’un Etat souverain, qui serait achevé avec le recouvrement de son territoire.
Au-delà de leur appartenance à une tribu, qui sont les habitants de cet immense espace aride, grand comme la moitié de la France et faiblement peuplé ?
L’administration coloniale espagnole, mieux installée après 1930, utilise le terme indigène, mais le terme ancien « moro » devait être davantage employé par les Espagnols pour désigner ceux qui n’étaient pas eux. A quel moment le terme sahraoui est-il apparu et a-t-il été couramment utilisé ? Il apparaît dans les textes en même temps que les premiers « récits » de la résistance moderne à l’Espagne, celui de Zemla en 1970, premier grand rassemblement contre la présence espagnole et surtout celui de la création en mai 1973 du Front Polisario. Ce Mouvement de libération, créé à côté de deux ou trois autres, s’impose à la fois par sa décision d’engager la lutte armée contre l’Espagne et par sa volonté d’unité ; le terme sahraoui, associé à la géographie du territoire, permet d’englober toutes les tribus sans avoir besoin de les nommer en tant que telles.
Maurice Barbier [5], présente ainsi en 1982 l’ensemble sahraoui : « Cette population manquait d’unité à l’époque coloniale. Cependant ces diverses tribus avaient assez de traits communs et se distinguaient des populations voisines pour que l’on puisse parler d’un ensemble sahraoui, avec une organisation sociale semblable et un territoire propre assez bien délimité. Elles parlaient la même langue, le hassanya, elles avaient leur indépendance à l’égard de l’extérieur et pouvaient fournir la base pour former une nation ».
C’est dans un tel contexte, lutte armée de libération contre une colonisation européenne que le Front Polisario et sa branche armée, l’APLS, ont affronté une nouvelle occupation, alors que l’ancienne métropole, l’Espagne « bradait » sa colonie trop longtemps maintenue [6].
Depuis l’occupation de leur territoire par le Maroc et la Mauritanie et depuis l’exil d’une partie de leur population en Algérie, le Front Polisario et l’APLS ont maintenu, grâce à une action militaire et politique, la question du Sahara Occidental à l’agenda de l’ONU, comme dernier territoire africain sous domination coloniale.
Chaque année, le Conseil de sécurité vote une résolution, qui réaffirme le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental.
Résolution 19-79/27/04/11 : « Réaffirmant sa volonté d’aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental dans le cadre d’arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations unies ».
Les Nations unies font également référence à l’Avis Juridique de la Cour Internationale de justice rendu le 10 octobre 1975, qui reconnaît le droit à l’autodétermination [7].
Après avoir mené une guerre longue (1976-1991) contre la Mauritanie et le Maroc pour libérer son territoire, le Front Polisario, avec l’accord de sa population, accepta de discuter d’un processus de paix, devant mener à la tenue du référendum d’autodétermination, mis en œuvre, sous l’égide des Nations unies, par une mission de paix, la MINURSO [8].
Le plan de paix onusien, accepté par les deux parties en 1988, n’a pas repris tous les termes de la résolution AHG 104, adoptée en 1984 par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). A la demande du Maroc, l’étape des négociations directes entre Maroc et Front Polisario a été supprimée. Les Nations unies se privaient ainsi de toute forme d’efficacité en n’imposant pas aux deux parties de trouver un accord avant de conclure un cessez-le-feu. Le Front Polisario en accepta le risque, convaincu du sérieux de l’engagement de la Communauté internationale.
Engagement devenu impuissance. Cette impuissance, par un retournement cynique de l’histoire, n’est-elle pas attribuée aujourd’hui au Front Polisario par une partie de la Communauté internationale qui s’impatiente d’un conflit long et coûteux et qui voudrait bien oublier un droit international encombrant ?
C’est aussi le cas de nombreux Sahraouis rencontrés dans les campements [9] ou à l’occasion de séjours en France (en particulier les nombreux jeunes adultes qui accompagnent chaque été les groupes d’enfants sahraouis en vacances en Europe). Ils sont nombreux à s’impatienter d’un conflit bloqué. L’impuissance de l’ONU et de sa Mission de paix, est dénoncée régulièrement, associée à l’intransigeance marocaine forte de ses appuis occidentaux (la France en premier lieu). Cette impuissance est reliée à l’accord de cessez-le-feu signé par les dirigeants du Front Polisario, toujours aux commandes, qui peuvent ainsi en porter la responsabilité.
Les jeunes, qui n’ont pas connu la guerre, sont enclins à idéaliser la période des batailles victorieuses de l’APLS [10]. Ils ne se satisfont plus de la vie dans les camps, parce qu’ils ont connu en Espagne ou en Europe d’autres vies possibles. IIs plaident pour un retour à la guerre, pour un changement de politique, voire de dirigeants, ou ils essaient tout simplement, comme bien d’autres Maghrébins, de trouver loin des camps des solutions individuelles, en Espagne le plus souvent.
Le problème de l’expression collective d’un mécontentement qui pourrait s’exprimer là comme ailleurs, il a lieu à huis clos à chaque congrès du Front Polisario [11], est son exploitation immédiate et sa caricature par la propagande marocaine.
Ainsi depuis quelques mois, des jeunes, en faible nombre, se rassemblent devant les sièges des institutions de la RASD pour exprimer leurs revendications. Leur situation est rendue difficile, davantage du fait de l’utilisation propagandiste qu’en font les médias marocains proches du pouvoir [12], que par les réactions des responsables des institutions mises en cause.
L’abandon du référendum en 2004, annoncé solennellement par Mohamed VI en reniant les engagements internationaux de son pays, n’a pas troublé la Communauté internationale qui n’a rien fait, tout en maintenant la question à l’agenda de l’ONU. Seule l’Afrique du Sud a réagi en reconnaissant la RASD [13] et en soutenant fermement aux côtés de l’Algérie, le Front Polisario et la RASD.
Des négociations « informelles » ont repris depuis trois ans. Manière d’occuper le terrain ou de remettre en route un processus bloqué ? Ces négociations permettent au Maroc de présenter le plan d’autonomie, mais pas de négocier. Le Front Polisario défend son droit inaliénable à l’autodétermination, tout en ayant accepté, dès la première session, que le référendum inclut dans les questions posées aux votants, l’autonomie qui n’avait pas été retenue dans le plan initial [14].
Depuis une dizaine d’années, la nouvelle donne tient à l’entrée en scène des Sahraouis résidant au Sahara Occidental. Ils se sont une nouvelle fois vigoureusement exprimé à El Aïoun en octobre 2010. Ce mouvement populaire qui a précédé de quelques semaines la révolte tunisienne, a été peu remarqué, sauf par quelques observateurs attentifs comme Noam Chomsky, intellectuel américain, l’un des seuls à reconnaître ce mouvement comme précurseur des mouvements populaires au Maghreb et au Machrek.
L’histoire des Sahraouis au Sahara occidental, occupé depuis 1976, par le Maroc essentiellement, puisque la Mauritanie s’en est retirée en 1979 aux termes d’un traité de paix signé avec le Front Polisario, est celle d’une longue patience.
Les Sahraouis ont subi les années de plomb du règne d’Hassan II, avec la disparition forcée de près de mille personnes, ce qui reste aujourd’hui une tragédie pour la plupart des familles.
Les disparus libérés en 1991 ou les familles de ceux jamais retrouvés -morts ou vifs- ont pour certains bénéficié de compensations financières, mais la justice transitionnelle marocaine s’est arrêtée là. Interdiction de nommer les tortionnaires et de les juger ; interdiction de dire publiquement pourquoi on avait disparu. Cette double peine est largement ignorée et sous-estimée. Le nombre de 956 disparus peut sembler un effectif modeste, mais il faut le rapporter à une population peu nombreuse en 1976 (à peine 200 000 personnes).
L’avènement de Mohamed VI ouvrit quelques brèches avec l’émergence de plusieurs associations et un début de coordination entre les plus résolus. Mais la royauté n’abaissant jamais la garde, maintint sur place assez d’armée et de police pour entretenir la loyauté des populations et réprimer quand les manifestations prenaient de l’ampleur, comme en 1999 et en mai 2005.
La résistance, difficile, est mal connue car peu nombreuse à l’échelle de la population d’origine sahraouie résidant au Sahara Occidental, mais elle continue, manifestant ainsi un attachement à l’identité sahraouie, chargée de la promesse d’une indépendance, et passant dans son expression de la sphère privée à la sphère publique. La résistance est aussi difficile car la présence marocaine, peut présenter bien des avantages pour ceux qui en acceptent le principe : aides et subventions publiques, perspectives d’emploi, bénéfice de la carte de la promotion nationale, ont de fait permis à l’administration marocaine de trouver des alliés.
Pour tous ceux qui y participent, la résistance a un prix : arrestations et traitements cruels, prison, maisons saccagées, pertes possibles d’emploi, risques d’interruption des études, à la mesure de ce qui s’est passé à El Aïoun en octobre 2010.
Une protestation pacifique s’était développée, des tentes par milliers avaient été installées à l’écart de la ville, à environ 12 km, les jeunes d’abord, puis des familles entières s’y installant en un exil volontaire. Refus de la ville dominante qui aliène, refus de la ville où l’on est marginalisé, expression de difficultés sociales, ou patience arrivée à sa fin et volonté d’exprimer sa dignité ? Le départ de la ville, pour le désert avec sa tente, n’est-il pas déjà l’affirmation symbolique d’une identité nomade et d’une volonté de retourner à ses sources ? Les tentes sont utilisées par d’autres protestataires, à l’occasion de mouvements sociaux différents, devenant comme sur la Place Tahrir, l’emblème des indignés.
Ce camp installé sur le site de Gdeim Izik, a rassemblé assez vite plus de 20 000 personnes. Effectif considérable au regard de la population d’El Aïoun, sans doute près de 40 % des habitants d’origine sahraouie.
Ce départ volontaire vers le désert, réussi en octobre à El Aïoun, n’était pas la première tentative. En juillet 2010, plusieurs sorties avec des tentes (dont chaque famille dispose) furent essayées à Smara et Boujdour, mais vite repérées et empêchées par la police, d’après des témoignages de militants, transmis par internet.
En septembre 2010, les jeunes organisèrent un sit-in de 23 jours au centre d’El Aïoun, l’idée continuant son chemin. La sortie des tentes à partir d’El Aïoun fut sans doute mieux et plus discrètement organisée car la ville est étendue et offre de nombreuses sorties possibles. L’opération réussit en octobre et prit vite de l’ampleur, dépassant toutes les prévisions.
D’autres installations furent tentées, de nouveau à Boujdour, Smara et même dans le Sud du Maroc, où se trouvent des populations d’origine sahraouie, mais elles furent aussitôt rasées.
Seul celui de Gdeim Izik sembla être toléré par les forces de sécurité marocaines pour son ampleur prise rapidement et l’incompréhension par les autorités locales de ce qui était en train de se passer. La réponse fut celle de l’ordre public. Une seule route est laissée ouverte entre Gdeim Izik et El Aïoun, le camp est entouré de murs de sable et de barbelés, les premiers documents transmis par internet permettent de repérer des véhicules militaires et de police stationnant autour de ce camp.
Les informations concernant son organisation, les objectifs de tous ceux qui prirent le risque d’y participer seront connus plus tard, après son démantèlement. Plusieurs associations des droits de l’homme iront sur place pour enquêter.
Deux associations internationales, Amnesty et Human Rigth Watch, plusieurs associations marocaines pilotées par l’Association Marocaine des droits de l’homme (AMDH) et deux associations sahraouies d’El Aïoun [15]. Toutes indiquent la bonne organisation du camp qui, à mesure de son développement, s’est doté des moyens pour fonctionner, organiser l’arrivée régulière de nourriture et d’eau et entrer en contact avec les autorités à travers l’élection d’un « Comité de dialogue » composé de 9 personnes. Des notables sahraouis, proches des autorités, essayèrent de s’entremettre, mais les membres du comité de dialogue n’acceptèrent comme interlocuteurs que des représentants de l’Etat marocain, les autorités locales étant peu dignes de confiance ou sans pouvoir.
Plusieurs témoignages rapportent les propos de « enfin on se sent libres, on se sent chez soi », et le souhait que les autorités proposent des solutions pour les questions de logement et de travail. Les prises de position plus politiques en faveur de l’autodétermination et de l’indépendance viendront plus tard, quand le démantèlement brutal du camp le 8 novembre 2010, dispensera de toute prudence et favorisera l’expression de positions jusqu’alors tues ou exprimées avec retenue.
Pourquoi reprendre de façon aussi précise cet épisode de quelques semaines, alors que la lutte des Sahraouis pour leur indépendance dure depuis 38 ans ? Cet épisode mal connu a été sous-estimé, les journaux [16] ayant surtout couvert l’événement au moment du démantèlement du camp en insistant davantage, suivant leur parti pris, sur la répression marocaine ou la violence [17] des civils Sahraouis qui, pour la première fois, ont provoqué la mort de trois personnes parmi les forces de sécurité marocaines.
Les autorités marocaines ont, quant à elles, hésité sur la conduite à tenir. Une fois le camp installé, avec un succès populaire mal anticipé, plusieurs responsables nationaux et le Ministre de l’Intérieur se sont déplacés pour apprécier en direct la situation et veiller à circonscrire le mouvement à des revendications sociales, reconnues comme légitimes. Des promesses ont été faites, autant pour diviser que pour satisfaire les premières demandes. Mais les partisans de la méthode forte ont repris la main. Face à la sympathie que le mouvement commençait à susciter en Espagne et en Amérique hispanophone, il s’agissait de réagir vite pour rétablir l’image d’un Sahara tout entier dévoué au Maroc. L’association sahraouie ASVDH [18] indique dans son rapport que personne n’a compris la volte-face des autorités qui, le 7 novembre encore, négociaient avec le Comité de dialogue avant d’envoyer le jour suivant des canons à eau, des gaz lacrymogènes tandis que des intrusions brutales de militaires en voitures 4X4, détruisaient le camp. En fait, alors que se poursuivaient les discussions, l’option répressive était prête puisque, dès le 7 novembre, un premier militant, l’un des principaux porte-parole, Naama Asfari était arrêté. Ce même jour, le député français de Seine-Maritime, Jean-Paul Lecoq, était empêché de se rendre à El Aïoun et expulsé du Maroc.
D’autres arrestations ont suivi, au total 170 personnes que les familles n’ont pu rencontrer que 6 jours plus tard, temps minimum sans doute pour rendre présentables des hommes et six femmes durement traités au moment de leur arrestation. La grande majorité d’entre eux ont été incarcérés à la prison d’El Aïoun, puis remis peu à peu en liberté provisoire. Participants ou non au camp de Gdeim Izik, ils ont été arrêtés pour l’exemple avec des dossiers vides. Au moins quatre personnes ont perdu la vie, dont un jeune adolescent, Nayem El Gahri, victime d’une réaction policière « mal contrôlée » le 24 octobre 2010. 20 puis 24 personnes ont été emprisonnées à Salé et présentées à un juge d’instruction militaire pour être jugées par un tribunal militaire [19]. Considérés comme les meneurs, plusieurs d’entre eux faisaient partie du Comité de dialogue ou étaient responsables associatifs, ils ont été soumis à un régime très rude, un peu adouci après une grève de la faim de 13 jours et attendent un procès. Mais aura-t-il jamais lieu ?
Le camp de Gdeim Izik, même démantelé, est une référence de premier plan pour l’ensemble des communautés sahraouies en Algérie, en Espagne ou en Europe. Par son ampleur et sa durée (20 000 personnes pendant un mois) il a concerné les familles sahraouies bien au-delà des habituels militants et a réveillé bien des consciences, un peu endormies ou sans perspectives depuis la fin de la guerre et l’incapacité de l’ONU à mettre en œuvre le plan de paix.
Le Front Polisario et le gouvernement de la RASD, installés depuis 1976 dans le Sud-Ouest algérien sont très attentifs à ce qui se passe du côté du Sahara Occidental occupé. Depuis le début du conflit, ils sont pris dans une redoutable contradiction. Comment mobiliser les populations sahraouies y résidant , comment entretenir les contacts, sans risquer de compromettre leur sécurité ? Les disparitions forcées des années Hassan II sont toujours dans les mémoires.
Interviennent aussi l’exigence d’équité et le vieux sens de l’honneur qui interdisent de risquer la vie des civils alors que c’est aux militaires de combattre. Mais le succès populaire de Gdeim Izik, les mouvements de prisonniers, l’existence d’associations défendant les droits de l’homme ont donné beaucoup plus de place aux Sahraouis du Sahara dans la confrontation avec le Maroc et créé les conditions pour que le Front Polisario et le gouvernement de la RASD en tiennent d’avantage compte.
Le mouvement populaire pacifique dans le Sahara sous contrôle marocain a fait émerger un plaidoyer en faveur du respect des droits de l’homme et a pris toute sa place aux côtés de l’action politique et diplomatique, menée depuis 35 ans auprès des instances internationales par le Front Polisario et les diplomates de la RASD. Il a favorisé ainsi le renouvellement du message politique adressé à la Mission de paix au Sahara occidental, la MINURSO. Installée au Sahara Occidental en avril 1991, au moment de la signature du cessez-le-feu, la Mission des Nations Unies pour la tenue d’un référendum au Sahara Occidental, a été impuissante à le mettre en œuvre jusqu’à aujourd’hui. Aussi le Front Polisario et les diplomates de la RASD plaident pour un élargissement de son mandat au contrôle du respect des droits de l’homme, un moyen de protéger les Sahraouis résidant au Sahara Occidental et de permettre l’expression d’opinions moins soumises au point de vue officiel marocain. Ne serait-ce pas l’occasion pour les Nations Unies, de préparer un terrain propice à une expression démocratique, muselée depuis 35 ans ? Le Maroc refuse cet élargissement et trouve depuis trois années au Conseil de Sécurité des appuis parmi les membres permanents, en particulier la France et les Etats-Unis, alors que les membres non permanents africains, comme l’Afrique du Sud ou le Nigeria, en défendent le principe. Lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité consacrée au renouvellement du mandat de la MINURSO en avril 2011, traditionnellement obtenu par consensus, l’appui reçu par le Maroc a conduit l’ONG Human Rights Watch à dénoncer les ambiguïtés de la diplomatie française. Cette ONG trouve en effet que la diplomatie française, en menant campagne contre l’élargissement du mandat de la mission onusienne, contrevient à ses nouveaux engagements, à savoir soutenir les aspirations à la démocratie dans les sociétés arabes. Avec le Maroc c’est « business as usual », dénonce Philippe Bolopion, chargé des questions de l’ONU à HRW.
Depuis le début du conflit, les relations France-Maroc sont déterminantes. Le croisement des multiples intérêts économiques, financiers, la présence de part et d’autre de la Méditerranée d’importantes communautés, française au Maroc et marocaine en France, fabriquent une solidarité et une connivence politique, bien difficiles à fissurer. La diplomatie française craint un Maroc instable dans un contexte régional très mobile, et force le trait de l’admiration et de la complaisance quand elle salue les progrès démocratiques au Maroc.
Ce très vieux conflit de décolonisation, un temps déconnecté des préoccupations et des intérêts de la Communauté internationale, n’est-il pas en passe de revenir dans l’actualité d’un Maghreb où les peuples s’imposent et entendent construire une société démocratique ?
Le trop long affrontement de deux nationalismes, celui du Front Polisario, reconnu comme unique représentant du peuple sahraoui construisant sa légitimité sur une lutte armée de libération et la poursuivant dans l’édification d’un Etat en exil, celui du Maroc au nom d’une histoire, ne peut-il trouver un épilogue dans l’émergence de la démocratie et le respect de la volonté des peuples ?
[1] La RASD est admise à l’OUA en février 1982 et y siège à part entière le 12 novembre 1984 ; à cette date, le Maroc décide de quitter l’organisation africaine.
[2] APLS : Armée populaire de libération sahraouie, créée en 1973 au moment de la création du Front Polisario et de la décision de la lutte armée contre l’Espagne.
[3] Reguibats ou Rgaybats est le plus grand ensemble tribal qui étendait son territoire de nomadisation sur l’actuel Sahara Occidental et une partie de la Mauritanie.
[4] Le Rio de Oro et la Saguia El Hamra désignent les deux principales régions du Sahara Occidental.
[5] Maurice Barbier, professeur de droit à Nancy fut un des premiers à s’intéresser en France à la question du SO.
[6] Accords tripartites de Madrid signés le 14 novembre 1975 entre Espagne, Maroc et Mauritanie. Par cet accord l’Espagne transfère ses responsabilités de puissance administrante à une administration temporaire composée du Maroc, de la Mauritanie et de la Djemaa, une assemblée de notables sahraouis, dévouée à l’Espagne.
[7] La Cour Internationale de Justice affirmait dans son avis juridique : « Il n’existe pas de lien juridique entre le Sahara occidental et ses voisins de nature à modifier l’application de la résolution 15-14 et en particulier le principe d’autodétermination, grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire »
[8] MINURSO : Mission des Nations Unies pour un Référendum au Sahara Occidental.
[9] Campements : ce terme désigne l’ensemble des camps installés sur la hamada de Tindouf, en Algérie, où les Sahraouis ont trouvé refuge à partir de la fin de l’année 1975 quand les opérations militaires marocaines ont menacé les populations en fuite dans le désert (bombardements au napalm), et c’est sur la hamada que résident depuis 36 ans les réfugiés sahraouis et les institutions de la RASD. Ce territoire de refuge est prêté depuis 1975 par l’Algérie, il représente environ la surface d’un de nos départements.
[10] Les batailles victorieuses de l’APLS correspondent aux années 1978-1982, moment où l’APLS reprend l’initiative sur le terrain militaire, après l’accord de paix avec la Mauritanie et avant la construction d’un mur de défense par l’armée marocaine Ce mur de 2500 km isole la partie du Sahara Occidental contrôlée par le Polisario.
[11] Témoignage du journaliste Ridha Kéfi, dans le Jeune Afrique n°2233, novembre 2003 qui assista au 11éme Congrès du Front Polisario « Les interventions auxquelles j’ai assisté dénotent une certaine liberté de ton, un vote à main levée donne un résultat très serré ».
[12] Référence au site marocain « Plan d’autonomie » qui titre le 1/11/11 : « Tindouf, otages : climat de terreur contre les dissidents du Polisario ».
[13] Reconnaissance de la RASD par l’Afrique du Sud en juin 2004.
[14] Dans le plan de paix initial, deux questions étaient prévues à poser aux votants : intégration ou indépendance.
[15] Associations sahraouies de défense des droits de l’homme : ASVDH Association sahraouie pour les victimes des graves atteintes aux droits de l’homme ; CODESA : Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme
[16] Témoignage de Anthony Jean, pétitionnaire devant la quatrième commission de l’AG des Nations unies : « Nous sommes entrés pour la première fois (Lise et moi) dans le camp de Gdeim Izik le 23 octobre, aucun média n’est présent, depuis ce jour, nous nous efforçons de diffuser de l’info aux médias (RFI) avec nos images et des interviews. Mais nous avons surtout des retours des militants et un peu de la presse espagnole ». Plus tard, quand le camp est détruit, la plupart des quotidiens français couvriront l’évènement.
[17] Référence à un article de la revue Tel Quel du 28/11/10 où Karim Boukhari dans son bloc notes s’étonne du traitement peu objectif de l’information relative au démantèlement du camp de Gdeim Izik où la violence est du côté sahraoui et pas marocain.
[18] ASVDH Association sahraouie pour les victimes des graves atteintes aux droits de l’homme.
[19] Des informations récentes reçues de la prison de Salé renseignent davantage sur les chefs d’accusation des prisonniers sahraouis arrêtés après Gdeim Izik : suivant les articles 392 et 2631 (homicide volontaire, outrage et violences à fonctionnaires publics)
Régime Villemont