Là, les Iraniens avertis estiment que ce taux officiel est exagéré compte tenu de la faiblesse de l’affluence constatée dans les bureaux de vote. Toutefois, ces mêmes observateurs estiment que le taux réel pourrait avoir avoisiné les 50% ce qui n’est pas négligeable. Beaucoup d’iraniens auraient donc voté et l’auraient fait dans des conditions de relative honnêteté et liberté. Le deuxième tour qui vient d’avoir lieu a pourvu les sièges encore manquants a confirmé la tendance constatée au premier tour en l’accentuant peut-être puisque certains « indépendants » notoirement libéraux sur le plan politique ont recueilli un nombre appréciable de suffrages.
Dès lors, les partisans déclarés du Président de la République se seraient trouvés en nette minorité par rapport à ceux du Guide suprême. La rivalité qui semblait de plus en plus nette entre les deux pôles du pouvoir aurait donc abouti à un succès marqué et jusqu’à présent peu contesté de l’Ayatollah Ali Khameneï. Le revers subi par M. Ahmadi-Nejad semblerait traduire son renoncement forcé à la fraude électorale, notamment par l’achat de voix et le bourrage d’urnes.
Ses moyens d’action ne seraient donc plus les mêmes que naguère et il aurait été réduit à respecter l’arbitrage des électeurs. Cette modestie toute nouvelle dans son ambition de militariser l’Etat Iranien serait due à l’appauvrissement de ses moyens d’action. Certes, il a réussi à placer à certains postes clés des hommes que l’on croyait à sa dévotion et issus pour la plupart du corps des Pasdaran.
Or, il semble que cette tentative de contrôle des rouages de l’Etat par le Président n’ait pas réussi. L’usage qu’il est réputé faire de la manne pétrolière pour se rallier des partisans aurait montré ses limites. Bien plus, le corps des gardiens de la révolution semble loin d’être politiquement homogène malgré les efforts du Président pour le rallier à sa personne. Bien au contraire, beaucoup d’iraniens affirment que cette armée militante serait bien moins unie que la formation psychologique et politique de ses membres le laisserait prévoir. Il y aurait donc une partie importante des Pasdaran qui se voudraient au service du « guide » sans parler du nombre de ceux d’entre eux qui affirment leur fidélité à la pensée du seul Imam Khomeïny et persistent à se dire ses disciples tout en se gardant de toute inféodation à un quelconque pôle du pouvoir actuel.
Cette situation se comprend d’autant mieux que la politique économique et sociale de l’équipe présidentielle s’est révélée l’exact contraire d’un succès. En faisant abstraction de l’effet des sanctions internationales, on peut dire que le Président n’a pu contenir l’inflation ni assurer un minimum vital aux plus démunis. Le chômage s’est aggravé dans des proportions jusqu’alors inusitées.
En de telles conditions, la capacité de manœuvre du guide suprême actuel semble renforcée et la position du Président précarisée.
Elle le serait d’autant plus qu’au sein de l’assemblée plusieurs députés de la nouvelle majorité seraient prêts à interroger le Président sur certaines opacités et irrégularités dans la gestion des ressources de l’Etat et à le poursuivre par devant le pouvoir judiciaire.
Par ailleurs, il semble évident qu’une bonne partie des ressources indirectement produites par la rente pétrolière notamment les taxes sur les grandes transactions commerciales sont toujours aux mains du guide suprême qui en userait pour renforcer son influence.
Il ne faut pas croire, pour autant, que M. Ahmadi-Nejad est à présent « aux abois ». Il dispose en effet d’importants atouts. Les officiers des Pasdaran qu’il a placés à des postes sensibles et rémunérateurs se sont constitués des réseaux de clientèle et s’appuieraient sur eux pour se maintenir en fonction. Certaines, parmi ces personnalités proches du Président semblent jouer un rôle efficace pour rallier à lui divers secteurs de l’opinion publique. Tel est le cas de M. Karim Machaï connu pour ses largesses au profit d’intellectuels et d’artistes divers ayant quelque sympathie pour la présidence, connu aussi pour ses indulgences en matière de comportement vestimentaire et autres marques d’attachement à la rigueur islamique. Il en est de même de M. Zarghami, directeur de la télévision, longtemps très proche du Président, même si il semble à présent prendre quelques distances vis-à-vis de lui. Enfin, il est notoire que M. Ahmadi-Nejad et ses proches disposent de tout un ensemble de « dossiers » contenant des preuves de l’implication d’une majorité de hautes personnalités du régime dans des opérations répréhensibles de caractère, notamment, financier. Il serait donc capable d’embarrasser de nombreux hommes de pouvoir, s’il venait à être lui-même mis en cause.
Plus généralement son clan représente, pour beaucoup, un certain espoir de changement dans l’origine du personnel politique par l’éviction progressive des « clercs » au profit de « laïcs » fussent ils de conviction islamiste et fidèles à la pensée de l’Imam Khomeïny. Certains estiment en effet, que ce renouvellement du personnel politique est le préalable d’un changement de régime et de l’abandon du dogme jugé paralysant de la « Velayat-é-Faqih » ou suprématie du jurisconsulte religieux.
M. Ahmadi-Nejad dispose enfin de l’appui d’un nombre important de Pasdaran même si la tentation de faire d’eux les acteurs d’une militarisation du régime semble vaine compte tenu de la diversité de leurs sensibilités politiques.
L’Iran est donc engagé dans un changement progressif ressemblant plus à un lent revirement qu’à une modification radicale des rapports de force à l’intérieur de son régime.
L’un des signes les plus visibles de ce revirement pourrait avoir été, il y a quelque quinze jours, la réconciliation ostensible entre le guide suprême et le président Rafsanjani dont les prises de position et surtout celles de ses enfants en faveur du mouvement « vert » lui avaient valu l’hostilité de l’exécutif iranien actuel. Or, il a été confirmé par le Guide dans sa fonction de président du « Comité de discernement des intérêts de l’Etat », organe ayant le pouvoir de contester des initiatives législatives et même de simples décisions gouvernementales. Certes, M. Rafsanjani a échangé des sourires avec l’actuel Président, ils se sont même serré la main mais nul ne doute à Téhéran qu’un habile politicien, peu encombré de scrupules mais très soucieux de rester en position de force comme M. Rafsanjani ne finisse par affirmer sa prépondérance au sein de l’équipe dirigeante. Déjà, il a dressé, tout récemment, es qualité, un tableau très sombre de la société et de l’économie iraniennes ; jamais le pays, n’avait encore connu une telle détresse ; les prix ne cessaient de monter et les emplois de se raréfier. On ne sait s’il mettait en cause l’effet des sanctions mais les termes qu’il a employés semblent bel et bien dénoncer les carences du gouvernement.
Fait grave, le procureur Mortezavi qui, après les protestations populaires de 2008 et 2009 s’était signalé par son aval aux brutalités répressives (tortures, exécutions sommaires), a été mis en cause il y a quelques jours pour abus de pouvoir et arrêté. Il a été libéré depuis lors et a pu réintégrer son poste mais il est évident que la majorité parlementaire et même le ministre de la justice, un proche du Guide attendent le moment le plus opportun pour ouvrir le procès de ce partisan notoire de la « manière forte » dans la protection de M. Ahmadi-Nejad face à l’hostilité populaire.
Il se confirme donc que l’Iran s’ébranle lentement mais d’autant plus surement peut être vers une réorientation de sa politique. On parle déjà de ceux qui pourraient remplacer, lors du prochain scrutin présidentiel et peut être même avant , M. Ahmadi-Nejad. Ainsi sont cités les noms des deux frères Laridjani, de M. Haddad Adel et du Dr Velayati, ancien Ministre des affaires étrangères ayant su se maintenir à l’écart des violences et des compromissions. Les optimistes n’excluent même pas un retour du Président Khatami sur le devant de la scène iranienne. Il faut savoir que le mouvement politique en cours semble lié à la santé chancelante du « Guide » dont certains disent qu’il est atteint d’une tumeur non opérable.
Si les évolutions actuellement constatées se confirmaient, on peut se demander quelles seraient leurs incidences sur la politique extérieure de l’Iran.
De fait, on ne peut séparer les actions et les postures de l’Iran sur la scène internationale des forces qui animent son opinion publique.
Depuis la révolution « constitutionnelle » de 1906, l’Iran est animé comme beaucoup d’autres pays de la région mais, de façon plus spectaculaire, par deux vagues contestataires et revendicatives qui parfois se conjuguent, parfois s’opposent.
L’une conduit à l’exigence de libertés fondamentales pour les citoyens, au rejet de tout arbitraire et à la volonté d’élaborer en commun un destin collectif. L’autre vise à s’opposer avant tout aux forces mondiales jugées néfastes pour la justice et l’égalité.
En 1906, les deux forces s’étaient conjuguées puisqu’il s’agissait à la fois de dénoncer les monopoles accordés par le Shah à des entreprises étrangères et aussi de réformer le système politique pour que les sujets devenus citoyens y pussent y jouer pleinement leur rôle.
En 1979, les mêmes forces s’étaient conjuguées pour ensuite se séparer, puis s’affronter dans un combat inégal donnant à la seconde le pas sur la première. Ainsi vit-on au nom d’une rhétorique antiaméricaine et prompte à dénoncer les « satanismes mondiaux », l’islamisme triompher du libéralisme démocrate, non sans brutalité spectaculaire comme l’assassinat du Shahpour Bakhtiar et du communisme du parti Toudeh.
Cette obstination de l’Iran dans sa posture anti-impérialiste lui valut une indéniable influence régionale, notamment auprès des mouvements très militants comme le Hezbollah et le Hamas. Plus encore, les provocations et les défis lancées par l’Iran à l’occident à propos du dossier nucléaire valurent à ce pays un regain de respect dans les masses musulmanes, surtout arabes.
Or, en 2009, on vit renaître en force, l’exigence de libertés et de transparence ; le prétexte commode pour s’y opposer était la nécessaire confrontation avec l’occident.
A présent, l’Iran parait mis en demeure de concilier les deux tendances. Il lui faut donner quelques gages à son propre « printemps » sans trop céder sur sa posture anti-impérialiste. L’heure des difficiles compromis semble venue notamment à propos de la Syrie.
Pour l’instant, il est difficile de savoir jusqu’ou l’Iran peut aller dans la voix de la souplesse sans paraître se déjuger sur des dossiers aussi sensibles que celui du nucléaire, celui de la Syrie où M. Bachar Al Assad reste soutenu énergiquement par les Pasdaran, celui du moyen orient ou comme le disait M. Khatami l’Iran ne pourra jamais adopter la moindre posture que les Palestiniens eux même n’aurait pas faite leur.
Apparemment, de nouvelles orientations se dessinent qui peuvent surprendre. Ainsi la conférence d’Istanbul du « 5+1 » sur la question nucléaire d’Iran, aurait ouvert des perspectives assez encourageantes pour décider les participants à se rencontrer à nouveau, cette fois à Bagdad.
Etrangement, le gouvernement israélien affirme à présent n’avoir aucune preuve de l’intention de l’Iran de se doter d’un armement nucléaire. M. Ehud Barak lui-même aurait rédigé un long rapport allant dans ce sens tout en montrant la vanité d’éventuels raids de l’aviation israélienne contre l’Iran. Il n’est donc plus question de menacer ce pays d’une intervention militaire à brève échéance. La guerre que certains annonçaient pour demain semble reléguée dans la sphère des hantises et des fantasmes. Toutefois, l’Arabie Séoudite très inquiète, semble t’il à la perspective de voir l’Iran prendre rang parmi les puissances respectables fait preuve d’une agressivité toute nouvelle à son égard (accusations de vouloir contrôler la navigation dans le Golfe, de menées subversives à Bahreïn, réouverture du dossier des îles de Tomb et d’Abou Moussa).
Où peut mener cette civilité toute nouvelle dans les rapports entre l’Iran et « le monde » (nom donné par les iraniens à l’ensemble des pays développés) ? A une détente peut être mais sans doute pas à des relations durablement normales.
IReMMO, Insitiut de Recherche et d’Études Méditerranée et Moyen Orient