La laborieuse reconduction des cessez-le-feu souligne l’extrême difficulté que les Israéliens et les Palestiniens rencontrent pour conclure un accord sur le fond. Il ne peut en être autrement quand on connaît les revendications des deux parties : démilitarisation de la bande de Gaza pour les Israéliens et levée du blocus pour les Palestiniens. Critiqué au sein même de son gouvernement par certains de ses ministres, comme Avigdor Liberman et Naftali Bennett, Benyamin Nétanyahou veut, face à son opinion publique, obtenir un gain substantiel durable. Et non pas seulement une trêve, précaire comme les précédentes en 2006, 2008 et 2012 et laissant au Hamas le temps de se réarmer, par notamment l’acquisition de missiles de plus en plus performants… De son côté, le Hamas, comme vient encore de le réaffirmer Ismaïl Haniyeh, ne veut pas que la population civile de Gaza ait souffert en vain ; il faut donc que le blocus qui pèse si lourdement sur elle depuis plus de sept ans soit levé.

Ce blocus, contraire au droit international humanitaire et comme tel déclaré illégal par les Nations unies, est la conséquence de multiples décisions prises de manière assez aveugle par différents acteurs : le retrait unilatéral en 2005 par Israël sans la moindre négociation sur l’avenir du territoire ; le refus par la communauté internationale des résultats des élections palestiniennes de 2006 qui ont donné la victoire au Hamas ; l’hostilité foncière du Fatah à l’égard du Hamas et ses tentatives de déstabilisation de l’organisation islamiste ; le coup de force du Hamas en 2007, puis ses positions dogmatiques empêchant jusqu’en juin la formation d’un gouvernement d’union nationale palestinienne ; et en dernière instance, la volonté d’Israël d’isoler ce territoire pour diviser les Palestiniens et mieux renforcer encore l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est…

Cet enchevêtrement complexe de décisions a conduit à cette impasse absurde et dramatique, dont il faut aujourd’hui impérativement sortir. Pour y parvenir, une intervention de la communauté internationale est nécessaire ; jusque-là elle a brillé par son absence dans le conflit de Gaza alors qu’elle a été capable de réagir, à juste titre, face aux crimes contre l’humanité commis par l’Etat islamique en Irak…

Une formule pourrait être mise en œuvre avec des chances sérieuses de réussite si la communauté internationale, et donc le Conseil de sécurité de l’ONU, en avait la volonté politique : envoyer une force «robuste» des Nations unies à Gaza pour s’interposer entre l’armée israélienne et les combattants du Hamas, en s’inspirant des missions et de la composition de la Force intérimaire des Nations unies au Liban 2 (Finul 2) installée en 2006 au Sud-Liban, au lendemain de la guerre entre le Hezbollah et Israël.

Cette force d’interposition pourrait ainsi avoir la mission de contrôler la cessation des hostilités, de fournir son assistance pour assurer un accès humanitaire aux populations civiles, aider à la réinstallation des personnes déplacées. Plus largement, elle pourrait préparer les conditions d’une stabilisation du territoire en contrôlant son désarmement en échange d’un retour progressif à une vie normale. Celui-ci inclurait non seulement la levée du blocus mais aussi la construction d’infrastructures vitales pour le développement de ce fragment de pays, à commencer par la construction d’un port et, pourquoi pas, l’exploitation des riches gisements de gaz découverts il y a peu dans ses eaux territoriales (Gaza Marine). La Finul 2 compte 10 000 soldats. Ses contingents proviennent d’une cinquantaine d’Etats et, pour une grande partie, ils sont européens. La France y joue un rôle important et la marine allemande est en charge du contrôle des eaux libanaises. Pourquoi ne pas étudier un schéma de ce type pour Gaza ? Bien entendu, l’ampleur de la tâche ne pourrait pas être assumée seulement par une force d’interposition onusienne, il faudrait qu’elle soit soutenue par d’autres mécanismes que seule une conférence internationale pourrait concevoir.

Les difficultés sont immenses mais un tel processus aurait le mérite de prendre le problème à sa racine, et non pas seulement de manière superficielle et contingente.

Puisque la diplomatie s’est montrée incapable d’agir «à froid» sur le conflit israélo-palestinien, elle pourrait au moins essayer d’intervenir sur le fond à l’occasion de cette confrontation tragique qui a fait 2 000 morts, des milliers de blessés et des dizaines de milliers de sans-abri…

Si elle ne le fait pas, il ne restera alors qu’à attendre la prochaine séquence meurtrière, qui ne manquera pas de survenir puisque rien n’aura été réglé… Ce serait tout à l’honneur de la France de prendre, avec courage, une initiative politique de cette envergure.

Dans Libération,
Août 2014

 

Jean-Paul Chagnollaud,
Professeur des universités,
Directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-­Orient

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