Article publié dans le journal papier « La Nouvelle Presse ».
En se faisant élire fin mars à la tête de la Knesset avec les voix du bloc de droite, Benny Gantz a trahi le parti Bleu-Blanc et ouvert la voie à un gouvernement « d’urgence nationale » sous la direction de Benyamin Netanyahou, hypothèse qu’il avait toujours formellement écartée. Le coronavirus a bon dos. En fait, ce sont les retrouvailles des criminels de guerre …
Par Dominique Vidal
« Vous finirez comme une carpette sous les pieds d’un présumé escroc, incitateur et raciste ([1]) » : c’est ainsi que la députée Tamar Zandberg, du parti Meretz a dénoncé le revirement de Benny Gantz. Les alliés de ce dernier n’ont pas été plus tendres, parlant de « traîtrise » et de « suicide politique », Yaïr Lapid lui lançant même : « Tu ne peux pas ramper dans un tel gouvernement et nous dire que tu le fais pour le bien du pays. » Et de rappeler que Gantz lui avait, « promis, les yeux dans les yeux, que nous ne siégerions jamais dans un tel gouvernement avec des extrémistes et des maîtres-chanteurs ([2]) ».
À l’heure où ces lignes sont écrites, on ignore encore le prix exact de cette trahison. Selon des fuites, Benny Gantz deviendrait vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Son partenaire Gabi Ashkenazi obtiendrait la Défense, et un autre proche la Justice – pour veiller à la poursuite de la procédure contre le chef du Likoud. Ce gouvernement paritaire, mi droite, mi-« centre », durerait trois ans, Gantz remplaçant Netanyahou à la tête du gouvernement en septembre 2021.
Cette volte-face de l’ex-chef d’état-major a fait l’effet d’un coup de théâtre, que nombre d’observateurs ont jugé incompréhensible, tant il ruine plus d’un an de combat pour débarrasser Israël de Benyamin Netanyahou. Créé en février 2019, le parti Bleu-Blanc réussit, à trois reprises, à mettre en échec le bloc de droite : imposées par Benyamin Netanyahou pour disposer d’une majorité prête à lui voter une loi d’impunité, les élections du 9 avril et du 17 septembre 2019, puis du 2 mars 2020 ne permettent pas au Likoud et à ses alliés religieux, nationalistes et ultra-orthodoxes, d’obtenir les 61 députés nécessaires.
Capables par trois fois de bloquer le chef du Likoud, Benny Gantz et ses alliés, Moshe Yaalon et Yaïr Lapid, ne parviennent toutefois pas à lui opposer une alternative, même avec l’appui d’une gauche sioniste en plein effondrement. Pour y parvenir, il faudrait, non seulement le soutien d’Avigdor Liberman et de son parti Israel Beteinou, mais aussi celui de la Liste unie. Malgré ses profondes divergences avec la coalition Bleu-Blanc, Ayman Odeh, une troisième fois, « recommande » Gantz au président de l’État, Reuven Rivlin. Le challenger de Netanyahou se voit ainsi chargé de constituer un gouvernement. Et la Knesset s’apprête à voter une loi interdisant à une personnalité inculpée de diriger le gouvernement…
C’est alors que Netanyahou joue le tout pour le tout : il tente… un coup d’État ! Son complice, le président de la Knesset sortante, Yuli Edelstein, clôt les travaux du Parlement. Pendant ce temps, le Premier ministre obtient le report de son procès, qui devait s’ouvrir le 17 mars – à l’époque, les autres tribunaux fonctionnent encore. Le gouvernement autorise de surcroît le Shin Bet à surveiller et exploiter les données personnelles des Israéliens. Bref, Israël glisse sur la pente autoritaire préparée depuis 2015 par la coalition de droite et d’extrême droite…
Le putsch échoue grâce à la Cour suprême, que Netanyahou, malgré ses efforts, n’a pas encore réussi à vider de sa substance. Edelstein a dû reconvoquer la Knesset, avec à l’ordre du jour… son remplacement. Un député bleu-blanc, Meïr Cohen, est pressenti. C’est alors qu’à la surprise générale, Gantz pose sa candidature, symbole de son ralliement à la droite et à l’extrême droite. Lui qui disait vouloir une « majorité juive » venait pourtant de laisser des représentants de la Liste unie prendre la présidence de deux des six commissions de la Knesset.
Pourquoi cet abandon ?
Pour Anshel Pfeffer d’Haaretz, Gantz est sorti « fatigué » de campagnes électorales marquées par des diffamations en série. « On l’accusait, explique le journaliste, d’être un pervers mentalement instable qui se filmait lui-même en train de se masturber et dont le téléphone avait été hacké par les Iraniens. On l’a dénoncé pour ses tendances à la trahison en raison de sa disponibilité à coopérer au gouvernement avec des “soutiens du terrorisme” au sein de la Liste unie à prédominance arabe. Chacune de ses apparitions médiatiques était disséquée pour souligner ses bégaiements et ses erreurs, dont des versions éditées se répandaient sur la Toile ([3]). »
L’épidémie de coronavirus pèse sans doute aussi très lourd dans la volte-face de Gantz. Netanyahou n’a cessé de dramatiser la pandémie, avant qu’elle ne devienne effectivement dramatique, en Israël aussi. Avec un cynisme stupéfiant : le chef du Likoud a détruit, austérité oblige, le système de santé. Un symbole : Israël ne dispose que de 3,1 lits d’hôpital pour 1 000 habitants, contre 6,5 en France et 8,3 en Allemagne ([4]). C’est donc sous la direction du principal responsable de ce désastre que Gantz appelle à serrer les rangs face au danger sanitaire ! Sans doute le général mesure-t-il aussi que, dans ce contexte, le risque que son parti se divise et qu’une quatrième élection tourne mal pour lui.
Mais la principale raison du retournement de Gantz est beaucoup plus fondamentale. Dans un article prémonitoire mis en ligne à la fin de l’année dernière ([5]), Hagai El-Ad, directeur exécutif de Betselem, l’organisation de défense des droits humains, l’avait exposée. Revenant sur l’offensive contre Gaza de l’été 2014, menée sous la direction du Premier ministre Benyamin Netanyahou et du chef d’état-major Benny Gantz, il écrivait : « Rien n’est plus unificateur dans la politique israélienne que le fait de tuer ensemble des Arabes. Des rivaux politiques ? Mais ils ont marché côte à côte – ces deux-là savent très bien ce qu’ils ont fait ensemble, et ce qu’ils peuvent encore faire ensemble. »
Et de rappeler comment Netanyahou apostropha son rival le 11 novembre dernier, à la veille d’une agression prévue contre Gaza : « Benny, tu étais chef d’état-major durant l’opération “Bordure protectrice“. Nous l’avons conduite ensemble. Nous avons envoyé des soldats à la bataille. Te souviens-tu de ce qu’Ahmad Tibi ([6]) fit durant cette opération ? Il vint à la tribune de la Knesset et énuméra les noms des terroristes éliminés à Gaza. Il dit que les Forces de défense d’Israël commettaient des crimes de guerre (et) exigea une enquête contre moi et le chef d’état-major Gantz (sur) les “crimes de guerre et crimes contre l’humanité”. Une campagne de la Liste disait : “Gantz, tu as le sang des enfants de Gaza sur les mains.” Alors je te le demande, Benny Gantz, sont-ce là les gens avec lesquels tu veux former un gouvernement ? Un gouvernement qui dépende d’Ahmad Tibi et d’Ayman Odeh ? C’est une gifle à la face des soldats de l’IDF, des soldats que toi et moi avons envoyés à la bataille. »
Le lendemain, Gantz répondit : « Les Bleu-Blanc soutiendront tout mouvement juste pour la sécurité d’Israël et placeront la sécurité des Israéliens au-dessus de la politique. »
([4]) www.indexmundi.com/facts/indicators/SH.MED.BEDS.ZS
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