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Sur tous les fronts – Article de Dominique Vidal

Edito

En intitulant Derrière les fronts son film consacré à Samah Jabr, Alexandra Dols imaginait-elle qu’il devrait plutôt, trois ans plus tard, s’appeler Sur tous les fronts ? C’est qu’au Proche-Orient, tout peut changer très vite…

Maison Blanche le 15 septembre 2020 : Donald Trump accueille la signature par Benyamin Netanyahou et les ministres des Affaires étrangères des Émirats arabes unis et de Bahreïn des accords dits « d’Abraham ». Ces soi-disant traités de « paix » rapprochent des États qu’aucune guerre, rappelons-le, n’a jamais opposés. Suivront le Maroc et le Soudan, le premier en échange de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental et le second, plus modestement, de sa sortie de la liste des « États terroristes ». Nombre d’observateurs s’en réjouissent alors : la normalisation en cours marginalise définitivement la Palestine et enterre sa cause.

Un an plus tard, changement de décor. Disparus, les deux hôtes de la cérémonie : les électeurs étatsuniens ont chassé le premier, et les électeurs israéliens le second. Et surtout les ratonnades kahanistes de Jérusalem, les tentatives d’expulsion de Sheikh Jarrah, les violences policières jusqu’au sein de la mosquée Al-Aqsa et les onze jours de bombardements intenses contre la bande de Gaza ont ébranlé les Proche et Moyen-Orient. Où la Palestine a repris sa place : au centre.

Et pour cause. Pour la première fois depuis 1948, Israël a dû faire face simultanément aux différentes composantes du peuple palestinien : à Jérusalem, à Gaza, en Cisjordanie et même à l’intérieur de ses propres frontières – sans oublier la diaspora, qui a manifesté massivement. Pour la première fois aussi, les affrontements ont gagné les villes dites « mixtes » d’Israël, comme Haïfa, Saint-Jean d’Acre et Jaffa. Avec pour symboles celles de Lod et Ramleh, dont les 70 000 habitants (et réfugiés) palestiniens furent expulsés le 12 juillet 1948 par Itzhak Rabin et Igal Allon sur l’ordre de David Ben Gourion – près d’un dixième de la Nakba ! Pour la première fois enfin, Jérusalem et Tel-Aviv ont été touchées, le Hamas, cette fois, n’ayant pas uniquement visé les villes proches de la bande de Gaza.

Autant de caractéristiques qui ont transformé en démonstration de faiblesse ce que Tsahal voulait être une démonstration de force. Certes, le bilan humain et matériel est lourd : du côté palestinien 256 morts à Gaza, 27 en Cisjordanie et 1 à Lod, plusieurs milliers de blessés, 72 000 déplacés ; du côté israélien, 15 morts et quelques dizaines de blessés. Malgré cette disproportion domine en Israël le sentiment d’une « guerre perdue », ce que même l’état-major reconnaît entre les lignes de ses communiqués. Le Hamas, au contraire, revendique une « victoire stratégique », d’autant qu’il a affirmé son leadership face à une Autorité palestinienne en décomposition…

Le combat d’une femme exemplaire comme Samah Jabr est aussi celui de millions d’hommes et de femmes de paix à travers le monde.

Après six guerres généralisées (1948, 1956, 1967, 1973, 1982 et 2006), quatre attaques contre la bande de Gaza (2008, 2012, 2014 et 2021) et l’écrasement de deux Intifadas, Israël n’est pas venu à bout des Palestiniens. À bien des égards, ceux-ci le défient comme à sa création, il y a plus de sept décennies…

Et c’est compter sans les conséquences de ce printemps palestinien. À commencer par le coup d’arrêt porté à la normalisation rêvée par Benyamin Netanyahou, à défaut de l’annexion promise par Donald Trump. Selon le Baromètre de l’opinion arabe réalisé par le Carep ([i]), seuls 6 % des Arabes souhaitent la « reconnaissance diplomatique » d’Israël par leur État. Ceci explique cela : 79 % estiment que la « cause palestinienne » concerne « tous les Arabes » et 15 % « uniquement les Palestiniens ». De quoi doucher les ardeurs normalisatrices des dirigeants arabes, après une décennie de révoltes populaires. Le prince-héritier saoudien Mohamed ben Salman l’a avoué : s’il reconnaissait lui aussi Israël, il serait « tué par l’Iran, le Qatar et [son] propre peuple ».

Pour l’establishment israélien, les revers ont commencé dès le début de l’année 2021. Le 12 janvier, l’association droitdelhommiste Betselem publie un rapport démontrant qu’Israël « maintient un régime d’apartheid entre le Jourdain et la Méditerranée ». Human Rights Watch lui emboîte le pas le 27 avril. Entre-temps, le 3 mars, la Cour pénale internationale (CPI) annonce une « enquête sur des crimes présumés commis dans les Territoires palestiniens occupés ». Le 27 mai, un coup plus rude encore : le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies décide de « créer d’urgence une commission d’enquête internationale indépendante sur les violations qui auraient été commises dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël ».

Cette escalade intervient en fait sur un fond d’isolement diplomatique croissant d’Israël. Ainsi, le 16 décembre 2020, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté sa résolution annuelle pour « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination » : par 168 voix pour et seulement 5 contre – les États-Unis, Israël, les Îles Marshall, la Micronésie et Nauru !

Cet engagement – verbal, s’entend – des institutions internationales reflète avec retard l’évolution des opinions publiques. Si la cause palestinienne a toujours été chère aux populations d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, ce ne fut longtemps pas le cas en Europe et en Amérique du Nord. L’Israël naissant des survivants de la Shoah et du « socialisme » des kibboutzim y bénéficiait de la sympathie générale. Le désamour a débuté avec l’occupation du reste de la Palestine, en 1967. Les massacres de Sabra et Chatila, l’écrasement des deux Intifadas et les guerres contre Gaza ont marqué autant de décrochements, de plus en plus nets.

Dix ans après son lancement, la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions avait été qualifiée par Benyamin Netanyahou de « menace stratégique pour Israël », histoire de justifier l’investissement de dizaines de millions de dollars dans la controffensive conduite par le ministère israélien des Affaires stratégiques, récemment dissous. Le chef de la droite israélienne voyait juste : au-delà des milieux militants, le succès de BDS, légitimé en juin 2020 par la Cour européenne des droits de l’Homme, traduit une évolution désormais majoritaire. En France, par exemple, lors du 70e anniversaire d’Israël en 2018, 57 % des personnes déclaraient en avoir une « mauvaise image », 69 % une « mauvaise image » du sionisme et 71 % faisaient porter à Tel-Aviv la principale responsabilité dans l’impasse du conflit ([ii])… Une étude plus récente montre que la quatrième guerre de Gaza a, selon les grands pays européens, doublé, voire triplé la défaveur que sa politique d’occupation, de colonisation et d’annexion vaut à Tel-Aviv (voir graphique ci-dessous).

Graphique qui illustre le degré d'aprovation de l'occupation israélienne dans les pays arabes

La gravité de la situation de la Palestine et des Palestiniens ne doit donc masquer, ni la force de leur résistance, ni la sympathie croissante dont ils bénéficient dans le monde. Le combat d’une femme exemplaire comme Samah Jabr est aussi celui de millions d’hommes et de femmes de paix à travers le monde.

([i]) L’enquête a été menée par 900 chercheurs et fondée sur des entretiens en face à face avec 27 000 citoyens de treize États arabes.

([ii]) www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/05/70-ans-israel.pdf

ÉDITO

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

LES ANALYSES DE CONFLUENCES

Construire l’ennemi de la Nation: analyse du discours et de la pensée du polémiste Éric Zemmour

Depuis une décennie, Éric Zemmour a consolidé sa notoriété en tant que polémiste en France. Dans ses discours et écrits, il propose une vision particulière de la nation française, qu’il oppose à des figures qu’il considère menaçantes pour l’identité et la culture du pays. À travers la désignation de l’immigré, et plus spécifiquement de l’arabo-musulman, comme «ennemi de la nation», il polarise les discours publics autour de la question de l’immigration. Cet article analyse la manière dont Zemmour construit cette image de l’ennemi public et en explore les effets dans le paysage socio-politique français.

De Mohamed-Nour Hayed

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Lettre d’information de l’iReMMO