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La gauche peut-elle encore cautionner Bennett et Lapid ?

LA COALITION ISRAÉLIENNE EN CRISE

La coalition dirigée par Naftali Bennett et Yaïr Lapid sera-t-elle encore au pouvoir quand ce numéro de La Presse nouvelle vous parviendra ? Probable, mais pas sûr. Benyamin Netanyahou annonçait, le 24 avril, une seconde défection parmi les députés de la majorité. Bezalel Smotich, le député d’extrême droite, raciste et homophobe, assurait, le même jour, que « le gouvernement avait terminé son chemin ». Quant au leader islamiste conservateur Mansour Abbas, il avait, dès la mi-avril, « gelé » la participation de son parti au gouvernement en raison de la répression à Jérusalem. 

Cette décision du parti Ra’am – finalement « débauché» en juin 2021 par Bennett après l’avoir presque été par en mai par Netanyahou – relève du paradoxe. Tel Esaü, son chef s’était vendu pour un (petit) plat de lentilles: la régularisation de trois villages bédouins et des investissements budgétaires en hausse dans le secteur arabe. Rien là d’un simple opportunisme : Mansour Abbas partage bel et bien avec la droite et l’ultra-orthodoxie israéliennes une même conception théocratique de l’État et réactionnaire de la société.

Reste que son parti vient d’être le premier à prendre – très temporairement – ses distances avec la coalition: ni le Meretz de Nitzan Horowitz, ni le parti travailliste de Merav Michaeli n’en ont eu le courage. Et pourtant la gauche sioniste a dû avaler plus que des couleuvres: tout un nid de serpents.

Les violences qui, à Jérusalem, ont marqué le mois de ramadan et les fêtes de Pâques symbolisent la dérive de la coalition qu’ils cautionnent. Ni les attentats terroristes de Daesh ayant frappé auparavant les civils israéliens, ni d’éventuelles provocations du Hamas ne justifient le déchaînement de violence de l’armée et de la police jusque sur l’Esplanade des mosquées. Nul n’oubliera jamais ces images révoltantes: des drones gazant les fidèles, des musulmans allongés ligotés au sein d’Al-Aqsa, des chrétiens interdits de procession, etc.

Et chacun sait qui a mis le feu aux poudres: l’extrême droite kahaniste conduite par le député judéo-nazi Itamar Ben Gvir [1] et les colons extrémistes dont certains prétendaient, non seulement prier sur le troisième lieu saint de l’islam, mais y réaliser des sacrifices! Après une semaine de répression brutale, Lapid – sous la pression de l’administration Biden et de certains dirigeants arabes, notamment jordaniens et émiratis – a fini par vendre la mèche en ordonnant le retour au statu quo ante: pas de prière juive sur l’Esplanade [2]!

Les violences qui, à Jérusalem, ont marqué le mois de ramadan et les fêtes de Pâques symbolisent la dérive de la coalition qu’ils cautionnent.

Cette flambée répressive n’a rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les statistiques du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations unies [3] traduisent des records en matière d’assassinats de civils palestiniens. Du 1er janvier au 17 avril 2022, on en dénombre déjà 37, qui viennent s’ajouter aux 341 de 2021, contre un total de 30 en 2020 – les chiffres correspondants, du côté israélien, sont de 7, 14 et 3. S’agissant des blessés, OCHA en recense 3531 en 2022, 17892 en 2021 et 2614 en 2020 – côté israélien 80, 897 et 11. 

Nombre de ces civils palestiniens tués ou blessés l’ont été à l’occasion d’attaques de colons juifs. Toujours selon OCHA, le nombre de ces dernières ne cesse de croître : 358 en 2020, 496 en 2021 et déjà 185 en 2022. Si l’impunité de leurs exactions les incite à multiplier leurs actions terroristes, ils se sentent surtout encouragés par la relance de la colonisation proprement dite: depuis août 2021, la coalition a annoncé la construction de près de 5000 nouvelles unités de logements dans les colonies de Cisjordanie, où habite illégalement, aux yeux du droit international, un demi-million d’Israéliens. À quoi s’ajoute la légalisation, directe ou indirecte (via par exemple leur raccordement à l’électricité), de ces avant-postes illégaux, eux, même du point de vue du droit israélien…

Et que dire, au-delà de la Palestine occupée, de la politique extérieure de Tel-Aviv? Bennett et Lapid poursuivent leur bataille d’arrière-garde conte la signature d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien, y compris leurs bombardements contre les troupes de Téhéran en Syrie, avec le feu vert de Moscou. Cette alliance de fait explique sans doute, avec le poids des oligarques dans l’économie israélienne, la complaisance d’Israël vis-à-vis de la guerre de Poutine en Ukraine: il n’applique pas les sanctions contre Moscou, ne fournit pas d’armes à Kiev et trie les réfugiés ukrainiens…

Bref, la coalition conduite par Naftali Bennett se situe d’évidence plus dans la continuité que dans la rupture avec celles de Netanyahou? Pourquoi la gauche sioniste s’entête-t-elle à la cautionner? À leur marginalisation politique (13 sièges à la Knesset sur 120), le Meretz et le parti travailliste veulent-ils ajouter le déshonneur? Horowitz et Michaeli ne peuvent-ils pas, comme Mansour Abbas, faire au moins semblant de secouer le joug de ce premier ministre qu’on connaît pour avoir un jour déclaré : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie – et il n’y a aucun problème avec ça [4]»?

Dominique Vidal, journaliste et historien, coordinateur du numéro de la revue Confluences Méditerranée intitulé «Israël : contradictions d’une démocratie coloniale».

[1] Longtemps paria politique, cet ultranationaliste religieux a fait ses classes au sein du parti Kach du rabbin Meir Kahane, interdit pour « racisme » par la Knesset en 1994. Grâce au soutien de Benyamin Netanyahou et en alliance avec Bezalel Smotrich, il est devenu le seul député de son parti, Force juive, lors des dernières élections. Au printemps dernier, il a été accusé par le chef de la police de Jérusalem, Kobi Shabtai, d’avoir été l’instigateur des violences à Jérusalem-Est, dans le quartier de Sheikh Jarrah et sur l’Esplanade des mosquées : site de Times of Israel, 14 mai 2021.

[2] France 24, 24 avril 2022.

[3] Voir https://www.ochaopt.org/poc/5-18-april-2022

[4] France 24, 30 juillet 2013.

ÉDITO

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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Deux manifestations à Rabat : Entre consensus stratégique et consensus spontané

Souad Radi, 3 octobre 2011
Cet article est une photographie analytique des manifestations du 20 février et du 20 mars. L’analyse des slogans permet un décryptage des raisons de la contestation ainsi que certains compromis contestataires envisagés en vue de mobiliser le plus grand nombre de manifestants. Cet article montre également les évolutions du discours qui participent d’un jeu de miroir avec les annonces de réformes. Le « Mouvement du 20 février » s’est fait connaître par une première série de manifestations qui se sont tenues au Maroc le dimanche 20 février et par plusieurs manifestations les dimanches d’après. Peu à peu, ce qui ne semblait au départ qu’une manifestation répondant à l’activité d’un réseau informel s’est structuré en un mouvement prenant des positions publiques.

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