Expulsion de Salah Hamouri: «La France condamne un cas, mais ne va pas au fond des choses»

Salah Hamouri est arrivé à Paris. L’avocat franco-palestinien est né et vivait à Jérusalem. Mais après avoir passé plusieurs mois en détention sans que des charges ne soient retenues contre lui, Israël l’a expulsé ce dimanche 18 décembre 2022.

Salah Hamouri a perdu son statut de résident à Jérusalem, un statut dont bénéficie la très grande majorité des habitants palestiniens de la ville. Il s’agit d’une carte d’identité spécifique pour les Palestiniens de Jérusalem-Est et précaire, rappelle Jean-Paul Chagnollaud. Jean-Paul Chagnollaud est le président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo). Pour lui, Israël utilise ce statut pour diminuer le nombre d’habitants palestiniens dans cette ville que se disputent Israéliens et Palestiniens.

Guilhem Delteil : Salah Hamouri est un résident de Jérusalem-Est. Son comité de soutien voit dans son expulsion un geste qui s’inscrit dans une politique à l’égard des Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est. Quelle est la politique israélienne sur cette partie de la ville ?

Jean-Paul Chagnollaud : Il faut bien comprendre que les Palestiniens qui habitent à Jérusalem-Est sont soumis à un régime très particulier qui est le régime de résidence. Ce sont des gens qui sont chez eux depuis – pour beaucoup – des générations, et qui depuis l’occupation israélienne de Jérusalem en 1967, ont des cartes de résident. Ces cartes de résident sont octroyées par l’administration israélienne de manière tout à fait arbitraire. On peut très bien leur retirer ces cartes, ce qui les obligent à quitter Jérusalem-Est. Soit pour aller en Cisjordanie ou ailleurs. Ce sont des gens très précaires.

Il y a environ un peu plus de 800 000 habitants sur l’ensemble de Jérusalem. À Jérusalem-Est, il y a 300 000 Palestiniens et environ 200 000 colons israéliens, c’est-à-dire des Israéliens qui sont installés dans les colonies qu’Israël a construites. La politique des différents gouvernements israéliens, surtout depuis quelques années, et sans doute encore bien davantage avec celui qui arrive, est de faire en sorte que les Palestiniens de Jérusalem-Est s’en aillent.

L’expulsion de Salah Hamouri, en dehors du cas particulier qu’il représente, est donc un révélateur de la situation dans les différents quartiers de Jérusalem-Est dont on a beaucoup entendu parler, il n’y a pas si longtemps encore, notamment à Sheikh Jarrah, où il y a eu des expulsions de familles dans ces quartiers qui sont proches de la Vieille Ville.

Parce qu’effectivement, les autorités palestiniennes dénoncent cette politique israélienne à l’égard des Palestiniens à Jérusalem-Est, que ce soit par ce genre d’expulsion, mais aussi par une politique très restrictive en ce qui concerne les permis de construire pour les familles palestiniennes de Jérusalem-Est.

Bien sûr. Il y a une idée très forte dans l’attribution, ou au contraire le retrait de ces cartes : la notion de « centre de vie ». Il faut que les Palestiniens conservent leur centre de vie à Jérusalem. S’ils trouvent un emploi en dehors de Jérusalem-Est, par exemple, ils peuvent être radiés de la liste des résidents, et donc ne plus pouvoir habiter à Jérusalem-Est. S’ils épousent quelqu’un qui n’est pas de Jérusalem-Est, c’est pareil : on va dire que ce centre de vie s’est déplacé. Il y a des éléments comme ça, très pervers, et qui ont tous la même finalité : celle d’expulser les Palestiniens.

Il ne faut pas oublier qu’Israël considère Jérusalem comme sa capitale. Ça a été reconnu par Donald Trump, mais pas par la communauté internationale. Pour la communauté internationale, Jérusalem-Est, y compris la Vieille Ville, est un territoire occupé. Le droit international s’y applique donc, et évidemment, c’est ce que ne reconnaît pas l’État d’Israël.

Ce qui est préoccupant pour les semaines qui viennent est que le nouveau ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, est celui-là même qui, il y a encore quelques semaines, organisait des « chasses à l’Arabe » dans Jérusalem. La France va devoir se positionner au-delà de ces communiqués à l’eau tiède qui essayent de ne rien voir de ce qui est en train de se passer à Jérusalem-Est.

Il faut bien comprendre que les Palestiniens qui habitent à Jérusalem-Est sont soumis à un régime très particulier qui est le régime de résidence. Ce sont des gens qui sont chez eux depuis – pour beaucoup – des générations, et qui depuis l’occupation israélienne de Jérusalem en 1967, ont des cartes de résident. Ces cartes de résident sont octroyées par l’administration israélienne de manière tout à fait arbitraire. On peut très bien leur retirer ces cartes, ce qui les obligent à quitter Jérusalem-Est. Soit pour aller en Cisjordanie ou ailleurs. Ce sont des gens très précaires.

Justement, la France condamne l’expulsion de Salah Hamouri. Elle avait pris position déjà avant sur ce dossier en demandant à Israël de ne pas procéder à cette expulsion. Malgré tout, cette expulsion est intervenue. Qu’est-ce que cela dit de la relation franco-israélienne aujourd’hui ?

On est toujours dans cette position assez pusillanime [qui manque de courage, NDLR] de la France, qui condamne un cas particulier, mais qui est très réticente à voir la réalité, à savoir que Jérusalem-Est est un territoire occupé. Par conséquent, c’est ça qu’au moins la France devrait rappeler avec beaucoup plus de force. Et les faits accomplis par les gouvernements israéliens n’ont aucune valeur sur le plan légal.

Et la France a toujours une position très ambivalente depuis quelques années. Elle condamne tel ou tel cas particulier, mais elle ne veut pas aller au fond des choses. Elle est très en retrait sur cette question par rapport à ce qu’était sa position il y a encore quelques années. Du temps de Chirac, par exemple, ou même de Sarkozy, il y avait des postures beaucoup plus fermes. Et je crois qu’il est nécessaire d’avoir des positions fermes pour éviter que les choses ne s’aggravent de plus en plus. Et je crains fort qu’il y ait dans les mois qui viennent de plus en plus de volonté d’expropriation, d’empêchement de construire.

Est-ce qu’il y a eu, ces dernières années, une inflexion de la position française sur le dossier israélo-palestinien ?

Je pense qu’il y avait une politique française très claire qui était arc-boutée sur le droit international, donc sur les lignes que je viens d’évoquer. Depuis, disons la présidence de François Hollande, les choses se sont un peu évaporées. Hollande évoquait le droit international, mais sa position était très en retrait par rapport à ce qu’était celle de Sarkozy, surtout celle de Chirac. C’est-à-dire la France qui campe sur des positions de droit international et qui dit : « C’est un territoire occupé et il faut en tirer toutes les conséquences ».

Je pense qu’Emmanuel Macron est dans une attitude d’évitement : d’évitement de s’engager sur la question, de parler vraiment des choses telles qu’elles sont. Et évidemment, quand on ne parle pas, on laisse pourrir une situation. Quand il faudra reprendre le dossier, on sera dans une situation encore pire que celle que nous connaissons aujourd’hui, qui est déjà extraordinairement dégradée.

Emmanuel Macron s’apprête à se rendre en Jordanie où il aura un entretien bilatéral avec le roi Abdallah II, qui a un rôle très important sur Jérusalem-Est en tant que gardien des lieux saints. La perspective de la formation d’un nouveau gouvernement israélien, très radical, pourrait-elle amener à remettre, un peu, la question palestinienne au cœur de la diplomatie internationale et de cet entretien avec Abdallah, de redonner un peu de force à la question palestinienne dans les diplomaties occidentales ?

Malheureusement, on ne parle de la question palestinienne que lorsqu’il y a des drames, ou quand il y a un affrontement meurtrier, comme ça a été le cas il y a quelques semaines ou l’année dernière, au mois d’août à Gaza. C’est ça, le lien, quand on sent qu’il se passe quelque chose de violent, alors là, on est obligés évidemment d’intervenir, et c’est ce qu’il va se passer. Je ne doute pas un instant que lors de la rencontre avec Abdallah II de Jordanie, on va parler de ça, parce qu’effectivement, il y a beaucoup de craintes.

Et ce qui est très intéressant, c’est que quand vous lisez la presse américaine, l’administration américaine fait beaucoup pression sur le gouvernement israélien aujourd’hui. Elle se rend compte que les postures idéologiques et politiques qui sont celles d’une certaine partie du gouvernement, pour ne pas dire l’intégralité du gouvernement, sont extrêmement préoccupantes. C’est une violation du droit international qui va continuer et s’accentuer.

Donc, je pense que la France va devoir se positionner avec plus de fermeté parce que je crois que c’est l’intérêt de tous, y compris d’ailleurs d’Israël. En tout cas, d’abord, l’intérêt de la paix, sinon on va avoir à coup sûr des drames dans les temps qui viennent. Quand vous pensez qu’un personnage qui était celui qui faisait « la chasse aux Arabes » il y a encore quelques semaines, devient le ministre de la Police et de la sécurité nationale… Tout est dit dans ce qu’il risque d’arriver très probablement.

Interview menée par Guilhem Delteil

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