La Cour internationale de justice a entamé, lundi 19 février 2024, les audiences sur les conséquences juridiques de l’occupation par Israël des Territoires Palestiniens depuis 1967. Cinquante-deux pays sont appelés à témoigner devant la plus haute juridiction de l’ONU. Ces audiences déboucheront sur un avis non contraignant. Cependant, Israël ne participera pas aux auditions et dénonce la procédure. Cette dernière, intervient alors que la colonisation des Territoires palestiniens s’accélère, et que les exactions contre les Palestiniens se multiplient en marge du conflit à Gaza. Des violences qui restent souvent impunies.
Les Nations-Unies consacrent dans leur charte le droit de tous les peuples à l’autodétermination et s'engagent à débarrasser le monde des violations les plus graves de ces droits, à savoir le colonialisme et l'apartheid. Mais depuis des décennies, le peuple palestinien s'est vu refuser ces droits et a enduré le colonialisme et l'apartheid. Certains s'indignent de l'usage de ces termes, ils devraient plutôt s'indigner de la réalité qui est la notre. Riyad Al-Maliki, chef de la diplomatie palestinienne, en ouverture de l'audience de la Cour internationale de justice.
Riyad Al-Maliki, chef de la diplomatie palestinienne, en ouverture de l'audience de la Cour internationale de justice. Tweet
Apartheid, un mot fort ?
Le terme est important tant il renvoie à un enjeu politico-symbolique. L’occupation est, elle, une réalité. En plus d’entrainer la colonisation, elle entraine une discrimination systématique, structurelle, des oppressions et des répressions. Depuis bien longtemps, les Palestiniens se sentent comme des indigènes. Il y a donc un système de discrimination certain en Cisjordanie. Que l’on parle d’apartheid ou non, on ne peut en aucun cas contester l’occupation et la colonisation, qui dure depuis 1967, l’absence de droit et la répression constante.
Les audiences devant la Cour internationale de justice (CIJ) peuvent-elles avoir un impact sur la guerre?
La Cour internationale de justice va rendre un avis sur l’état de la situation et sur l’État d’Israël. Sur le plan politique et symbolique, cet avis est important car il sera une référence d’un point de vue juridique même s’il ne sera pas contraignant. Ce qui est enclenché auprès de la Cour pénale internationale (CPI) porte en revanche sur la colonisation et non sur la situation d’apartheid. La CPI va viser un individu pour un crime de guerre. La procédure à la CPI conduit à des procès d’individus, quel que soit leur statut politique. Ce sont deux procédures très différentes.
Est-ce que le mouvement de colonisation s’accélère depuis le 7 octobre ?
La colonisation s’accélère depuis ces dernières années en raison des gouvernements au pouvoir. Depuis la deuxième intifada, en 2002-2003, la droite et l’extrême droite sont au pouvoir avec comme obsession la poursuite de la colonisation pour arriver à une annexion. Aujourd’hui, le contexte pousse encore à l’accélération de la colonisation.
Le gouvernement actuel est composé de personnalités d’extrême droite et messianique qui voient la colonisation comme une solution pour la réduction du nombre de Palestiniens. Par ailleurs, ces personnes utilisent les événements du 7 octobre et le soutien européen, qui en a découlé, pour accélérer la colonisation dans une impunité complète.
La colonisation est illégale au regard du droit international, c’est un crime de guerre. Les avant-postes le sont aussi au regard du droit international mais également par le droit interne israélien. Actuellement, même le droit interne n’existe plus. En plus du soutien assumé à Israël, dans cette période où tous les yeux sont braqués sur Gaza, et en même temps où il règne beaucoup d’indifférence quant aux crimes, la Cisjordanie passe inaperçue. Il y a, en fait, une sorte de profit des événements de Gaza par le gouvernement israélien.
Est ce que les colons et les soldats agissent de la même manière ?
Aujourd’hui, il y a une osmose entre les colons et les soldats. Certains colons sont désormais des soldats et font leur service militaire dans les colonies, accroissant la violence et l’impunité totale.
La violence est au cœur du processus de colonisation. Le premier temps d’une colonisation est l’expulsion, on expulse des gens qui sont sur leur territoire. Ensuite, on les empêche de revenir et dans d’autres cas on les harcèle jusqu’au point où ils finissent par partir. Une impunité asymétrique s’installe également. Le contexte de ces derniers mois rend les colons israéliens d’autant plus immunisés face à la justice.
Des mesures contre des colons jugés coupables de violences contre des Palestiniens ont été prises par le France (fermeture des frontières à 28 colons) et par le Royaume-Uni et les États-Unis (gelées des avoirs), mais elles arrivent bien tardivement. La France s’était positionnée depuis longtemps pour dénoncer la colonisation israélienne sans prendre de mesures. Bien qu’une action à l’échelle de l’Union européenne n’aurait pu se faire en raison du véto de pays comme la Hongrie, la France aurait pu agir seule et avec une action plus forte.
La situation économique continue également de se dégrader en Cisjordanie. Les temps d’attente aux checkpoints réduisent considérablement les heures de travail effectuées dans les journées des Palestiniens. Ce territoire se compose de villes séparées les unes des autres par quelques dizaines de kilomètres et avec peu de routes. Il est donc très facile de les isoler et d’écraser toute liberté de circulation par des checkpoints. Les villes sont ainsi étouffées, ce qui empêche le développement économique. Il faut également rappeler que tous les visas de travail des Palestiniens travaillant en Israël.
En parallèle, la suspension par une vingtaine de pays de l’aide financière à l’UNRWA est totalement irresponsable et va tout simplement étouffer 6 millions de personnes.
Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’iReMMO.