Le 7 octobre 2023 au petit matin, le Hamas déclenchait vers Israël une attaque qui allait tuer mille cent soixante-dix civils et militaires et prendre deux cent cinquante personnes en otage. L’effroyable offensive, sans précédent mais indissociable du contexte de conflit historique, de colonisation et de blocus des territoires palestiniens, a traumatisé la société israélienne. La riposte du gouvernement de Benyamin Netanyahou fut immédiate : le bombardement sans différenciation de l’enclave de Gaza, où 2,3 millions de personnes s’entassent sur 360 kilomètres carrés. Un an plus tard, le massacre a toujours cours. Au mépris du droit international, avec le soutien de grandes puissances occidentales et loin du regard du reste du monde, maintenu à distance par Israël. C’est pour matérialiser l’invisible et l’indicible, mais aussi pour « réhumaniser » les Palestiniens, réduits à des chiffres, que la vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, Agnès Levallois, a coordonné Le Livre noir de Gaza (éd. Seuil). Il rassemble les données factuelles permettant d’approcher la réalité de ce qui se vit à Gaza depuis un an.
Une guerre prolongée et démesurée
La guerre entre Israël et le Hamas, qui a débuté il y a près d’un an, s’est révélée bien plus longue et destructrice que ce que l’on pouvait anticiper. Bien que la riposte israélienne aux attaques brutales du Hamas ait été attendue, l’ampleur et la durée de cette guerre dépassent toutes les prévisions. La bande de Gaza a connu des conflits dans le passé, mais celui-ci est qualifié de hors norme. À ce jour, le ministère de la Santé palestinienne estime à environ 42 000 le nombre de victimes, dont une majorité d’enfants. Ces chiffres sont toutefois contestés par Israël et les États-Unis, en raison du contrôle du ministère par le Hamas. Malgré cela, de nombreux observateurs internationaux, y compris des organisations humanitaires, estiment que ces données pourraient être sous-évaluées, étant donné l’impossibilité pour des observateurs de travailler sur place à cause du blocus israélien.
Les destructions sont massives : habitations, bureaux, écoles, hôpitaux, mosquées, sites culturels, cimetières… Tout ce qui permet à une société de vivre est pris pour cible. Le niveau d’anéantissement du territoire gazaoui n’a aucun équivalent dans l’époque moderne. Dans notre ouvrage, le chercheur Peter Harling parle d’« écocide » – la destruction de l’habitat –, d’« urbicide » – la destruction de la ville – et du risque de génocide, l’élimination de la population, reconnu par la Cour internationale de justice. Il rappelle qu’une population peut être éradiquée sans être tuée directement, en supprimant l’accès à ses besoins essentiels et en créant les conditions de sa disparition progressive.
Destruction massive des infrastructures
Les conséquences de ce conflit sur les infrastructures de Gaza sont catastrophiques. Les habitations, écoles, hôpitaux, mosquées et autres éléments essentiels à la vie d’une société ont été détruits. Ce niveau de destruction n’a aucun équivalent à l’époque moderne, certains chercheurs parlant d’« écocide » ou d’« urbicide ». L’absence d’accès aux besoins de base pour la population pourrait également engendrer une disparition progressive des habitants, même si la guerre ne les tue pas directement. Le terme « génocide » est même évoqué par des experts, mettant en lumière l’ampleur de la crise humanitaire qui ébranle le territoire palestinien.
Invisibilisation et discours occidental
Un des aspects marquants de cette guerre est la difficulté pour la communauté internationale de prendre pleinement conscience de la gravité de la situation. En effet, tout se déroule sous le contrôle étroit de l’armée israélienne, ce qui contribue à invisibiliser les victimes palestiniennes. L’action initiale du Hamas a également permis à Israël de justifier sa riposte comme une réponse légitime à une attaque terroriste, brouillant ainsi la perception de la disproportion des offensives israéliennes. De plus, les relations historiques entre les pays occidentaux et Israël renforcent cette complexité : Israël, vu comme un rempart contre l’islamisme, est souvent soutenu malgré les actions prises par la communauté internationale.
Bilan militaire et otages
Sur le plan militaire, Israël a en partie réussi à affaiblir le Hamas en éliminant des milliers de combattants, mais l’idée de détruire totalement cette organisation terroriste semble illusoire. Le Hamas, bien que diminué, reste présent et actif. Quant à la question des otages israéliens détenus par le Hamas, elle reste un point de tension. Une soixantaine d’entre eux est encore portées disparus, mais la stratégie militaire d’Israël, basée sur des bombardements massifs, complique toute tentative de libération. Certains otages ont même été tués lors des frappes israéliennes, révélant les priorités divergentes du gouvernement israélien.
Légitimité internationale en péril
La guerre actuelle pourrait porter un coup d’État durable à la légitimité internationale d’Israël. Bien que certains États, comme l’Espagne ou l’Irlande, reconnaissent l’État palestinien, la majorité des pays occidentaux continue d’éviter des actions décisives contre Israël. Ces derniers, malgré leur attachement au droit international, semblent réticents à appliquer ce cadre dans ce conflit. Cependant, certaines voix non occidentales, comme l’Afrique du Sud, tentent de faire pression sur Israël par le biais d’organisations internationales comme la Cour internationale de justice. Ce conflit exacerbe les divisions internationales, tandis que l’impunité continue de régner, rendant toute justice difficile à considérer.
Agnès Levallois, vice-président de l’iReMMO.