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Les négociations de cessez-le-feu à Gaza: une chronique d’espoirs avortés

Suite aux attaques du 7 octobre 2023 et aux représailles israéliennes qui ont suivi, la bande de Gaza est devenue le théâtre d’une tragédie humaine sans précédent, où des otages israéliens sont aussi encore emprisonnés. Les tentatives de cessez-le-feu se sont succédé au fil des mois, chacune porteuse d’espoirs rapidement déçus.

Avril 2024: Premières négociations, premiers blocages

Dès le mois d’avril, les premières discussions ont rapidement révélé deux points de discorde majeurs : Israël a plaidé pour un cessez-le-feu temporaire tandis que le Hamas a exigé une trêve permanente. En outre, la demande palestinienne de permettre le retour des Gazaouis déplacés a été catégoriquement rejetée par Israël, exacerbant les tensions. Bien que Tel-Aviv ait proposé un cessez-le-feu, cette initiative a été discréditée par la menace simultanée d’une invasion de Rafah, perçue comme un coup de force diplomatique. Ces tensions n’ont cessé de peser sur les négociations des mois suivants.

Mai 2024: Le Caire et Doha, architectes d’une première proposition

Au début de mai, de nouveaux pourparlers ont eu lieu au Caire, impliquant des délégations d’Égypte, du Qatar, du Hamas et des États-Unis. À l’issue de ces discussions, un plan en trois phases, conçu par l’Égypte et le Qatar, a été présenté pour instaurer un « calme durable ». Approuvé par le Hamas le 5 mai, ce plan a cependant été rejeté par Israël, qui le considérait trop indulgent vis-à-vis des exigences palestiniennes. Le 31 mai, le président américain Joe Biden a soutenu une proposition israélienne similaire, transmise au Hamas via le Qatar.

Juin 2024: Le consensus onusien pour un cessez-le-feu

Le 10 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2735, soutenant la proposition du 31 mai et exhortant le Hamas à l’accepter. Cette adoption, marquée par l’abstention de la Russie et l’absence de veto de la Chine, a représenté un tournant diplomatique majeur, symbolisant un consensus rare au sein de l’ONU sur cette question. Toutefois, les amendements proposés par le Hamas, concernant notamment le retrait des troupes israéliennes et la mise en place d’un cessez-le-feu permanent, ont été rejetés par Israël et jugés inapplicables par les États-Unis. Ainsi, le plan a été mis en suspens.

PROPOSITION DE CESSEZ-LE-FEU DU 31 MAI 2024, ADOPTÉ PAR L’ON

Première Phase (Six semaines / 42 jours)

Cette première étape prévoit un cessez-le-feu immédiat et complet. Le Hamas doit libérer 33 prisonniers israéliens, en commençant par la libération de trois otages israéliens le troisième jour suivant l’accord, puis trois autres tous les sept jours. Si le nombre de captifs restants est inférieur à 33, le Hamas s’engage à libérer les corps des Israéliens décédés pour compenser. La priorité est donnée à la libération des femmes, y compris les civiles et les conscrits. Les autres captifs concernés incluent : tous les enfants israéliens de moins de 19 ans, toutes les femmes civiles israéliennes, tous les Israéliens âgés de plus de 50 ans, et toutes les femmes soldats israéliennes. En retour, Israël libère 30 enfants et femmes palestiniens pour chaque civil israélien libéré.

Durant cette phase, Israël autorise l’entrée de 600 camions d’aide humanitaire par jour, dont 300 sont destinés au nord de Gaza. Cette aide comprend 50 camions de carburant nécessaires pour l’électricité, le commerce, l’enlèvement des décombres, les hôpitaux, les centres de santé et les boulangeries. Les Palestiniens déplacés et non armés sont autorisés à retourner chez eux dans le nord de Gaza, avec une libre circulation garantie entre le sud et le nord de Gaza. Israël commence également un retrait progressif de certaines zones densément peuplées de Gaza. Les vols militaires israéliens sont suspendus pendant 10 à 12 heures par jour.

L’accord exclut tout changement démographique ou territorial à Gaza, empêchant toute action susceptible de réduire la taille du territoire. Si les négociations se prolongent au-delà des six semaines initiales, le cessez-le-feu se poursuivra aussi longtemps que les pourparlers continuent..

Deuxième Phase

L’objectif de cette phase est de parvenir à une fin définitive des hostilités et d’établir un « calme durable ». Durant cette période, le Hamas libère tous les Israéliens masculins encore en vie, qu’ils soient civils ou soldats. En contrepartie, Israël libère un nombre convenu de prisonniers palestiniens. Cette deuxième phase prévoit un retrait militaire complet de la bande de Gaza.

Troisième Phase

Cette dernière phase prévoit deux volets. D’abord, la libération par le Hamas des restes des prisonniers israéliens décédés. Israël, de son côté, s’engage à libérer les corps des Palestiniens décédés. Le blocus israélien de Gaza prend fin, et le Hamas doit s’abstenir de reconstruire ses capacités militaires. Ensuite, cette phase finale marque également le début de la reconstruction de Gaza, avec un plan étalé sur trois à cinq ans pour reconstruire les maisons, les installations et les infrastructures civiles, tout en indemnisant les personnes touchées par le conflit.

Supervision et Garants

La mise en œuvre de l’accord est supervisée par le Qatar, l’Égypte, les États-Unis, et les Nations unies, qui en sont les garants. Les États-Unis, sous la direction de Joe Biden, ainsi que l’Égypte, jouent un rôle crucial pour assurer le respect de l’accord.

Juillet 2024: Le Hamas fléchit, Israël se raidit

Le 2 juillet, le Hamas a proposé un nouveau plan de cessez-le-feu, considéré comme une « percée majeure » en s’alignant sur la proposition du 31 mai. En signe de compromis, le Hamas a renoncé à une exigence jusqu’alors non négociable : obtenir un engagement d’Israël pour un cessez-le-feu permanent à Gaza avant la signature de tout accord. Malgré ce geste, Israël a énoncé une série d’autres conditions qu’il jugeait également inaliénables, bien que celles-ci ne fussent pas explicitement inclus dans l’accord du 31 mai. En conséquence, des points de friction ont continué de miner les négociations, notamment concernant le retour des Palestiniens déplacés dans le nord de Gaza, le contrôle du corridor de Philadelphie qui longe la frontière d’Israël avec l’Égypte, et les modalités de gouvernance de Gaza après le conflit. En parallèle, la frappe visant Mohammed Deif, chef de la branche armée du Hamas, entraîne l’annonce du retrait des négociations du mouvement palestinien.

Août 2024: Des désaccords profond sur la nature des propositions

Au début du mois d’août, des négociations de haut niveau ont repris au Qatar, dans le cadre de la visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken au Moyen-Orient. Le 16 août, à l’issue de ces pourparlers, une « proposition de rapprochement » (« bridging proposal ») a été présentée par les États-Unis, le Qatar et l’Égypte pour surmonter les derniers obstacles, notamment entre les États-Unis et Israël.

Le Hamas a sévèrement critiqué cette nouvelle proposition, la considérant non seulement trop favorable aux intérêts israéliens, mais aussi en rupture par rapport à l’accord préliminaire de début juillet. Le mouvement palestinien a estimé que ce projet intègre des conditions inédites et pro-israéliennes, traduisant la volonté de Netanyahu de durcir ses exigences. Cette stratégie, selon eux, viserait à retarder délibérément la signature d’un accord de cessez-le-feu, permettant ainsi de prolonger l’état de guerre, consolidant par la même occasion la stabilité politique du gouvernement israélien et la popularité de son Premier ministre. Malgré ces objections, les États-Unis ont maintenu que la « proposition de transition » acceptée par Netanyahu était en parfaite adéquation avec l’accord de cessez-le-feu esquissé par le président Joe Biden le 31 mai. À ce jour, le Hamas n’a pas encore répondu formellement à cette proposition. Cependant, le mouvement est resté ferme dans ses conditions : aucun accord ne sera envisagé sans un retrait total des troupes israéliennes de Gaza.

Du côté israélien, bien que la proposition ait été officiellement acceptée, des tensions internes se sont intensifiées. Le fossé entre Netanyahu et ses négociateurs s’est creusé, le Premier ministre reprochant à ces derniers leur « faiblesse » dans la gestion des pourparlers.

PROPOSITION DE CESSEZ-LE-FEU DU 16 AOÛT 2024

Les États-Unis ont choisi de ne pas révéler les détails de la «proposition de rapprochement» qu’ils ont élaborée conjointement avec le Qatar et l’Égypte. Cependant, il semble que cette proposition reprenne en grande partie la structure de celle du 31 mai, avec une articulation en trois phases distinctes. Parmi les éléments clés, on retrouverait une «énorme poussée d’aide humanitaire» ainsi qu’un engagement à déblayer les décombres et à initier la reconstruction de Gaza, dans le but d’apporter un «soulagement massif aux Gazaouis».

Le Hamas a exprimé des préoccupations concernant certaines nouvelles conditions qu’il perçoit comme étant favorables à Israël, bien que ces amendements ne soient ni publiquement confirmés, ni officiellement avérés. Selon certaines informations, ces ajustements permettraient à Israël de maintenir un contrôle militaire renforcé dans certaines zones stratégiques de Gaza, notamment le corridor de Netzarim, qui sépare le nord et le sud de la bande de Gaza, ainsi que le corridor de Philadelphie. En outre, les critères relatifs à l’échange de prisonniers auraient été révisés, avec un droit de veto israélien accru sur les prisonniers palestiniens susceptibles d’être échangés contre des otages israéliens, ainsi qu’une possibilité d’expulser certains prisonniers palestiniens au lieu de les renvoyer à Gaza. Cependant, tous ces éléments demeurent à ce jour spéculatifs, et ne constituent en rien une certitude.

Septembre 2024: L'ultimatum américain, coup de poker ou aveu d'impuissance?

Début septembre, les négociations pour un cessez-le-feu à Gaza sont dans l’impasse. Benyamin Netanyahou a demeuré inflexible, affirmant qu’il ne cédera pas aux pressions internationales pour un accord de trêve. Les surenchères et nouvelles conditions ont compliqué les discussions, retardant ainsi leur aboutissement. Pourtant, selon William Burns, directeur de la CIA et principal négociateur américain, seuls « 10 % » des éléments, dont la gestion du corridor Philadelphie et l’échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, constituent encore des points de blocage.

Les États-Unis, face à l’escalade régionale marquée par la mort de six otages supplémentaires, les attaques des Houthis et la possible escalade sur le front libanais, ont intensifié leurs appels de résolution, allant jusqu’à formuler une proposition présentée comme un ultimatum. En effet, le Hezbollah a conditionné la réduction de ses attaques à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, ce dernier exigeant un retrait total des forces israéliennes de Gaza comme préalable à tout accord.…

Cette situation exacerbe les tensions au sein des instances décisionnelles israéliennes, où plusieurs responsables de la défense – dont Gallant, le ministre de la Défense – contestent la position rigide de Netanyahou, estimant qu’il complique délibérément les négociations.

Ainsi, les tentatives et propositions de cessez-le-feu des derniers mois s’inscrivent dans une certaine continuité, plutôt que dans une rupture ou nette différenciation entre elles. Cependant, un critère distinctif entre les différentes propositions est l’incorporation, ou non, de conditions inédites et significatives proposées par Israël et/ou le Hamas. Dès le début des pourparlers, une ligne rouge se dessine, avec des points de friction récurrents qui ralentissent ou entravent systématiquement les efforts de résolution : la présence ou le retrait des forces militaires israéliennes à Gaza, le retour des Gazaouis déplacés dans le sud de la bande ou à l’étranger, et la gouvernance post-conflit de Gaza. De plus, toute concession sur l’un de ces points par l’une des parties, comme celle effectuée par le Hamas, risque d’être perçue comme une faiblesse, ce qui pourrait déséquilibrer les accords au profit d’une partie au détriment de l’autre. Ces divergences semblent donc irréconciliables, alors même qu’elles sont indispensables pour sortir de la crise.

Nadia Enesco

Bibliographie

Avril

Mai

Juin

 

Juillet

Août

Septembre

« UK, U.S. Spy Chiefs Call for Staying the Course on Ukraine. » Reuters, 7 Septembre 2024, https://www.reuters.com/world/europe/uk-us-spy-chiefs-call-staying-course-ukraine-2024-09-07/

CONFLUENCES MÉDITERRANÉE

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CONTRIBUTIONS

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La «relation spéciale» des États-Unis avec Israël, défendue sans compromis par l’administration Biden, a suscité une profonde désillusion au sein d’une partie importante de l’électorat démocrate, qui se sent trahi ou, à tout le moins, mal représentée par les choix du président. Ce mécontentement est particulièrement marqué parmi les jeunes et la population arabo-américaine.

De Nadia Enesco

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Lettre d’information de l’iReMMO