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La normalisation entre le Maroc et Israël à l’ombre des guerres au Proche-Orient

La normalisation des liens diplomatiques entre Maroc et Israël, connu aussi sous le nom évocateur des accords d’Abraham, traverse une période trouble depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza, les violences inouies qui s’ensuivirent, et la régionalisation de cette guerre au Proche-Orient. D’abord conçu comme une normalisation d’un genre nouveau, “chaleureuse” et ouvrant une nouvelle “ère de paix et de prospérité” au Moyen-Orient, comme l’ont promu ses instigateurs américains (l’administration Trump) et israéliens, elle s’est traduite par une coopération tous azimuts entre le Maroc et Israël, dans les domaines économiques, militaires et sécuritaire, avec un axe important dédié aux relations “people to people”.

S’il s’agit d’une rupture fondamentale dans les relations israélo-arabes, car toute normalisation était honnie et jusque-là conditionné au retrait des Territoires Palestiniens Occupés (TPO) en 1967 et à l’établissement d’un Etat palestinien, suivant l’initiative du roi Abdallah al Saoud de 2001, elle reflète un changement structurel des dynamiques politiques au Moyen-Orient. Toutefois, la guerre de Gaza a bel et bien freiné le développement du rapprochement israélo-marocain et terni l’image des accords d’Abraham auprès de l’opinion publique marocaine. Quel est donc l’impact de la guerre de Gaza et sa régionalisation sur la normalisation entre le Maroc et Israël ?

L’obstacle d’une opinion publique hostile

Si l’annonce de la normalisation entre le Maroc et Israël n’a pas susité l’engouement des Marocains, ces derniers ont davantage pris en considération les gains stratégiques et économiques d’un tel tournant diplomatique. D’abord la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par les Etats-Unis mentionnée dans le texte de la Déclaration Tripartite (signée par des officiels américain, israélien et américain) de la normalisation. Un tel soutien a marqué l’opinion marocaine pour qui car la cause du Sahara marocain est primoridale, symbole de patriotisme. Les projets d’investissements israéliens dans des secteurs innovants et le développement des capacités militaires marocaines avec l’aide de l’expertise israélienne, notamment contre le voisin algérien rival ont fait l’objet d’un consensus national enthousiaste.  Cependant, malgré de nombreuses actions menés conjointement par des structures associatives israéliennes et marocaines pour promouvoir les accords d’Abraham auprès des Marocains, en particulier de la jeunesse, notamment à travers des visites de délégations marocaines en Israël organisés par exemple par l’association Sharaka,  entre 65% et 80% de l’opinion publique marocaine se prononçait majoritairement contre la normalisation  avec Israël,   selon des sondages effectués par l’Arab Barometer et l’Arab Center Washington DC.

Dès le début de l’offensive israélienne sur Gaza le 7 octobre 2023, les atrocités commises par l’armée israélienne ont profondément marqué l’opinion marocaine. Les manifestations anti-normalisation, jusque-là interdites ou ponctuellement tolérées et rassemblant quelques militants opposés aux pouvoirs marocains, sont désormais authorisés. Par exemple, des rassemblements ont lieu chaque semaine devant le Parlement marocain à Rabat, en soirée, demandant la rupture des accords “de la honte”. Des comités palestiniens estudiantins sont créés dans certaines universités marocaines, demandant la rupture des partenariats établis avec des universités israéliennes. Le cas de l’Université UM6P à Salé est marquant, puisque la pétition envoyée à l’administration cet été, réunissant plus de 1000 signatures, demandant  la suspension des collaborations avec les établissements israéliens a conduit à l’annulation de la cérémonie de remise des diplômes prévue en juillet 2024. Enfin, les actions de boycott ont gagné de l’ampleur, visant à la fois des entreprises étrangères comme Mcdonald’s ou Pepsi et des sociétés marocaines ayant des liens économiques avec l’Etat hébreu.

Une position ambivalente sur le dossier israélo-palestinien

La Déclaration Tripartite fait mention du soutien inchangé du Maroc à la cause palestinienne, mais de nombreux observateurs relèvent le paradoxe d’établir des relations diplomatiques avec Israel pour un Etat arabe et musulman comme le Maroc. Par exemple, le Fatah s’est insurgé contre cette nouvelle alliance, la qualifiant de « coup de poignard dans le dos de Jérusalem ».  Il convient cependant de rappeler que le royaume a entretenu des liens officieux avec Israël depuis 1961, principalement sécuritaires, comprenant notamment une assistance marocaine dans l’organisation des Alyas juive marocaines et l’appui israélien dans la construction du “Mur des sables”. Quant à aux relations palestino-marocaines, ils sont tout d’abord d’ordre civilisationnel et religieux, avec un attachement particulier pour Jérusalem.

Toutefois, bien que le Maroc a toujours soutenu la cause palestinienne, le roi Mohammed V l’a qualifié de “cause nationale” lors de sa visite à Jérusalem en 1960, des tensions ont entachés les liens maroco-palestiniens. En effet,  la proximité des pouvoirs marocains avec Israël a naturellement déplu à certains membres de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dont certains membres ont appuyé ouvertement le front du Polisario dans sa revendication du Sahara occidental.

La normalisation du Maroc avec Israël est perçue comme une trahison par de nombreux Palestiniens. Le royaume a tenté d’effacer cette représentation en communiquant sur les potentiels bienfaits d’un rapprochement diplomatique avec Israël : favoriser la paix et servir d’acteur privilégié, voir de médiateur dans les négociations avec Israël et agir pour la protection de Jérusalem par le biais du Comité al Quds, présidé par le roi Mohammed VI. Les actions de ce comité, qui offre une assistance “humanitaire” aux Jérusalémites palestiniens, sont d’ailleurs très médiatisées au Maroc.

Cependant, au cours de la guerre de Gaza, il s’est avéré que le Maroc ne possède pas de leviers d’influence sur Israël. Ses condamnations répétées et ses appels à la déséscaldade militaire, notamment lors de sommets de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), sont peu entendus côté israélien. Surtout, le royaume n’a pas rompu ses liens avec Israël, le Bureau de liaison israélien à Rabat est toujours ouvert. Des éléments d’ordre stratégique éclairent sur cette décision qui peut sembler étonnante.

Des intérêts stratégiques en jeux : La consolidation de la marocanité du Sahara occidental

L’établissement de liens officiels avec Israël a permis au Maroc de réaliser des avancées majeures sur un dossier qu’il considère comme stratégique : le Sahara marocain. Le territoire du Sahara occidental compte une importante façade maritime de 950 km et des ressources halieutiques et énergétiques assez conséquentes. D’abord revendiqué par le Maroc et la Mauritanie alors qu’il était sous dominé par l’Espagne de Franco, un conflit oppose le royaume au Front Polisario, soutenu par l’Algérie sur ce territoire à  la fin de la colonisation espagnole en 1975. En échange de la reprise des relations diplomatiques avec Israël, le Maroc a obtenu la reconnaissance américaine  officielle de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, qui représente un tournant majeur pour sa diplomatie. C’est la première fois qu’un pays influent, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, appuie explicitement la revendication marocaine sur le territoire. Fort de cet appui, le roi Mohammed VI a fait la déclaration suivante en 2022 « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international”. On note que depuis fin 2020, plusieurs pays, dont  l’Allemagne, la France, l’Espagne, les Pays bas et la Belgique soutiennent également le plan d’autonomie marocain, proposé comme solution au conflit du Sahara occidental depuis 2007.

Israël a également reconnu la souveraineté du  Maroc sur le Sahara occidental en 2023 et l’appui dans la valorisation économique de ce territoire. En effet, deux entreprises israéliennes, Ratio Petroleum et NewMed Energy ont conclu des accords pour l’exploration exclusive d’hydrocarbures aux côtes atlantiques de Dakhla, respectivement en 2021 et en 2022.

Des liens militaro-sécuritaires étroits avec Israël

La coopération militaire entre le Maroc et Israël se trouve au cœur des relations stratégiques renforcées entre les deux nations, un partenariat qui semble désormais lié à des conditions imposées par les États-Unis. En effet, la loi budgétaire américaine, le National Defense Authorization Act (NDAA), signée par le président Biden, fait explicitement référence à la déclaration tripartite de 2020, qui avait marqué la normalisation des relations israélo-marocaines. De plus, pour la deuxième année consécutive, cette loi ne mentionne pas la clause de résolution du conflit du Sahara occidental, renforçant l’idée que la coopération militaire, y compris les ventes d’armements américains, est conditionnée par cette normalisation. Dans ce contexte, le Maroc a continué à renforcer ses capacités militaires avec le soutien israélien. Le soutien américain aux accords d’Abraham résulte autant de considérations de politique intérieure que d’enjeux géopolitiques. L’administration Trump avait misé sur ces accords pour consolider l’électorat évangélique et pro-israélien aux États-Unis. L’administration Biden, malgré une approche différente au Moyen-Orient, a poursuivi cette politique, influencée par les pressions de groupes de lobbying pro-israéliens et par des intérêts économiques liés aux ventes d’armement et aux investissements stratégiques dans la région. En mai 2024, plusieurs médias ont révélé que le Maroc envisageait l’acquisition de drones militaires américains SeaGuardian, dans le cadre d’une vente d’armement négociée lors de l’administration Trump. En parallèle, la société israélienne BlueBird Aero Systems a annoncé l’ouverture d’une unité de production de drones au Maroc, matérialisant ainsi les discussions entamées en 2021 sur le développement de l’industrie militaire marocaine avec l’aide israélienne.

Conclusion

En conclusion, bien que le Maroc soit confronté à une opinion publique largement hostile à la normalisation avec Israël, et à un malaise croissant face à l’ambiguïté de sa position concernant les guerres du Proche-Orient, il continue de maintenir ses liens officiels avec Israël. Cette décision repose sur des considérations stratégiques majeures, telles que la consolidation de sa souveraineté sur le Sahara occidental et des bénéfices en matière de coopération militaire et sécuritaire. Toutefois, cette normalisation est loin de faire l’unanimité au sein de la population marocaine, comme en témoigne l’ampleur croissante des manifestations internes, notamment celles contre l’approvisionnement militaire israélien, illustrant les contradictions entre la politique officielle et les sentiments populaires. Le Maroc se trouve ainsi dans une position délicate, où il tente de concilier des intérêts géopolitiques de long terme avec les pressions internes.

de Lamia El Fehaim

Bibliographie

Articles

Livres

  • Bensimon, Agnès, Hassan 2 et les Juifs, Éditions Seuil, 1991.
  • Kader, Abderrahim, Géopolitique du Maroc, Biblio monde, 2018.

Centres de recherche

  • Arab Barometer, The Biden Honeymoon: Changing views of the US across Arab Barometer Wave 6, 2021.
  • Arab Barometer, The Biden Honeymoon: Changing views of the US across Arab Barometer Wave 6, 2021.
  • Arab Barometer, Morocco Report, Octobre 2022.
  • Arab Center Washington DC, Arab Opinion Index, 202.
  • Joint declaration US-Morocco-Israël, www.state.gov.

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Le conflit syrien: une tragédie humaine et juridique

Depuis le début de la révolution syrienne en mars 2011, le conflit n’a cessé de se transformer en un engrenage de violence, marqué par des attaques répétées contre la population civile. Alors que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme estimait en 2022 que 300000 civils avaient péri, l’Observatoire syrien des droits de l’homme porte ce bilan à plus de 500000. Au-delà des chiffres, le conflit syrien a généré des millions de déplacés, et poussé autant de Syriens à s’exiler. La question du droit des victimes reste aujourd’hui un enjeu crucial pour une population qui réclame justice et reconnaissance de ses souffrances.

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