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Quelles perspectives pour le Moyen-Orient à l’aune de l’investiture de Donald Trump?

Le 12 novembre 2024, Donald Trump, fraichement réélu à la Maison Blanche, annonçait la nomination de Steven Witkoff, affairiste et partenaire de golf de Trump, en tant qu’émissaire spécial du président au Moyen-Orient.  Witkoff était présent le 24 juillet 2024 lors du discours de Benjamin Netanyahu au Congrès américain, qu’il a qualifié de «moment spirituel». Cette nomination fait écho avec la volonté du gouvernement israélien de dessiner un «nouveau Moyen-Orient», qui s’est illustrée lors du discours de Netanyahu devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2024.

Il est clair qu’une accélération de l’histoire est à l’œuvre au Moyen-Orient depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. 

D’une part, la confrontation entre Israël et l’Iran s’est imposée au premier plan des événements régionaux et a rapidement tourné à l’avantage de l’État hébreu qui, par l’intensité de ses opérations militaires et la force de son renseignement, a mis au pied du mur le Hamas et le Hezbollah, deux piliers de l’axe de la résistance iranien.  

D’autre part, plus récemment, les rebelles syriens d’Hayat Tahrir al-Cham ont saisi la fenêtre d’opportunité géopolitique qui s’était ouverte – affaiblissement du Hezbollah et de l’Iran d’une part et désengagement russe d’autre part – pour lancer une offensive éclair contre les forces du régime syrien, aboutissant à la chute de Bachar el-Assad le 8 décembre 2024 et privant l’Iran de son axe logistique qui lui permettait de relier Téhéran, Damas et Beyrouth. 

Ainsi, à l’aube de l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche, tous les alliés des États-Unis impliqués dans ces bouleversements, bien qu’ils ne soient pas alignés entre eux (Turquie, Israël et forces kurdes) sont en position de force, tandis que l’Iran et l’axe de la résistance (Hamas, Hezbollah, Houthis, Bachar el-Assad) sont dos au mur. Aussi, les pays du Golfe, et en premier lieu l’Arabie saoudite alliés des États-Unis, maintiennent une position attentiste qui préserve leurs intérêts.

En quoi les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 et les représailles israéliennes ont-elles révélé et bouleversé les rapports de force entre les principaux acteurs régionaux, ouvrant la voie à une recomposition majeure de la région orchestrée par Washington et ses alliés ?

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche coïncide avec une nouvelle donne au Moyen-Orient dans laquelle les États-Unis et leurs alliés se retrouvent en position de force

  • L’intensité des opérations militaires israéliennes en réponse aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023 ont mis des alliés majeurs de Téhéran au pied du mur. 

L’attaque du Hamas en octobre 2023 a offert à Israël un prétexte pour mener une série d’opérations militaires d’une ampleur inédite. Sous la direction de Benjamin Netanyahu, l’Etat hébreu a utilisé tous les moyens à sa disposition, notamment son puissant appareil de renseignement, pour identifier et frapper les infrastructures critiques et les leaders du Hamas. Ces « représailles » militaires ont également abouti à la destruction de la majorité des infrastructures civiles de la bande de Gaza, ainsi qu’à la mort de près de 50 000 personnes à ce jour, dont la majorité écrasante est civile.

En parallèle, le Hezbollah au Liban, autre allié de l’Iran, a été confronté à une pression militaire croissante, ce qui a limité sa capacité à réagir. Ces actions ont révélé une asymétrie notable entre les capacités militaires d’Israël et celles de l’Iran et de ses alliés. Les attaques des bipeurs du Hezbollah, puis l’assassinat des cadres dirigeants du Hezbollah en un temps record ont démontré la suprématie technologique et militaire israélienne.

Pour l’Iran, ces événements constituent un revers majeur. Acculé à la fois sur le plan militaire et économique, le régime des mollahs voit son influence régionale remise en question. La stratégie israélienne, soutenue activement par les États-Unis, illustre une volonté claire de neutraliser l’axe de la résistance avant qu’il ne puisse se reconstituer.

  • La chute du régime de Bachar el-Assad, seul régime souverain de la région aligné sur l’Iran, renforce la position d’Israël et de la Turquie, alliés de Washington.

Le 8 décembre 2024, le régime syrien dirigé par Bachar el-Assad a été renversé à la suite d’une offensive majeure lancée par les rebelles d’Hayat Tahrir al-Cham. Ce développement a changé la donne pour l’Iran, qui considérait la Syrie comme un pivot essentiel de son influence dans la région.

La chute de Damas a entraîné l’effondrement de l’axe logistique reliant Téhéran à Beyrouth via la Syrie. Les milices soutenues par l’Iran ont également été affaiblies, rendant difficile leur coordination et leur réapprovisionnement. Par ailleurs, la Russie, traditionnellement alliée de Damas, s’est trouvée dans l’incapacité d’intervenir pleinement, son attention étant focalisée sur la guerre en Ukraine.

Pour la Turquie, cette situation représente une opportunité de renforcer son contrôle sur le nord de la Syrie tout en écartant les menaces posées par les forces kurdes. Israël, de son côté, profite également de l’affaiblissement d’un ennemi stratégique de longue date, en avançant ses positions militaires dans le Golan et en détruisant les capacités aériennes et navales de l’armée syrienne. Enfin, les États-Unis se retrouvent en position favorable pour influencer les développements futurs, grâce à leur présence militaire et diplomatique dans la région.

Ce nouveau rapport de force constitue une opportunité historique pour Donald Trump de redessiner la région selon ses objectifs et intérêts

  • Donald Trump peut réussir là où nombreux ont échoué en « orchestrant » la signature d’un « grand deal » régional entre les puissances alliées des États-Unis.

Donald Trump, connu pour son approche transactionnelle des relations internationales, peut voir dans ce nouveau contexte une chance unique de s’imposer comme le maître d’œuvre d’un « grand deal » régional. L’objectif : créer une stabilité durable en alignant les intérêts de ses principaux alliés. Un tel accord impliquerait Israël, les monarchies du Golfe avec en tête de proue l’Arabie saoudite, et potentiellement la Turquie, afin de former un bloc solide capable de contenir la menace iranienne.

Toutefois, cette entreprise repose sur plusieurs préalables complexes. Tout d’abord, un effort pour résoudre le conflit israélo-palestinien sera probablement à l’ordre du jour, puisque Mohammad ben Salman ne pourra normaliser avec Israël que s’il obtient des garanties sur la sécurité des Palestiniens et un nouveau processus visant à la création d’un État palestinien. Bien que de nombreux présidents américains aient échoué sur ce front, Trump pourrait tenter d’utiliser sa réputation de « faiseur de deals » pour relancer les négociations.

Par ailleurs, réouvrir des discussions avec l’Iran sur le dossier nucléaire est une condition essentielle. En échange d’un allègement des sanctions économiques, les États-Unis pourraient exiger de l’Iran une réduction significative de son programme nucléaire et un retrait de son soutien à certains groupes armés. Cette approche demanderait une habileté diplomatique rare, mais si elle réussit, elle pourrait poser les bases d’une période de stabilité sans précédent dans la région.

  • Donald Trump peut choisir de redessiner le Moyen-Orient à l’image des intérêts du gouvernement israélien en portant un coup fatal à l’Iran et à ses alliés.

Une autre voie possible pour Trump serait de soutenir pleinement une stratégie de confrontation directe avec l’Iran. Cette option, largement encouragée par les membres les plus extrêmes (Ben Gvir et Smotrich) du gouvernement Netanyahu, viserait à exploiter le rapport de force actuel pour neutraliser définitivement le régime des mollahs. Cela pourrait inclure des frappes ciblées sur les installations nucléaires iraniennes, un soutien militaire accru à Israël et des sanctions économiques encore plus strictes.

Cependant, une telle stratégie comporte des risques élevés. Une escalade militaire pourrait rapidement s’étendre au-delà des frontières de l’Iran, affectant gravement les économies dépendantes du pétrole et provoquant une instabilité généralisée. De plus, les opinions publiques dans les pays arabes pourraient se retourner contre leurs gouvernements en raison de la perception d’une alliance trop étroite avec Israël et les États-Unis.

En conclusion, c’est le premier scénario qui semble avoir le vent en poupe, à l’aube de l’investiture de Donald Trump. En effet, le déblocage de la situation politique libanaise, qui a récemment abouti à l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République et celle du juriste international Nawaf Salam, révèlent la volonté des puissances arabes, l’Arabie saoudite en tête, et des États-Unis d’avancer leurs pions au Moyen-Orient de façon pacifique. Si l’élection de ces deux candidats soulève de nombreux espoirs de réforme parmi les Libanais, il est clair qu’ils étaient les candidats favoris des Américains et Saoudiens.

Cependant, trois sujets majeurs peuvent encore torpiller cette dynamique

Tout d’abord, la frange la plus extrême du gouvernement israélien se démène afin de torpiller tout cessez-le-feu avec le Hamas, plaçant Netanyahu dans une positions délicate sur la scène interne. Or, la mise en œuvre et le respect du cessez-le-feu par les parties prenantes est une condition pour la reprise de négociations concernant la normalisation israélo-saoudienne.

Ensuite, si le gouvernement provisoire en Syrie semble gérer la transition de pouvoir avec une relative stabilité, il lui reste plusieurs défis fondamentaux à relever, tels que la poursuite du désarmement des anciennes forces armées ou encore l’intégration de l’ensemble des milices à la nouvelle armée nationale et l’extension de son pouvoir au Nord et à l’Est, où les forces pro-turques de l’Armée nationale syrienne continuent de combattre les Forces démocratiques syriennes, à majorité kurde.

Enfin, la réaction de l’Iran et du Hezbollah face à cette recomposition qui voit leur influence se réduire reste imprévisible. Marginaliser à outrance ces deux acteurs pourrait entrainer une riposte violente de leur part, afin de conserver une place dans les jeux de pouvoir régionaux.

Bibliographie

https://fr.timesofisrael.com/donald-trump-nomme-steven-witkoff-au-poste-denvoye-special-au-moyen-orient/

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/evenements/actualites-2024/article/syrie-chute-du-regime-de-bachar-al-assad-08-12-2024?utm

https://www.taurillon.org/chute-de-bachar-al-assad-quel-avenir-pour-la-syrie

https://www.rtl.fr/actu/international/chute-de-bachar-al-assad-comment-les-rebelles-ont-renverse-le-president-en-12-jours-7900450536?utm

https://information.tv5monde.com/international/syrie-lapres-bachar-al-assad

De Victor Jardin

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