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Soudan : une crise affectant les enfants (2/2)

III. Contexte juridique (DIH…)

Le conflit soudanais est un conflit armé non international dans lequel s’appliquent à la fois le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l’homme (DIDH) [1].

En vertu du droit international humanitaire, les enfants bénéficient d’une large protection. Ils bénéficient de la protection générale accordée à tous les civils qui ne participent pas aux hostilités en vertu de l’article 3 commun aux conventions de Genève et au deuxième protocole additionnel (APII), qui garantit leur droit à la vie et à la protection contre la coercition, les châtiments corporels, la torture, les punitions collectives et les représailles. Ils bénéficient également des garanties fondamentales accordées aux personnes qui ne participent pas activement aux hostilités (article 3 des conventions de Genève et article 4 du protocole additionnel) [2].

Compte tenu de leur vulnérabilité, les enfants bénéficient également d’une protection spéciale en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du protocole additionnel II. Cette protection comprend, entre autres, des efforts pour réunir les familles séparées et l’interdiction de recruter des enfants de moins de 15 ans dans des forces ou des groupes armés. Même si les enfants de moins de 15 ans participent aux hostilités, ils conservent ces protections et des mesures doivent être prises pour les retirer des zones de conflit et les placer dans des zones plus sûres à l’intérieur du pays.

Le droit coutumier accorde également une protection spéciale aux enfants : la règle 135 de l’étude de 2005 du CICR sur le DIH coutumier énonce que les enfants touchés par un conflit armé ont droit à un respect et à une protection particuliers dans les conflits armés internationaux et non internationaux [3]. Cela se traduit par : la protection contre toutes les formes de violence sexuelle (voir aussi la règle 93) ; la séparation des adultes privés de liberté, sauf s’ils sont membres de la même famille (voir aussi la règle 120) ; l’accès à l’éducation, à la nourriture et aux soins de santé (voir aussi les règles 55, 118 et 131) ; l’évacuation des zones de combat pour des raisons de sécurité (voir aussi la règle 129) ; et la réunification des enfants non accompagnés avec leur famille (voir aussi les règles 105 et 131) [4].

La règle 136 établit clairement que les enfants ne doivent pas être recrutés dans les forces armées ou les groupes armés [5]. Ce principe est inscrit dans de multiples instruments internationaux [6] et reflété dans les lois nationales de plusieurs pays [7]. Cependant, comme le montrent les conclusions de la mission d’enquête et les rapports du Secrétaire général, cette interdiction n’est absolument pas respectée au Soudan. En outre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a reçu des rapports alléguant que les FAR recrutaient activement des enfants à El Fasher. Dans certains cas, le recrutement a été décrit comme « volontaire », tandis que dans d’autres, il s’est fait par enlèvement et coercition [8].

Le Soudan a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) en 1990 et est donc tenu de respecter les normes qui prévoient que les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des enfants de moins de 15 ans ne participent à des hostilités. Le protocole facultatif à la CIDE, que le Soudan a ratifié en 2005, renforce la protection des enfants : il relève l’âge minimum pour participer à un conflit armé de 15 à 18 ans (article 1) et interdit le recrutement de mineurs (article 2). Au niveau régional, le pays est partie à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant [9].

En mai 2023, les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide ont signé la Déclaration d’engagement de Djeddah pour la protection des civils du Soudan. En vertu de cet accord, elles se sont engagées, entre autres, à s’abstenir de recruter des enfants et de les utiliser dans les hostilités [10].

Par ailleurs, le droit national soudanais, tel qu’il est défini dans le document constitutionnel transitoire de 2019 (modifié en 2020 par l’accord de paix de Juba), garantit l’ensemble des droits de l’homme, y compris les protections spécifiques aux enfants en temps de guerre, telles que le droit à la vie, à la dignité, à la sécurité personnelle et à l’absence de torture, de traitement inhumain et de travail forcé [11].

IV. Mise en œuvre et responsabilité

Malgré la ratification par le Soudan des principaux traités internationaux et l’existence de lois nationales interdisant le recrutement d’enfants et d’autres abus, l’application de ces lois reste faible, voire inexistante [12]. Les forces armées soudanaises et les forces de sécurité soudanaises continuent de violer les lois sur la protection des enfants en toute impunité. La déclaration de Djedda comportait des engagements à s’abstenir de recruter des enfants et à protéger les civils, mais ces engagements ne se sont pas traduits par des actions significatives sur le terrain. L’absence de mécanismes de responsabilisation au sein de l’armée et du système judiciaire soudanais ne fait qu’exacerber le problème, permettant aux auteurs de ces actes d’agir sans conséquence [13].

En outre, la législation nationale soudanaise n’est pas entièrement alignée sur les normes internationales. La Loi No. 12 de 2020, qui a modifié la loi pénale de 1991, définit un adulte comme toute personne âgée de plus de 18 ans, mais autorise la responsabilité pénale sur la base de la puberté. Cette lacune juridique suscite des inquiétudes quant au traitement des enfants combattants, qui risquent d’être poursuivis en justice plutôt que d’être réhabilité. La mission d’enquête a également noté que la législation soudanaise n’incrimine pas explicitement le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, ce qui met en évidence une lacune importante dans le respect des obligations internationales par le pays [14].

Des mécanismes internationaux de responsabilisation ont été mis en place pour lutter contre les violations généralisées commises à l’encontre des enfants au Soudan, mais leur efficacité reste limitée. Comme indiqué précédemment, la CPI est compétente pour les crimes commis au Darfour en vertu de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité des Nations unies, et les enquêtes se poursuivent [15]. Cependant, la portée de la Cour est limitée et aucune nouvelle mise en accusation ou arrestation n’a été signalée concernant les violations commises à l’encontre des enfants [16].

Le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Union africaine ont condamné le recrutement et le ciblage des enfants, mais les mécanismes d’application restent faibles [17]. Les acteurs régionaux, notamment l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et l’Union africaine, ont appelé au rétablissement d’un dialogue politique soudanais ouvert à tous, mais ces appels n’ont pas été effectivement mis en œuvre [18]. La responsabilité au niveau national reste pratiquement inexistante, car les tribunaux soudanais n’ont pas la capacité ou la volonté de poursuivre les personnes responsables de crimes de guerre, y compris le recrutement d’enfants et les attaques contre les écoles et les hôpitaux [19].

Notes

1 HCDH. 20 décembre 2024. “Report of OHCHR Sudan Country Office on the siege of El Fasher, North Darfur since May 2024,”. Disponible en anglais à : https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/report-ohchr-sudan-country-office-siege-el-fasher-north-darfur-may-2024
2 Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Conventions de Genève du 12 août 1949, article 3 commun ; et Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977. Disponible à : https://www.icrc.org/fr/les-conventions-de-geneve-et-le-droit
3 CICR. Base de données. DIH Coutumier. DIH coutumier. Consulté le 23 janvier 2025 à : https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl. Règle 135.
4 CICR. 28 février 2003. La protection juridique des enfants dans les conflits armés. Consulté le 23 janvier 2024 à : https://www.icrc.org/fr/document/la-protection-juridique-des-enfants-dans-les-conflits-armes.                                                                                      5 CICR. Base de données. DIH Coutumier. op. cit. Règle 136.
6 Convention relative aux droits de l'enfant, article 38(3) ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant,article 22(2) ; Convention sur les pires formes de travail des enfants, articles 1 et 3.
7 Selon l’ouvrage de Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Customary International Humanitarian Law, Volume I: Rules, International Committee of the Red Cross (ICRC) au chapitre 39, à la règle 136 et sa note de bas de page n°59, ces pays sont les suivants : Allemagne, Australie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Biélorussie, Canada, Colombie, Congo, Espagne, Géorgie, Irlande, Jordanie, Malawi, Malaisie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines, Royaume-Uni et Ukraine ; ainsi que les projets de loi de l'Argentine, du Burundi et de Trinité-et-Tobago.
8 HCDH. 20 décembre 2024. “Report of OHCHR Sudan Country Office on the siege of El Fasher, North Darfur since May 2024,”. Disponible en anglais à : https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/report-ohchr-sudan-country-office-siege-el-fasher-north-darfur-may-2024
9 A/HRC/57/CRP.6, §35 et 37
10 A/HRC/57/CRP.6, §48
11 A/HRC/57/CRP.6, §49
12 HCDH. 6 septembre 2024. Communiqué de presse. “Sudan: UN Fact-Finding Mission outlines extensive human rights violations, international crimes, urges protection of civilians,”. Disponible en anglais à : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/09/sudan-un-fact-finding-mission-outlines-extensive-human-rights-violations                                                                                                            13 HCDH. “Sudan: UN Fact-Finding Mission outlines extensive human rights violations, international crimes, urges protection of civilians,”. op. cit.
14 A/HRC/57/CRP.6 §305
15 Statement of ICC Prosecutor, Karim A. A. Khan KC. op. cit.
16 Vibhu Mishra, “Darfur: ICC Prosecutor urges immediate action to address atrocities,” UN News, 27 January 2025. Also available online at: https://news.un.org/en/story/2025/01/1159501
17 HCDH. “Sudan: UN Fact-Finding Mission outlines extensive human rights violations, international crimes, urges protection of civilians,”. op. cit.
18 Conseil de Sécurité des Nations Unies, 12 novembre 2024. Communiqué de Presse. “Noting Both Warring Parties in Sudan Bear Responsibility for Violence, Senior Official, Briefing Security Council, Urges Ceasefire, Negotiated Solution,” 9780th Meeting (AM), SC/15893. Disponible en anglais à : https://press.un.org/en/2024/sc15893.doc.htm
19 HCDH. “Sudan: UN Fact-Finding Mission outlines extensive human rights violations, international crimes, urges protection of civilians,”. op. cit.

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