Jeudi 15 février 2018 – 18h30-20h30
Présentation du numéro 37 de la revue Moyen-Orient sur le thème Turquie, le tournant autoritaire et du livre Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan de Guillaume Perrier (Solin Actes Sud, 2018).
Rencontre avec:
Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble. Il y dirige le master Intégration et mutations en Méditerranée et au Moyen-Orient. Il est l’auteur de La Nouvelle Egypte, idées reçues sur un pays en mutation (Paris, Le Cavalier Bleu, 2013), de Vingt ans de changements en Turquie, 1992-2012 (Paris, l’Harmattan, Istanbul, Université de Galatasaray, 2013) avec Füsun Türkmen (dir.) et de La Turquie à l’heure de l’Europe (Presses universitaires de Grenoble, 2008) avec Jean-Paul Burdy. Auteur de l’article Les multiples visages de l’AKP dans le numéro 37 de la Revue Moyen-Orient.
Guillaume Perrier, journaliste et auteur. Il a couvert l’actualité turque pour le Monde de 2004 à 2014 et continue à travailler sur la Turquie depuis. Il est l’auteur de La Turquie et le Fantôme arménien (avec Laure Marchand, 2013) et du film Erdoğan, l’ivresse du pouvoir (Arte 2016). Son dernier livre Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan vient de sortir aux éditions Solin Actes Sud.
Modération: Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient.
Auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur les problématiques régionales, il a en outre rédigé de multiples études et notes de consultance pour des institutions françaises (ministère de la Défense, ministère des Affaires étrangères) ainsi que pour des entreprises françaises agissant au Moyen-Orient. Il a rejoint l’IRIS en 1991 et en est devenu un des directeurs adjoints, après avoir été directeur des études, puis directeur des publications et rédacteur en chef de La Revue internationale et stratégique.
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Présentation des éditeurs
Numéro 37 de la revue Moyen-Orient
Le triomphalisme qui prévaut depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016 cache pourtant mal de nombreuses zones d’ombre. la Turquie a du mal à retrouver le chemin de la croissance économique des années 2000. Elle est engagée dans deux guerres, l’une en Syrie, l’autre en sur son propre territoire, dans les provinces du sud-est, où la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a repris.
Sur le plan international, la politique étrangère d’Ankara est devenue de moins en moins lisible, en s’éloignant des alliés occidentaux sans rompre définitivement avec eux, et en se rapprochant de la Russie et de l’Iran, sans pouvoir conclure d’alliance stratégique alternative avec ces deux pays. Surtout, les rêves de grandeur de Recep Tayyip Erdogan se font au détriment de la démocratie, polarisant dangereusement la société turque. Lors du référendum constitutionnel d’avril 2017, près d’un électeur sur deux a voté contre le projet de présidentialisation autoritaire qui doit entrer en vigueur en 2019. En attendant, la peur devient un système de gouvernement pour neutraliser ceux qui osent le critiquer (journalistes, universitaires, défenseurs des droits de l’Homme…) et qui risquent au mieux le licenciement, au pire l’emprisonnement. La stabilité politique et économique pour les années à venir n’est donc pas acquise, si bien que le régime n’est pas invulnérable, bien au contraire – Extrait de l’éditorial
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Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan, par Guillaume Perrier
Comment cet homme politique, proche du Turc de la rue, au pouvoir depuis 2003, porté par la réussite économique insolente de son pays, est-il parvenu à vampiriser la vie politique sans jamais craindre d’institutionnaliser l’opportunisme comme méthode de gouvernance ?
On se souvient qu’il voulait adhérer à l’Union européenne, qu’il était le “frère” de Bachar el-Assad, l’allié d’Israël, qu’il négociait avec les Kurdes du PKK, qu’il marchait main dans la main avec Fethullah Gülen, son ennemi juré d’aujourd’hui. De plus en plus mystique après le coup d’État manqué de 2016 – “un don de Dieu”, dit-il –, il se compare volontiers au prophète Mahomet sauvé à Médine par une araignée. Citant le Coran à tout-va, l’hyper-président, installé dans son palais monumental de mille cent cinquante pièces, se veut aussi le successeur d’Atatürk, et pourquoi pas, bientôt, celui de Soliman le Magnifique.
Il demeure un acteur incontournable dans un Moyen-Orient en pleine recomposition et d’une complexité redoutable. Mais pour combien de temps ? Jusqu’en 2029 comme il le souhaite ?
Entre-temps, il sera devenu le fossoyeur de la fragile démocratie turque en menant une répression de masse impitoyable contre des milliers d’“opposants”, tout spécialement contre les journalistes du pays qui occupe la 155e place sur 180 au classement 2017 de la liberté de la presse.