Le 19 février, la chronique s’intitule « Le génie est sorti de la bouteille »
« VOILÀ une histoire sortie tout droit des “Mille et une nuits”. Le génie est sorti de la bouteille, et aucune puissance au monde ne peut l’y faire entrer à nouveau.
Quand cela s’est produit en Tunisie, on aurait bien pu dire : d’accord, un pays arabe, mais un pays d’importance mineure. Il a toujours été un peu plus progressiste que les autres. Ce n’est qu’un incident isolé. Et puis c’est arrivé en Égypte. Un pays pivot. Le cœur du monde arabe. Le centre spirituel de l’islam sunnite. Mais on aurait pu dire : l’Égypte est un cas particulier. La terre des pharaons. Des milliers d’années d’histoire avant même que les Arabes n’y arrivent. Mais maintenant cela s’est étendu à l’ensemble du monde arabe. À l’Algérie, à Bahrein, au Yémen, à la Jordanie, à la Libye, même au Maroc. Et aussi à l’Iran qui n’est ni sunnite ni arabe.
Le génie de la révolution, du renouveau, du rajeunissement est maintenant en train de hanter tous les régimes de la région. Il se pourrait bien que les habitants de la “Villa dans la jungle” [3] se réveillent un matin en découvrant que la jungle a disparu, que nous sommes entourés par un nouveau paysage.
Lorsque nos pères sionistes décidèrent d’établir un havre de sécurité en Palestine, ils avaient le choix entre deux options :
Ils pouvaient se présenter en Asie de l’ouest comme des conquérants européens qui se considèrent comme une tête de pont de l’homme “blanc” et comme le maître des “indigènes”, comme les conquistadors espagnols et les colonialistes anglo-saxons en Amérique. C’est ce que firent en leur temps les croisés. La seconde option consistait à se considérer comme un peuple asiatique de retour dans sa patrie, les héritiers des traditions politiques et culturelles du monde sémite, prêts à prendre part, avec les autres peuples de la région, à la guerre de libération de l’exploitation européenne. J’ai écrit ces mots il y a 64 ans, dans une brochure parue juste deux mois avant le déclenchement de la guerre de 1948. Je maintiens ces mots aujourd’hui.
En ces jours j’éprouve le sentiment de plus en plus fort que nous nous trouvons une fois encore à une croisée des chemins historique. La direction que nous allons choisir dans les prochains jours va déterminer la destinée de l’État d’Israël pour les années à venir, de façon peut-être irréversible. Si nous choisissons la mauvaise voie, nous aurons “des larmes pour des générations”, comme l’exprime le dicton hébreu.
Le plus grand des dangers réside peut-être même dans le fait que nous ne fassions aucun choix, (…) Que nous ne nous rendions même pas compte que l’histoire est en train de passer devant nous, nous laissant loin derrière.
Lorsque nos hommes politiques et nos experts trouvèrent assez de temps – au milieu de leurs distractions quotidiennes – pour s’occuper des événements qui se déroulent autour de nous, ce fut de la même et (tristement) familière façon que par le passé.
Même dans les quelques rares émissions un peu intelligentes, l’idée que les “Arabes” puissent fonder des démocraties suscitait beaucoup d’hilarité. De doctes professeurs et des commentateurs des médias “prouvèrent” qu’une telle chose ne pouvait tout simplement pas se produire – l’islam était “par nature” anti-démocratique et rétrograde, les sociétés arabes étaient dépourvues de l’éthique des chrétiens protestants dont a besoin la démocratie et des fondements capitalistes d’une véritable classe moyenne, etc. Au mieux une forme de despotisme cèderait la place à une autre.
La conclusion la plus courante était que des élections démocratiques conduiraient inévitablement à la victoire d’“islamistes” fanatiques qui établiraient des théocraties brutales à la façon des Talibans, ou pire.
Bien sûr ceci est en partie de la propagande délibérée, destinée à convaincre les Américains et les Européens naïfs qu’ils doivent soutenir les Moubarak de la région ou de fortes personnalités militaires. Mais c’était en majeure partie tout à fait sincère : la plupart des Israéliens pensent réellement que les Arabes, livrés à eux-mêmes, vont mettre en place des régimes “islamistes” meurtriers, dont le principal objectif serait de rayer Israël de la carte.
Les Israéliens ordinaires ne savent presque rien de l’Islam et du monde arabe. Comme répondait il y a 65 ans un général israélien (de gauche) lorsqu’on lui demandait comment il voyait le monde arabe : “par la mire de mon fusil.” Tout est ramené à la “sécurité”, et l’insécurité empêche, naturellement, toute réflexion sérieuse.
Cette attitude remonte aux débuts du mouvement sioniste.
Son fondateur – Théodore Herzl – écrivit dans son traité historique cette formule célèbre que le futur État juif constituerait “une partie du mur de la civilisation” contre la barbarie asiatique (c’est à dire arabe). (…)
(…) La tragédie, c’est que cette attitude n’a pas changé en 120 ans et qu’elle est aujourd’hui plus forte que jamais. Ceux d’entre nous qui proposent une autre voie – et il s’en est toujours trouvé quelques uns – restent des voix qui prêchent dans le désert.
C’est évident ces jours-ci dans l’attitude israélienne face aux événements qui secouent le monde arabe et au delà. Parmi les Israéliens ordinaires, il y avait vraiment beaucoup de sympathie spontanée pour les Égyptiens qui affrontaient leurs persécuteurs Place Tahrir – mais tout était perçu de l’extérieur, à distance, comme si cela se passait sur la lune.
La seule question concrète soulevée était la suivante : le traité de paix israélo-égyptien tiendra-t-il ? Ou bien devons-nous lever de nouvelles divisions en vue d’une guerre possible avec l’Égypte ? À partir du moment où presque tous les “experts en sécurité” nous ont assuré que le traité ne courait aucun risque, les gens ont perdu tout intérêt pour l’ensemble de l’affaire.
Mais le traité – en réalité un armistice entre les régimes et les armées – ne devrait constituer pour nous qu’une préoccupation secondaire. La question la plus importante est : à quoi ressemblera le nouveau monde arabe ? La transition vers la démocratie se fera-t-elle de façon calme et pacifique, ou non ? Se fera-t-elle réellement et se traduira-t-elle par l’émergence d’une région islamique plus radicale – ce qui est une autre possibilité ? Pouvons-nous avoir une quelconque influence sur le cours des événements ?
Bien entendu, aucun des mouvements arabes d’aujourd’hui n’est tenté par une étreinte israélienne. Ce serait une étreinte étouffante. Israël est perçu aujourd’hui par pratiquement tous les Arabes comme un État colonialiste, anti-arabe, qui opprime les Palestiniens et qui est prêt à déposséder autant d’Arabes que possible (…)
Mais lorsque des peuples entiers se soulèvent et que la révolution bouscule toutes les positions bien établies, il devient possible de remettre en question les vieilles idées. Si les leaders politiques et intellectuels israéliens étaient prêts à se lever aujourd’hui pour déclarer publiquement leur solidarité avec les masses arabes dans leur lutte pour la liberté, la justice et la dignité, ils pourraient semer une graine qui donnerait des fruits dans les années à venir.
(…) Notre avenir n’est ni avec l’Europe ni avec l’Amérique. Notre avenir est dans cette région à laquelle appartient notre État, pour le meilleur et pour le pire. Ce n’est pas simplement notre politique qui doit changer, mais notre perspective fondamentale, notre orientation géographique. Il nous faut comprendre que nous ne sommes pas la tête de pont d’une entité lointaine, mais partie intégrante d’une région qui est en train maintenant – enfin – de rejoindre la marche de l’humanité vers la liberté.
Le réveil Arabe n’est pas une affaire de mois ou de quelques années. Il est tout à fait possible qu’il s’avère être une longue lutte, avec des échecs et des défaites, mais le génie ne retournera plus dans la bouteille. Les images des 18 jours sur la Place Tahrir resteront vivantes dans les cœurs de toute une génération de Marrakech à Mossoul, et aucun nouvelle dictature qui émergerait ici ou là ne sera capable de les effacer.
Dans mes rêves les plus chers je n’aurais jamais imaginé une attitude plus sage et plus attrayante pour nous autres Israéliens, que de nous joindre de corps et d’esprit à cette marche. »
La chronique du 12 mars 2011 s’intitulait « Les nains »
Le gouvernement israélien fourmille de nouvelles idées géniales. Les plus brillants esprits chez nos dirigeants politiques se débattent avec les problèmes créés par la révolution arabe en cours qui redessine le paysage autour de nous.
Voici la dernière moisson d’idées innovantes :
Le ministre de la Défense Ehoud Barak a annoncé qu’il allait demander aux États-Unis l’octroi de 20 milliards de dollars supplémentaires pour de nouveaux avions de combat dernier cri, des navires lanceurs de missiles, un sous-marin, des transports de troupes et ainsi de suite.
Le Premier ministre Benjamin Nétanyahou s’est fait photographier entouré de femmes soldats – tout comme Mouammar Kadhafi au bon vieux temps – le regard dirigé au-delà du Jourdain pour annoncer que l’armée israélienne ne quitterait jamais la vallée du Jourdain. Selon lui, cette bande de terre occupée est la “frontière de sécurité” vitale d’Israël.
Ce slogan est aussi vieux que l’occupation elle-même. C’était une partie du célèbre Plan Allon qui était conçu pour entourer la Cisjordanie de territoires israéliens. Il se trouve que le père de ce plan, Yigal Allon, était aussi un dirigeant du mouvement Kibboutz et que la vallée du Jourdain lui semblait une zone idéale pour implanter de nouveaux kibboutz – elle est plate, bien irriguée et elle était peu peuplée.
(…) Lorsque les hommes politiques affrontent courageusement le monde nouveau, les armées n’osent pas rester à la traîne. Cette semaine, plusieurs commandants de division ont annoncé qu’ils se préparaient pour faire face en Cisjordanie à des “soulèvements de masse non-violents” dans le style de Tahrir. Des troupes sont entraînées, des moyens anti-émeute sont tenus en stock. Notre glorieuse armée se prépare encore une fois à faire un travail de police coloniale.
Pour renforcer la force mentale du commandement, Nétanyahou a maintenant mobilisé une intelligence impressionnante ; il a nommé le général Yaakov Amidror chef du Conseil de Sécurité National. Amidror, l’officier portant kippa le plus haut gradé dans l’armée, n’a jamais caché ses positions ultra-ultra nationalistes, y compris son opposition totale à un État palestinien et à la paix de façon générale. Il est, par ailleurs, l’officier qui a évoqué avec approbation le fait que certaines armées mettent “une balle dans la tête” des soldats qui ne se lèvent pas pour prendre d’assaut une position ennemie.
Il est significatif que Nétanyahou ait invité cette semaine le Front National, qui comprend des éléments ouvertement fascistes, à rejoindre son gouvernement. Ils ont refusé parce que Nétanyahou n’est pas suffisamment extrémiste pour eux.
Pendant ce temps, une douzaine d’homme politiques de premier plan, à commencer par Avigdor Lieberman, se sont occupés à dépoussiérer des plans moribonds d’“accords intérimaires” – de vieux produits reposant tristement sur les rayons, sans l’ombre d’un acheteur en vue.
Tout compte fait : des nains politiques, face à une nouvelle réalité révolutionnaire qu’ils sont incapables de comprendre et d’affronter. (Ceci n’est pas une insulte aux nains de la vie réelle qui sont, naturellement, aussi intelligents que n’importe qui d’autre.)
Avec cette brochette de dirigeants, c’est presque utopique de demander ce que nous pourrions et devrions faire pour nous faire prendre conscience de la nouvelle réalité géopolitique.
Si l’on considère que le monde arabe, ou une grande partie de ce monde, est sur la voie de la démocratie et du progrès social, comment cela va-t-il affecter notre avenir ?
Pouvons-nous construire des ponts vers de telles sociétés progressistes, multipartites ? Pouvons-nous les convaincre de nous accepter comme des éléments légitimes de la région ? Pouvons-nous prendre part à l’émergence politique et économique d’un “Nouveau Moyen Orient” ?
Je crois que nous le pouvons. Mais la condition préalable absolue et inconditionnelle est que nous fassions la paix avec le peuple palestinien.
L’ensemble des dirigeants israéliens a la conviction inébranlable – et auto-persuasive – que c’est impossible. Ils ont tout à fait raison – tant qu’ils sont aux affaires, c’est en effet impossible. Mais avec d’autres dirigeants, les choses seront-elles différentes ?
Si les deux parties – et cela dépend largement d’Israël, la partie incomparablement plus forte – veulent réellement la paix, la paix est là pour ceux qui la demandent. Toutes les conditions sont clairement posées sur la table. Elles ont fait l’objet de discussions interminables. Les objets de compromis sont clairement identifiés. Il ne faudrait pas plus de quelques semaines pour en préciser les détails. Frontières, Jérusalem, colonies, réfugiés, eau, sécurité – nous savons tous dès maintenant quelles sont les solutions. (Moi et d’autres les avons énumérées depuis longtemps). Ce qui fait défaut, c’est la volonté politique.
Un accord de paix – signé par l’OLP, ratifié par un référendum populaire, accepté par le Hamas – changera radicalement l’attitude des peuples arabes en général à l’égard d’Israël.
Cela n’est pas une simple question de forme, cela imprègne profondément la conscience nationale. Aucun des soulèvements dans les divers pays arabes n’est anti-israélien par nature. Nulle part les masses arabes n’appellent à la guerre. En effet, l’idée de guerre est en contradiction avec leurs aspirations fondamentales : progrès social, liberté, des conditions d’existence qui permettent de vivre dignement.
Cependant, tant que durera l’occupation du territoire palestinien, les masses arabes rejetteront la conciliation avec Israël. Quels que soient les sentiments de tel ou tel pays arabe à l’égard des Palestiniens, tous les Arabes se sentent profondément obligés d’aider à la libération de leurs frères arabes. Comme me l’a dit un jour un dirigeant égyptien : “Ce sont les pauvres de notre famille, et notre tradition ne nous permet pas d’abandonner un pauvre de la famille. C’est une question d’honneur.”
C’est pourquoi, Israël sera à l’ordre du jour de chaque campagne électorale libre dans les pays arabes, et chaque parti se sentira obligé de condamner Israël.
Un argument contre la paix, indéfiniment répété par notre propagande officielle, est que le Hamas ne l’acceptera jamais. Le spectre de mouvements islamistes gagnant des élections démocratiques dans d’autres pays – comme le Hamas en Palestine – est peint sur le mur comme un danger mortel.
Il serait utile de se souvenir qu’en réalité le Hamas a été d’abord une création d’Israël pour contrer l’OLP qu’il considérait comme l’ennemi principal (…) C’était naturellement une idée stupide, caractéristique de la myopie de nos dirigeants politiques et militaires, en ce qui concerne les affaires arabes. Lorsqu’éclata la première intifada, le mouvement islamiste prit la forme du Hamas (“Mouvement de Résistance Islamique”) pour s’engager dans la lutte.
L’émergence du Hezbollah fut aussi le résultat d’actions israéliennes [4](…)
Le Hamas et le Hezbollah aspirent au pouvoir dans leurs pays respectifs. (…) Pour les deux, la lutte contre Israël est plus un moyen qu’une fin. Une fois la paix réalisée, leurs énergies seront orientées vers la lutte pour le pouvoir dans leurs propres pays.
Le Hamas acceptera-t-il la paix ? C’est ce qu’il a déclaré de façon indirecte : si l’Autorité palestinienne fait la paix, a-t-il déclaré, et si l’accord de paix est ratifié par un référendum palestinien, le Hamas l’acceptera comme une expression de la volonté du peuple. Il en va de même pour les mouvements islamiques des différents pays arabes, à l’exception d’Al-Qaida et de ses semblables, qui ne sont pas des partis politiques à base nationale mais des organisations conspiratrices internationales.
Avec un traité de paix librement accepté par les Palestiniens comme la satisfaction de leurs aspirations nationales, toute intervention d’autres pays arabes deviendra superflue, sinon franchement ridicule. Le Hezbollah, les Frères Musulmans en Égypte et les organisations religieuses nationales du même genre consacreront leurs efforts à acquérir du pouvoir au sein des nouvelles structures démocratiques.
Avec la disparition de cet obstacle, Israël sera jugé par les masses arabes, à ce moment là, pour ce qu’il est. Nous aurons la chance historique de prendre part à la réorganisation de l’ensemble de la région. Nos actes parleront. (…)
(…) Cela n’arrivera pas tant que notre vie politique et intellectuelle sera dominée par Nétanyahou , Lieberman, Barak, Eli Yishai, Tzipi Livni, Shimon Peres et des gens de cet acabit. La scène doit être débarrassée de toute cette bande de nains.
Cela peut-il arriver ? Cela arrivera-t-il ? Les “réalistes” vont secouer la tête – comme ils le firent avant que les Allemands n’aient abattu leur mur, avant que Boris Eltsine ne soit grimpé sur un char et avant que les Américains n’aient élu un président afro-américain dont le deuxième prénom est Hussein.
La chronique du 23 avril 2011 s’intitulait « Place Tahrir, Tel-Aviv »
(…) « Le parti travailliste peut être redressé. Certains partis, comme le Phœnix, peuvent revenir de la tombe. Mais le parti travailliste est un vieil oiseau déplumé. Pendant la plus grande partie de sa vie, il fut un parti de gouvernement, et il ne s’en est jamais remis. Même dans l’opposition, il se comporte et parle comme un parti de gouvernement à qui le gouvernement a été volé. Il ne lui reste aucune force pour se renouveler, se rebeller, impulser. Il a été et demeure une fédération de fonctionnaires professionnels. Un tel parti ne fait pas de révolutions. Sous la direction de n’importe quel de candidats, il ne comblera pas l’énorme fossé qui existe dans le système politique israélien. Il n’inspirera pas la place Tahrir israélienne. Il ne lancera pas la révolution sans laquelle Israël continuera de marcher vers l’abîme.
Les gens qui se rassemblèrent sur la place Tahrir n’étaient pas issus des vieux partis. Certes, ceux-ci étaient là aussi – membres du Wafd, derniers nasseristes, communistes, Frères musulmans. Mais ceux-ci n’apportèrent pas la ferveur, n’allumèrent pas la flamme qui illumine le ciel sur l’ensemble du monde arabe.
Sur la place, des forces totalement nouvelles, sorties de nulle part, sont apparues. Jusqu’à ce jour, elles n’ont pas de nom, sauf la date de l’événement de départ, 25 janvier. Mais tout le monde sait d’où elles viennent et à quoi elles ressemblent. Faute d’un meilleur label, on les appelle “la Nouvelle génération”. Elles sont un rassemblement d’espoirs et d’aspirations touchant tous les domaines de la vie. Elles sont la résolution de créer “une autre Egypte”, entièrement différente de l’Egypte d’hier.
Il n’y a, bien sûr, à peu près rien de similaire entre l’Egypte et Israël. Le soulèvement égyptien peut nous servir, tout au plus, de métaphore, de symbole. Mais le principe est le même : l’aspiration à “un autre Israël”, à la seconde république israélienne.
Le lancement d’un nouveau mouvement politique est un acte de création. Il n’y a pas de recette pour le faire, comme “Prenez deux Juifs orientaux, un Russe, un demi rabbin, secouez bien…” Cette méthode ne marche pas. Pas plus que quelque chose comme : “Prenez ce qui reste du parti travailliste, ajoutez une cuillérée de Meretz, mélangez avec un demi verre de Kadima…” Ça ne marche pas.
Un nouveau mouvement de la sorte dont nous avons besoin doit venir de nulle part. De la vision et de la détermination d’un groupe de jeunes dirigeants avec une nouvelle conception du monde adaptée aux besoins de l’Israël de demain. Un groupe qui pense d’une nouvelle façon, voit les choses différemment, parle un nouveau langage.
Cela arrive une fois dans une génération, et encore !. Quand c’est le cas, on le voit de loin.
En ce moment, il y a au moins une demi-douzaine de groupes en Israël qui planifient cette révolution. Peut-être l’un d’eux réussira-t-il. Peut-être pas, et l’étincelle n’a pas encore pris jusqu’à récemment. Comme le disent les jeunes rabbins juifs de Nazareth : “Vous les connaîtrez par leur fruit.”
Pour tout groupe, réaliser ce miracle doit répondre selon moi à plusieurs choses absolument essentielles :
La nouvelle vision du monde doit embrasser toutes les sphères de la vie publique. Le bien-être sans la paix est un non-sens ; sans un changement total de valeurs, la paix n’arrivera pas ; les idéaux immortels de liberté, de justice, d’égalité et de démocratie doivent s’appliquer à tout le monde, dans tous les domaines de la vie. (…)
(…) Un mouvement qui sort de nulle part, un mouvement qui porte l’avenir en lui, ne peut pas parler le langage d’hier. Il doit apporter avec lui un nouveau langage, une nouvelle terminologie, de nouveaux slogans. (…)
Le nouveau langage doit toucher les esprits, et, plus important, les cœurs, de tous les citoyens. Un nouveau parti Ashkhénaze ne le fera pas. Le nouveau mouvement doit toucher les profondeurs de l’âme des Juifs et des Arabes, des Orientaux et des “Russes”, des laïques et des religieux (au moins certains d’entre eux), des anciens et des nouveaux venus, des gens aisés et des pauvres. Quiconque abandonne d’emblée l’une de ces communautés s’expose à l’échec.
Beaucoup de gens intelligents et expérimentés souriront avec condescendance. C’est utopique, diront-ils. Jolis rêves. Qui ne se réaliseront pas. Il n’y a pas de tels gens, ni de telles visions, pas de feu intérieur. Au mieux, de bonnes personnes avec un œil sur un siège dans la prochaine Knesset.
Ils ont peut-être raison. Mais les mêmes personnes auraient souri si quelqu’un leur avait dit, il y a cinq ans, que les électeurs américains éliraient un président afro-américain dont le deuxième prénom est Hussein. Cela aurait semblé follement absurde. Un président noir ? Des électeurs blancs ? Aux USA ?
Les mêmes personnes auraient éclaté de rire si quelqu’un leur avait dit, il y a juste un an, qu’un million d’Egyptiens se rassembleraient sur la place centrale du Caire et changeraient la face de leur pays. Quoi ? Les Egyptiens ? Ce peuple paresseux et passif ? Un pays qui, dans ses 6.000 ans d’histoire, n’a même pas fait une demi douzaine de révolutions ? Ridicule.
Bon, il y a des surprises dans l’histoire. Quelquefois, quand le besoin apparaît, les peuples peuvent se surprendre eux-mêmes. Cela peut arriver ici. Si oui, ceux d’entre nous qui croient en notre peuple ne seront pas surpris.
Il est vrai que la place Rabin n’est pas la place Tahrir. Mais d’ailleurs, la place Tahrir d’avant n’était pas non plus celle dont on parle aujourd’hui. »
(En Palestine, Cisjordanie et bande de Gaza, des jeunes sont descendus dans la rue pour manifester, non pas contre leurs dirigeants honnis – et pourtant les deux pouvoirs sont un peu discrédités, chacun sur le territoire qu’il administre – mais pour demander la réconciliation entre Fatah et Hamas et retrouver l’unité perdue. Le 27 avril, Fatah et Hamas signaient un accord pour former un gouvernement d’unité provisoire en vue d’élections législatives et présidentielles dans l’année.
Le jour-même Uri Avnery, dans un communiqué de Gush Shalom, saluait cet accord avec enthousiasme, déplorant les réactions immédiates de rejet du pouvoir israélien.)
Traduction de l’anglais par Fred Lucas et Sylviane de Wangen
Sélection de S de Wangen
[1] Né à Beckum (Allemagne) en 1923, la famille d’Uri Avnery immigre en Palestine en 1933. Engage dans l’Irgoun de 1938 à 1942, il fait ensuite son service militaire dans une unité de commando de la Hagana (devenue par la suite Tsahal) où il est blessé deux fois. De 1950 à 1990, il est éditeur et rédacteur en chef de la revue Haolam Haze. Député à la Knesset pendant trois mandats, de 1965 à 1973 et de 1979 à 1981, il est le premier Israélien qui, dès 1974, prend contact en tant que sioniste avec des responsables palestiniens représentants de l’OLP. En janvier 1976, il fonde avec d’autres dont le général Matti Peled le « Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne » (CIPIP) qui poursuit et développe ces contacts. Premier Israélien à aller rencontrer Yasser Arafat dans Beyrouth assiégée en juillet 1982 – rencontre suivie de nombreuses autres – il fait également partie des quelques Israéliens qui transgressent l’interdiction faite lors de la seconde Intifada aux Israéliens de se rendre en Cisjordanie, en allant à Ramallah dans le QG du président Arafat assiégé par les troupes israéliennes. Depuis les dernières élections palestiniennes, il a rencontré des responsables du Hamas et réclame de son gouvernement qu’il discute avec les représentants élus du peuple palestinien. Il a été lauréat, toujours en dehors de son pays, de plusieurs prix récompensant les militants de la paix ou des droits humains.
[2] Né à Beckum (Allemagne) en 1923, la famille d’Uri Avnery immigre en Palestine en 1933. Engage dans l’Irgoun de 1938 à 1942, il fait ensuite son service militaire dans une unité de commando de la Hagana (devenue par la suite Tsahal) où il est blessé deux fois. De 1950 à 1990, il est éditeur et rédacteur en chef de la revue Haolam Haze. Député à la Knesset pendant trois mandats, de 1965 à 1973 et de 1979 à 1981, il est le premier Israélien qui, dès 1974, prend contact en tant que sioniste avec des responsables palestiniens représentants de l’OLP. En janvier 1976, il fonde avec d’autres dont le général Matti Peled le « Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne » (CIPIP) qui poursuit et développe ces contacts. Premier Israélien à aller rencontrer Yasser Arafat dans Beyrouth assiégée en juillet 1982 – rencontre suivie de nombreuses autres – il fait également partie des quelques Israéliens qui transgressent l’interdiction faite lors de la seconde Intifada aux Israéliens de se rendre en Cisjordanie, en allant à Ramallah dans le QG du président Arafat assiégé par les troupes israéliennes. Depuis les dernières élections palestiniennes, il a rencontré des responsables du Hamas et réclame de son gouvernement qu’il discute avec les représentants élus du peuple palestinien. Il a été lauréat, toujours en dehors de son pays, de plusieurs prix récompensant les militants de la paix ou des droits humains.
[3] Référence à une phrase de Ehoud Barak comparant Israël à une villa au milieu d’une jungle (les pays Arabes)
[4] L’envahissement du Liban en 1982
Uri Avnery,