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La désertification : un enjeu géopolitique émergent

La Journée mondiale de la lutte contre la désertification et la sécheresse, le 17 juin de chaque année, marque l’anniversaire de l’adoption de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), créée en 1992, suite à une recommandation du Sommet Planète Terre de Rio. Selon l’article 1 de cette Convention, la désertification désigne « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». La désertification désigne ainsi le déclin irrévocable ou la destruction du potentiel biologique des terres et de leur capacité à supporter ou à nourrir les populations. Un milliard d’habitants sur la planète serait actuellement menacé par la désertification.

Pour 2009, cette journée fut intitulée « Préserver la terre et l’eau, c’est préserver notre avenir commun ». Ce message fait naturellement écho aux dynamiques du débat international où la prise de conscience des effets du changement climatique s’accompagne d’un retour au premier plan de l’agriculture et de l’apparition d’une nouvelle donne alimentaire mondiale. Une attention particulière sera donc consacrée à la sécurité des ressources foncières et hydriques. En effet, avec l’évolution de la variable géopolitique à de nouvelles composantes issues des ramifications nombreuses du développement durable, le concept de sécurité, désormais plus vaste, s’ouvre progressivement à de nouveaux créneaux thématiques. L’eau et la terre, ressources aussi vitales qu’épuisables, font ainsi l’objet d’analyses géopolitiques toujours plus poussées puisque les convoitises s’accroissent à leur sujet. Dans cette perspective, la désertification et ses impacts collatéraux s’immiscent peu à peu dans le champ de l’expertise stratégique. Comme l’indique le communiqué officiel de la journée du 17 juin 2009, « la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse menacent la sécurité humaine en privant des personnes de leurs moyens de vie ».

Ce constat renvoie par ailleurs à l’émergence du concept de migrations climatiques, phénomène ancien certes mais qui s’accélère aujourd’hui avec l’amplification des tensions environnementales. Le terme de « réfugié de l’environnement » est pour la première fois apparu en 1985 sous la plume d’un universitaire égyptien, Essam El-Hinnawi, comme titre d’un rapport du PNUE. Cependant, le concept sur le plan juridique n’a toujours pas intégré la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. Or, de plus en plus d’individus, et notamment dans les régions pauvres du monde, seront contraints de quitter leurs territoires face à la dégradation profonde des sols. D’ici 2050, les projections prévoient 200 millions de personnes déplacées dans des migrations provoquées par les tensions environnementales. Cette « insécurité foncière » par la désertification aggrave les conditions de vie locales, fragilise la capacité productive des sols, réduit les rendements et compromet l’accès à l’eau. Au final, cette combinaison inquiétante met donc en péril la sécurité alimentaire des populations concernées et stimule donc l’exil forcé.

Au Sud de la Méditerranée, la situation des ressources foncières, déjà vulnérable (90% des sols aptes à l’agriculture sont déjà exploités), se complexifie avec le développement de la désertification, qui toucherait environ 80% des terres arides ou sèches. Les pays de la zone sont parmi les plus frappés au Monde par les conséquences de l’aridité climatique et la désertification gagne du terrain dans les régions steppiques situées au Nord du Sahara. Les Etats cherchent à mettre en place des politiques mixant surveillance environnementale des écosystèmes par l’élaboration de systèmes d’information et techniques innovantes de lutte contre la désertification. Des études de la Banque mondiale effectuées en 2003 ont estimé les coûts nationaux annuels liés à la dégradation des terres à 1,2% du PIB pour l’Egypte, 1% pour l’Algérie et 0,5% pour la Tunisie et le Maroc. Le Royaume chérifien avait annoncé en 2007, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la désertification, que celle-ci lui coûtait annuellement environ un milliard de dollar. Il faut également rappeler que 2006 avait été déclarée « année internationale des déserts et de la désertification » et que c’est l’Algérie qui en avait présidé les manifestations.

Assurément donc, le processus de désertification à l’œuvre dans certains territoires, outre une série d’effets négatifs sur le plan écologique, économique, sanitaire et social, comporte aussi une forte dimension géopolitique. Il peut contribuer à accroître la faim et la pauvreté tout en accentuant les migrations et les conflits. Là encore, on voit l’interpénétration du local et du global quand sont explorés les défis stratégiques gravitant autour des espaces ruraux et des questions agricoles. La lutte contre la désertification doit donc aussi être pensée comme un moyen d’atténuer des chocs géopolitiques engendrés par cette menace sur une planète où les turbulences ne manquent déjà pas. En ce sens, les politiques nationales de développement agricole et rural ne sauraient ignorer l’importance d’un phénomène aux retombées plurielles. Lutter contre la désertification, c’est en effet agir dans quatre directions complémentaires : la préservation du patrimoine naturel des régions affectées, l’atténuation des risques de sécheresse, la redéfinition des stratégies d’aménagement des territoires et le soutien au développement local associant les acteurs de la société civile.

Sébastien Abis, analyste géopolitique. Membre du Comité de rédaction de Confluences Méditerranée.

22 juin 2009