La Serbie retourne à ses vieux démons

D’après de nombreux médias serbes et européens Tomislav Nikolic serait devenu fréquentable depuis qu’il se serait converti à un européanisme angélique. C’est oublié que cet opportunisme en politique qui a retourné sa veste pour échapper à la prison et accéder au pouvoir à sa quatrième tentative, était encore il y a peu un ultra nationalisme violement anti Albanais, anti Rroms et homophobe. Derrière son masque relativement modéré, il accède à la présidence d’un pays qui a été autorisé à poser sa candidature à l’adhésion à l’Union européenne. En Serbie, c’est avant tout le populisme qui a gagné, récupérant le vote des déclassés et des précaires, urbains et ruraux.

Le 6 mai, tout avait plutôt bien commencé pour les démocrates serbes lors des élections législatives et du premier tour des présidentielles. Pour ces dernières, Boris Tadic, le président sortant, dirigeant du Parti démocrate (DS) a recueilli 26,7% des voix contre 25,5% à l’ultra nationaliste du Parti progressiste serbe (SNS), Tomislav Nikolic. Les socialistes du SPS, issu du parti de Slobodan Milosevic, complètement réformé et ayant rompu avec son passé dictatorial et corrompu, dirigé par le ministre de l’intérieur de Tadic, Ivica Dacic, a obtenu 15%. L’ancien président Vojislav Kostunica, le tombeur de Milosevic, président du Parti démocratique serbe (DSS) n’a eu que 7%, le candidat indépendant, Zoran Stankovic 6% et le leader du Parti libéral démocrate- LPD (centre droite), Cedomir Jovanovic, 5%. Le 7 mai, le SPS annonçait son ralliement au DS pour le deuxième tour. Tadic espérait aussi le soutient du LPD, voire de Stankovic. Il s’avait que Kostunica, pour des raisons personnelles futiles pencherait pour le SNS. Au niveau arithmétique, Tadic aurait du gagner. Et pourtant, il a perdu de très peu avec une abstention d’environ 50%.

Aux législatives du 6 mai, le taux de participation a été de 60%. Il fallait élire 250 députés. Le SNS est arrivé en tête avec 24% et 73 sièges, le DS 22% et 67 députés, le SPS 15%, le DSS 7% et le LDP 7%.

Dimanche 20 mai, Tomislav Nikolic a été élu président de la République de Serbie avec 50,21% des voix. Ce leader de l’extrême droite nationaliste s’était déjà présenté aux élections de 2000, 2004 (45%) et 2008 (48%). Cette fois, il a battu d’une courte tête le démocrate pro européen Boris Tadic.

Si Tomislav Nikolic se veut aujourd’hui présentable en jetant aux orties les vieux oripeaux de l’extrême droite serbe, il a cependant un lourd passé. L’actuel président du Parti progressiste serbe (SNS) se veut être le pont entre l’Union européenne et la Russie. Il est candidat à l’adhésion à l’UE mais à condition que le Kosovo fasse partie intégrante de la Serbie. Or Prishtina a proclamé son indépendance le 17 février 2008, reconnue par la majorité des membres de l’UE. Fidèle à la politique de Poutine, Nikolic refuse que son pays entre dans l’OTAN.

Il est né le 15 février 1952 à Kragujevac dans le centre le la Serbie. Cette ville a été une des premières à soutenir Slobodan Milosevic dès 1989, mais aussi une des premières frondeuses en 2000 soutenant le mouvement qui a conduit à la chute de Milosevic. Dès 1990, il rejoint le mouvement « Tchetnik », ossature des futures milices paramilitaires serbes qui vont ensanglanter la Croatie et la Bosnie de 1991 à 1995. Le 23 janvier 1991, il rejoint le Parti radical serbe (SRS) de Vojislav Seselj. Ce dernier, un professeur de sociologie né le 11 octobre 1954 dans la communauté serbe de Sarajevo, sera le chef des ultras serbes. Son SRS dispose de sa propre milice, les Aigles Blancs. Plus extrémiste encore que Milosevic, il sera un temps incarcéré en 1993-94. Mais en 1998-2000, les deux hommes se rapprochent, au point que Seselj devient vice président du gouvernement Milosévic.

Quant à Nikolic, il est élu député RSR dès 1991 et entre aux Aigles Blancs, d’après certains médias serbes, il aurait participé aux massacres du village croate de Antin, ce qu’il dément formellement. En 1998-99, il est vice président du gouvernement de Serbie. Mais en 2008, son mentor est arrêté pour crimes de guerres. Le 7 mars 2012, il a été condamné par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY) à La Haye, à 28 ans de prison. Sentant le vent venir et ne souhaitant pas finir en prison, il organise une scission au sein du SRS le 24 septembre 2008 en créant le SNS. Il troque le nom de radical pour prendre celui de progressiste. Depuis il se veut plus présentable comme l’ont fait un temps les néo-fasciste italiens et aujourd’hui Marine Le Pen.

Mais Nikolic devra travailler en cohabitation. En effet le Parti démocrate de Boris Tadic et le Parti socialiste de Serbie ont formé une coalition au parlement, où ils sont majoritaires. Par ailleurs, près de la moitié des Serbes ont boudé les urnes. En bon fils de paysans, Tomislav Nikolic fabrique lui-même sa propre rakia, une puissante eau de vie de prune qui titre 60 degrés.

Christophe Chiclet, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

1er août 2012