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L’abattage des élevages porcins en Egypte : pistes d’interprétation

La nouvelle est apparue le 29 avril dernier : le gouvernement égyptien, à la demande de l’Assemblée, ordonnait l’abattage de tout le cheptel porcin élevé sur son territoire en guise de précaution contre la grippe A (H1N1). La mesure a été très contestée car il n’y a pas eu de cas de grippe porcine recensé sur le territoire égyptien, la communauté scientifique s’accordant à dire qu’il n’existe pas de preuve de transmission du virus du porc à l’homme (le virus se transmet par voies respiratoires et uniquement d’homme à homme). De leur côté,les organisations internationales compétentes (FAO, OMS et l’OIE) ont considéré l’abattage du cheptel comme une mesure inutile contre la grippe. Il faut souligner en outre que l’Egypte est le seul pays au monde à avoir pris une telle décision.

Devant le tollé général, le gouvernement a affirmé par la suite qu’il s’agissait surtout d’éradiquer des élevages qui se trouvent dans une situation d’insalubrité. Mais dans une grande partie de la presse occidentale la nouvelle a été très rapidement présentée comme une question de discrimination contre les coptes. Même si cette dimension ne peut pas être totalement écartée, une analyse plus approfondie de la situation nous amène à nuancer la seule dimension religieuse. Cependant, il est clair que cet épisode a attisé des préjugés socio-religieux, remettant sur la table une nouvelle fois la « question des coptes ».

Les coptes sont la première communauté chrétienne du Proche-Orient. Bien qu’il n’existe aucune statistique officielle sur la répartition confessionnelle dans le pays, on estime que la communauté copte représente entre 6 et 26% de la population égyptienne, une proportion qui varie considérablement selon la source [1]. Une partie des coptes appartenant aux classes sociales modestes s’occupe traditionnellement de l’élevage des porcs. Ainsi, au Caire, beaucoup d’entre eux habitent dans des bidonvilles (Zabalinne) où, à côté de leur métier principal, le tri des ordures de la ville, ils élèvent quelque 60 000 porcs. L’annonce gouvernementale et la conséquente saisie des porcs pour les amener à l’abattoir a entraîné, début mai, des heurts entre la police du Caire et les résidents du quartier de Manchiyet Nasr, en haut de la colline du Moqattam. Le quartier est désormais surveillé par la police pour « éviter le transport clandestin des cochons » [2] . Des incidents ont aussi éclaté dans d’autres villes, comme à Khanja, dans le gouvernorat de Qalioubiya, à 25 km au nord du Caire.

La principale implication de la décision gouvernementale est de nature socio-économique. L’abattage coûte très cher à ces habitants, dont l’élevage est souvent leur seul moyen de subsistance. En effet, la mesure pourrait faire 50 000 chômeurs dans une communauté déjà très pauvre, alors que le gouvernement n’a pas prévu des alternatives à ce gagne-pain. En contrepartie, les autorités ont promis aux éleveurs une compensation de 100-250 livres par tête (14-32 euros), selon le quotidien francophone Al-Ahram Hebdo [3] . De plus, se pose le problème des carcasses, qui théoriquement sont rendues aux éleveurs après être surgelées. Mais il s’est vite avéré que la viande ne pouvait pas être récupérée car le pays ne dispose pas d’infrastructures suffisantes pour la maintenir frigorifiée et plusieurs administrateurs de congélateurs ont refusé d’accueillir les cochons. A cela s’ajoute une chute de la consommation de la viande de porc résultat de la psychose général produite par l’annonce gouvernementale, dans un pays où seuls les chrétiens et les touristes en consomment. La population appuyant largement la décision, les préjugés se sont vite répandus, les premiers stigmatisés étant les chiffonniers eux-mêmes.

La décision gouvernementale relève principalement d’un contexte particulier. Face aux critiques soulevées par l’abattage, les autorités se défendent en rappelant que le même procédé avait été mis en place lors de la grippe aviaire, qui continue à faire des victimes dans le pays depuis l’apparition du virus dans le pays en 2006, faute d’avoir éradiqué tout l’élevage avicole. Jusqu’ici, il y a eu 69 personnes infectées par ce virus-là et 26 personnes en sont décédées [4] . En dépit de leurs efforts, les autorités ont du mal à changer le comportement de la population, dont une grande partie a conservé l’habitude d’élever ses volailles sur le toit des maisons. Dans ce contexte, le gouvernement redoute une nouvelle épidémie, aggravée par le fait que les porcs se nourrissent des ordures et sont élevés dans des zones densément peuplées. Ainsi, l’abattage décidé par le gouvernement, même s’il est inefficace, vise à rassurer la population en montrant qu’il a pris, cette fois, une mesure radicale.

Au même temps, les autorités auraient profité de cette occasion pour régler la question de l’élevage sauvage en Egypte et le déplacer en dehors des zones habitées. Cela fait quelques années que les autorités projettent de transférer toutes les porcheries dans des zones spécialisées hors la ville, mais ils ont toujours rencontré l’opposition farouche des éleveurs. De plus, certains affirment que le déplacement des élevages de porcs pourrait avoir pour finalité de récupérer des terrains en bordure du Caire, dont le prix a connu une forte augmentation ces dernières années.

Enfin, la dimension anti-confessionnelle n’est pas à exclure. Il s’agirait d’une nouvelle pression sur un groupe minoritaire à l’occasion de la pandémie. En effet, les coptes restent, surtout depuis les années 1970 et l’augmentation de la ferveur religieuse qu’a connue le pays, une cible privilégiée des violences interconfessionnelles [5]. Cependant, le terme de « minorité » est rarement abordé, aussi bien parmi les coptes que dans la classe dirigeante. Tandis que les coptes eux-mêmes refusent d’être qualifiés de minorité, le gouvernement traite souvent de manière « sécuritaire » les conflits interconfessionnels ou les problèmes de cette communauté, en évitant de faire référence à la situation spécifique des coptes. Dans un système politique autoritaire qui ne respecte pas, dans la pratique, les libertés religieuses, les coptes restent des citoyens de deuxième catégorie et sont l’objet d’une discrimination diffuse qui s’exprime notamment par une marginalisation du pouvoir : exclus des hauts échelons de l’administration publique, ils n’ont que deux ministres au gouvernement et cinq députés au Parlement, dont quatre nommés par le Président de la République.

Dans le cas précis qui nous occupe, on pourrait penser qu’avec l’annonce de l’abattage les autorités visent à contenter les conservateurs du régime et les Frères musulmans, la consommation de la viande de porc étant interdite par l’Islam. Bien que le gouvernement nie vouloir faire le jeu de l’opposition islamiste, qui fait campagne contre les élevages de cochons, la décision aurait en effet été prise par les Ministères de l’Agriculture et de la Santé, sous des pressions externes…

Au-delà des motivations qui ont mené à une telle décision, la gestion de l’abattage tel qu’il a été mené est à déplorer puisqu’il s’est fait de manière désordonnée et peu réfléchie et les déclarations du gouvernement ont reflété de nombreuses incohérences. Le délai prévu de 3 mois pour l’abattage total est loin de pouvoir être respecté, car en plus des problèmes avec les éleveurs, le pays compte seulement 2 abattoirs voués à l’abattage de cochons (au Caire et à Alexandrie) avec une capacité à traiter 1000 têtes par jour. Le ministre de l’Agriculture, Amine Abaza, a dans cette perspective annoncé l’importation de trois machines spéciales pour électrocuter les cochons et augmenter l’abattage total à 3 000 bêtes par jour [6] . Des images montrant des techniques douteuses pour tuer les cochons plus rapidement (par aspersion de produits chimiques, par exemple), ont suscité des réactions d’indignation parmi la population et les associations de protection des animaux. Mais, surtout, il n’y a pas eu une recherche de consensus, ni un plan sérieux pour aider à faire évoluer l’activité des chiffonniers .

Nous avons pu constater les effets négatifs d’une mesure politique inefficace et mal conçue qui au lieu d’offrir des solutions n’a fait que diviser encore plus les communautés et attiser les préjugés. Ainsi, l’événement témoigne, comme le soulignait Wendy Krsitianasen, que les problèmes rencontrés par les coptes aujourd’hui sont aussi le reflet des impasses et réticences des dirigeants égyptiens d’engager le pays dans la voie de l’ouverture politique et culturelle. [7]

[1Daniele Cantini, « Les relations entre coptes et musulmans dans la littérature égyptienne contemporaine : une perspective anthropologique » in Pierre Blanc (dir.), Chrétiens d’Orient, Les Cahiers de Confluences, L’Harmattan, 2008, p.141-152.

[2Chérine Abdel-Azim, « Sur les lieux de la misère porcine », Al-Ahram Hebdo, nº 765, 6-12 mai 2009.

[3Samar Al-Gamal, « L’acharnement à la source », Al-Ahram Hebdo, nº 765, 6-12 mai 2009.

[4« Egypte : une fillette malade de la grippe aviaire, 69e cas humain », AFP, 11 avril 2009.

[5Pour une analyse plus profonde des relations entre coptes et musulmans lire : Eliane Ursula Ettmueller “Les Coptes et les musulmans, une fraternité précaire ? » in Pierre Blanc (dir.), Chrétiens d’Orient, Les Cahiers de Confluences, L’Harmattan, 2008, p. 115- 126.

[6 Raphaëlle Bacqué, « L’abattoir de Bassatin, au Caire, aux prises avec l’insoluble abattage des porcs », Le Monde, 5 avril 2009.

[7Wendy Kristianasen, “Question copte, questions à l’Egypte”, Le Monde diplomatique, mai 2001 .

Paula Cusi Echaniz, chargée de recherche

4 juin 2009