Les raisons de l’assassinat des trois militantes Kurdes

L’exécution des trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan en plein Paris, le 9 janvier 2013, s’inscrit dans le contexte de négociations entre le gouvernement turc et les rebelles du PKK, pour mettre fin à un conflit vieux de 28 ans, qui a fait plus de 40.000 morts et des centaines de milliers de déplacés. Il s’inscrit aussi dans le contexte d’un jeu d’échecs à trois : Ankara, Damas et les Kurdes.

Jeudi 9 janvier, trois femmes se sont retrouvées au 147 rue Lafayette, dans les locaux de la Fédération des associations kurdes de France, où est aussi abrité le bureau du Centre d’information du Kurdistan. Le 147 comme l’appellent les Kurdes est une des vitrines légales du PKK en France. À ne pas confondre avec l’Institut kurde de Paris dirigé par Kendal Nezan, situé sur le trottoir d’en face, à 40 numéros près, au 106. L’Institut fait de l’information politique, historique et culturelle sur le problème kurde. Il est loin de l’idéologie stalinienne du PKK. Nezan était un proche de Danièle Mitterrand et de sa fondation « France liberté ».

Les trois femmes sont Sakine Cansiz, Fidan Dogan alias Rojbin et Leyla Soylemez. La première arrive de Bruxelles et elle a sa valise avec elle, à portée de main, car elle pense repartir le jour même en Belgique. Née à Tunceli en 1958, elle arrive à Ankara dans les années 70 pour y faire ses études. C’est la seule femme présente à la fondation du PKK en 1978, dans un petit village non loin de Diarbakir. Elle est arrêtée en 1980 et passe onze ans en prison où elle est régulièrement torturée. À sa libération, elle rejoint les maquis du PKK dans la région d’Elazig, puis s’installe en Allemagne en 1993. Elle aurait obtenu l’asile politique en France et avait des relations avec les partis socialiste et communiste français. Elle a été emprisonnée à Hambourg en mars-avril 2007. Elle était aussi très active auprès du Parlement européen. C’était une inconditionnelle du fondateur et Secrétaire général du PKK : Abdullah Öçalan, dit Apo.

Fidan Dogan-Rojbin est née à Elbistan en 1980, elle arrive très jeune avec sa famille à Lyon où elle est scolarisée dans les écoles françaises, puis elle poursuit ses études à Strasbourg. Elle travaillait en direction de la diaspora kurde de France, de Belgique et d’Allemagne. Représentante-dirigeante en France du Centre d’information du Kurdistan, au 147, elle était aussi membre du Conseil national kurde, autre cache-sexe du PKK. Leyla Soylemez, 24 ans, était une jeune stagiaire, faisant fonction de secrétaire du Centre d’information. Membre d’une association de jeunesses kurdes pro PKK, elle vivait entre la France et l’Allemagne.

Les trois femmes avaient souhaité être seules dans les locaux. Bizarrement, Sakine Cansiz ne bénéficiait pas de sa protection habituelle d’un ou deux gardes du corps, généralement lourdement armés. Les trois femmes attendaient une visite des plus discrètes. Quand dans l’après-midi de ce jeudi fatal, on a sonné à leur porte, elles sont venues ouvrir en totale confiance. Et c’est alors qu’un ou plusieurs professionnels les ont abattues de deux balles dans la tête avec des armes de poing de gros calibre munies de silencieux. Leurs crimes accomplis, ils ont pris soin de fermer la porte à clé et de s’évaporer dans la nature et certainement rejoindre au plus vite une frontière. Les corps des trois femmes ont été découverts le soir même à une heure du matin par des militants du PKK. Sans doute, les hommes chargés de la protection de Sakine Cansiz qui devaient la ramener à Bruxelles et inquiets de n’avoir aucune nouvelle, sont passés au 147.

D’ETRANGE EMISSAIRES

De toute évidence, les trois militantes attendaient un ou des émissaires des plus discrets. En effet, depuis décembre 2012, les négociations ont repris entre Ankara et le PKK pour mettre fin à cette guérilla qui a débuté en 1984. Il s’agit de la quatrième tentative depuis 1993. Aujourd’hui, la Turquie est pressée de conclure pour plusieurs raisons : montrer à l’UE son ouverture démocratique, éviter une autonomie du Kurdistan syrien lié au Kurdistan irakien qui pourrait donner des idées aux Kurdes turcs, et faire tomber le régime de Bachar Al Assad en lui enlevant la carte kurde (voir Myeurop, 7 janvier 2012, « Les Kurdes de Syrie, cruel dilemme pour la Turquie ») et enfin mettre fin aux combats qui ont repris en Anatolie orientale, faisant 900 morts depuis juin 2011.

Pour Kendal Nezan : « Nous ne savons pas d’où venaient ces émissaires officieux, mandatés par les conseillers politiques du Premier ministre R.T. Erdogan, par l’armée, par les services secrets ? Mais n’oublions pas que lors des négociations entre Téhéran et les Kurdes iraniens, les émissaires étaient en réalité les assassins. » En effet, en 1989, Abdulrahman Ghassemlou, le chef du PDKI (Parti démocratique kurde d’Iran) avait accepté de rencontrer à Vienne des émissaires du régime théocratique iranien. Les émissaires mandatés de Téhéran ont tué tous les leaders kurdes présents.

Alors qu’on sait que le Premier ministre turc souhaite négocier, il n’y a aucune raison qu’il ait envoyé des émissaires-tueurs. Mais au sein de l’appareil d’Etat turc, qui n’a pas encore été totalement épuré, il existe des forces totalement opposées à une réconciliation avec les Kurdes. Ces forces auraient pu infiltrer la délégation d’émissaires, ou plus probablement, munies de tous les codes de reconnaissance, auraient envoyé une autre délégation, court-circuitant ainsi les vrais émissaires dans le but de tuer les trois femmes ?

LES TROIS PISTES

Les trois pistes probables sont les suivantes : les services secrets syriens, un règlement de compte inter-PKK, les ultra nationalistes turcs infiltrés dans l’appareil d’Etat. Bref, tous ceux qui sont contre un apaisement.

À l’époque, Hafez Al Assad avait mis en place plus de sept services secrets différents, dont le plus important était dirigé par son frère, tombé en disgrâce depuis. Services de l’armée de terre, de l’air, de la marine, de la gendarmerie, de la présidence, des forces syriennes au Liban… Damas pourrait aujourd’hui faire payer à Ankara son aide à l’ASL (Armé syrienne libre), sachant que la majorité des Kurdes syriens, s’ils ont rompu avec le régime dAssad en 1998, s’opposent désormais ouvertement à l’ASL, en particulier le PYD (Parti de l’unité démocratique) qui combat avec le PKK. Or un PKK faisant la paix avec Ankara, le PYD serait affaibli et n’aurait plus la force de s’opposer à l’ASL, au profit du PDKS (Parti démocratique kurde de Syrie) favorable à l’ASL et qui dispose de 2.000 combattants en réserve dans le fief du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) de Massoud Barzani dans le nord de l’Irak. Les agents syriens ont les capacités et le savoir pour ce genre d’opération. Ce sont eux qui ont assassiné Louis Delamare, ambassadeur de France au Liban, le 4 septembre 1981 ! Par ailleurs le président Hollande a reçu officiellement l’opposition syrienne et est en pointe pour demander des sanctions internationales contre Damas.

Les tensions internes. Le PKK est une organisation, officiellement, et dès sa naissance, marxiste-léniniste dans sa version stalinienne. Le culte d’Apo est la base de l’organisation. Dans les manifestations à Paris suite aux trois assassinats, il y avait plus de drapeaux à l’effigie d’Apo que de drapeaux du PKK ou du Kurdistan. Les purges et les assassinats ont frappé tous ceux qui ont un jour critiqué le guide. Même le propre frère d’Apo a été vertement tancé, mais grâce à sa filiation il eut la vie sauve. En général, ces purges sanglantes ont lieu dans les camps du PKK dans le nord de l’Irak. Pour Kendal Nezan : « Sachant que Sakine Cansiz était présente dans le nord de l’Irak quelques mois avant son assassinat, elle aurait pu être tuée sur place. Donc je ne pense absolument pas qu’il s’agisse d’un règlement de compte interne ».

En diaspora, le PKK pratique à grande échelle l’impôt révolutionnaire et rackette les commerçants kurdes dans toute l’Europe. Par ailleurs, après le kidnapping d’Apo à l’ambassade grecque de Nairobi au Kenya le 15 février 1999, le chef suprême n’a pas vraiment eu une attitude particulièrement courageuse. Pour sauver sa peau, il a très rapidement appelé à un cessez-le-feu. La majorité des chefs de brigades du PKK dans les montagnes ont obéi. Mais quelque uns, dont deux ou trois chefs historiques, ont refusé de déposer les armes et ont continué le combat, organisant même des attentats terroristes dans les grandes villes de l’Anatolie occidentale. Les services secrets grecs, EYP, ont été aussi largement déçus par une attitude qu’ils ont jugée « lâche » de la part d’Apo.

Aujourd’hui les 2.000 peshmergas du PKK installés dans leur camp de Mandil, et aux alentours, dans le nord de l’Irak, sont sous le contrôle de Murat Karayilan, un commandant militaire historique proche d’Apo, qui soutient le processus de paix. En revanche son homologue Bahoz Erdal, de son vrai nom Fehman Huseyin, est contre. Il s’agit d’un Kurde syrien. C’est lui qui contrôle l’ensemble des Kurdes syriens qui se battent dans les rangs du PKK, en Turquie, depuis le printemps 2011. Ils représentent aujourd’hui 25% des combattants et ont souvent la double appartenance PKK-PYD. Pour eux, les combats en Turquie protègent aussi leurs frères qui viennent de libérer les trois régions kurdes du nord-est de la Syrie et qui s’affrontent à l’ASL et aux milices turkmènes. À noter que, dans la région de Mossoul, en Irak, les milices Turkmènes s’affrontent régulièrement avec les forces autonomes kurdes. Enfin, les organisations d’extrême gauche turques et kurdes ne brillent pas par leur fonctionnement démocratique. Le DHKP (Parti révolutionnaire de libération du peuple), marxiste-léniniste, s’est coupé en deux dans les années 80. D’un côté Dev Yol (Chemin révolutionnaire), de l’autre Dev Sol (Gauche révolutionnaire de Dursun Karatas), très proche du PKK. À Paris, ces deux organisations, désormais concurrentes, ont leurs locaux dans la même rue, juste derrière la rue Lafayette. Dans les années 90, ils ont réglé leurs comptes à coup de pétards en pleine rue.

QUATRE TENTATIVES AVORTEES

Ce n’est pas la première fois que l’État turc tente de résoudre le problème kurde en menant discrètement des négociations avec le PKK. La dernière a commencé en décembre 2012. La crise syrienne a montré au Premier ministre Erdogan l’urgence de solutionner le problème. Son principal conseiller politique, Yalçin Akdogan, déclarait il y a peu : « L’usage de la force ne suffit pas pour en finir avec le PKK ». Erdogan demande alors à son ami Hakan Fidan, le directeur du MIT, service secret turc, d’entrer en contact avec Apo dans sa prison d’Imrali, dans la mer de Marmara, pour négocier un désarmement.

Fidan, né en 1968 à Ankara, a fait ses études supérieures à l’université du Maryland. Il a été nommé à la tête du MIT le 28 mai 2010 pour purger le service des éléments ultra-nationalistes et barbouzes. Il est la bête noire des Israéliens et surtout du Mossad, car c’est lui qui a organisé les deux flottes de bateaux vers Gaza. En effet, le Mossad avait l’habitude de travailler avec une armée turque et un MIT, laïcs, républicains, kémalistes qui avaient signé des accords de défense entre Tel Aviv et Ankara à la fin des années 90. Or Erdogan, avec l’aide de Fidan, a changé l’orientation de la politique étrangère turque, se rapprochant des pays arabes, surtout après la chute des dictatures en Tunisie, Libye, Égypte, dans un esprit « néo-ottomaniste » et voulant exporter l’idée d’un gouvernement « islamiste modéré » qui est la base du programme du parti au pouvoir depuis novembre 2002, l’AKP (Parti pour la justice et le développement).

Fidan, qui au niveau du protocole est l’équivalent d’un vice-premier ministre, se rend à Imrali pour rencontrer Apo, le seul détenu de cette prison, une semaine avant les trois assassinats de Paris. À ce jour, 8.000 combattants et membres des organisations non-combattantes du PKK sont en prison. Le deal entre Fidan et Öçalan était simple : désarmement des combattants du PKK en Anatolie orientale avec possibilité, pour ces derniers, de rejoindre sans encombre le nord de l’Irak. En échange Apo demande peu : reconnaissance de la langue et la culture kurdes en Turquie et si possible la libération de 300 militants qui travaillaient dans les associations proches du PKK, mais qui n’ont jamais pris part à la lutte armée.

Trois des quatre partis turcs présents au Parlement, sans avoir eu vent des négociations en cours, s’étaient déclarés depuis plusieurs mois pour des négociations : l’AKP au pouvoir, le CHP dans l’opposition (centre-gauche républicaine kémaliste) et le BDP (Parti pour la paix et la démocratie) représentant la minorité kurde. Un député de ce parti a été associé à la négociation et autorisé à rencontrer Apo en tête à tête. Seul, le MHP (Parti de l’action nationaliste), troisième force au Parlement, est contre depuis toujours. Ce parti ultra- nationaliste a été fondé en 1969 par le colonel Alparslan Türkes. Chypriote turc, jeune officier de l’armée kémaliste, il a passé quelques années en prison durant la Deuxième Guerre mondiale pour apologie du nazisme et de Hitler, à l’époque où Ismet Inönü, le successeur de Mustapha Kemal, essayait de garder la Turquie dans la neutralité. Le MHP est très lié à l’association des Loups Gris. Il s’agit de l’aile panturquiste du Kémalisme, fondée par Ziya Gökalp et Nihal Atsiz. Ils sont très bien implantés à Chypre nord, zone occupée par l’armée turque depuis août 1974. Les Loups Gris sont des militants d’extrême droite extrêmement violents. À leur actif, l’assassinat de militants d’extrême gauche, de syndicalistes, de membres des minorités et de défenseurs des droits de l’homme. Ils ont trempé dans la tentative d’assassinat de Jean Paul II. Le 19 janvier 2007, ils ont tué Hrant Dink à Istanbul. Ce dernier, un Arménien de Turquie, était le fondateur et le directeur de l’hebdomadaire bilingue turc-arménien, Agos , et militait pour la reconnaissance du génocide. Son assassin, Ogün Samast, 17 ans à l’époque, aidé de deux complices, venait de Trébizonde, un fief des Loups Gris, sur les bords de la mer Noire en pays Laze.

LES TROIS PREMIERES TENTATIVES

La première est certainement la plus grave. Turgut Özal, Premier ministre de 1983 à 1989, avait commencé sa carrière politique dans les milieux islamistes pour ensuite prendre la tête d’un parti de la droite libérale. Il n’a eu de cesse d’amoindrir le poids de l’armée dans la vie politique du pays et de lui enlever ses prérogatives protocolaires. En 1989, il devient Président de la République. D’origine kurde, il tente pour la première fois depuis 1984 de négocier avec le PKK. Des contacts sont pris au début des années 90. Mais, d’une santé fragile, il meurt le 17 avril 1993 dans son bureau, victime officiellement d’une crise cardiaque. L’opinion publique en doute. Finalement, la justice ordonne le 3 octobre 2012, l’exhumation de son corps pour analyses. Les légistes ont retrouvé des traces de DDT, de cadmium, de polonium et d’américium dans sa dépouille. Le Président de la République a donc été assassiné pour avoir voulu régler le problème kurde. La deuxième tentative a lieu en 2009 mais échoue, elle aussi, dans des circonstances confuses. La troisième a lieu en 2011. Hakan Fidan rencontre secrètement des représentants du PKK à Oslo. Il prend soin de faire enregistrer les conversations par une caméra pour pouvoir en rendre compte à son Premier ministre. Mais la vidéo finit à la télévision et devant le tollé provoqué, les négociations sont interrompues. La fuite ne peut provenir que de deux secteurs : l’entourage du Premier ministre ou certains cercles du MIT hostiles à leur nouveau patron qui est en train de faire le ménage dans son service.

ERGENEKON

Tout commence après la Deuxième Guerre mondiale et les débuts de la guerre froide au printemps 1947 avec la doctrine Truman et le plan Marshall. En 1948, la CIA est créée sur les bases de l’OSS de la Seconde Guerre mondiale. La CIA ouvre sa première antenne à l’étranger à Athènes. L’OTAN est fondée le 4 avril 1949. La Turquie y adhère dès 1952. C’est à cette époque que les services de renseignements militaires de l’OTAN, essentiellement la DIA (Defence intelligence agency), mettent en place le réseau Gladio. Il s’agit, en liaison avec des officiers locaux très anticommunistes, d’organiser un réseau clandestin de caches d’armes avec des agents dormants pour préparer une guérilla en cas d’occupation de l’Europe occidentale par l’Armée rouge. Après son élection en 1981, François Mitterrand rendra publique l’existence de ce réseau barbouze. Belgique, Pays-Bas et Italie feront de même. Le réseau Gladio va vite dériver. En France, on le soupçonne d’avoir eu des relations avec le SAC (Service action civique) de Charles Pasqua. En Italie, il a participé, avec le service de renseignements SISMI et l’extrême droite, à des attentats pour renverser la République et instaurer un régime néo-fasciste. En Grèce, il a organisé le coup d’Etat des colonels le 21 avril 1967, alors qu’était prévu un coup d’Etat des généraux en juin, à la veille des élections qui allaient ramener au pouvoir le centre-gauche.

En Turquie, il est devenu la cellule Ergenekon. Cette dernière serait une partie plus ou moins déviante du Gladio turc. La révélation d’Ergenekon est intervenue après l’accident de circulation de Susurluk en 1996. Parmi les victimes de cet accident, la police routière d’Istanbul retrouve des chefs maffieux, des hommes des Loups Gris, un policier haut gradé et un député. Ergenekon est donc un rassemblement d’ultra-nationalistes, mélangeant MHP, Loups Gris, militaires, MIT et maffieux. Cette nébuleuse kémaliste, panturquiste, fasciste et maffieuse a toujours refusé tous changements. En 1950, un parti de la droite libérale, anti-kémaliste, prend le pouvoir. Adnan Menderes sera Premier ministre jusqu’au coup d’État des militaires en 1960. Il sera pendu dans la prison d’Imrali, le 17 septembre 1961.

En juin 1996, le parti islamique, Refah Partisi (Parti de la prospérité), gagne les élections en Turquie et prend le pouvoir avec, comme Premier ministre, Necmettin Erbakan. En juin 1997, il est renversé par un coup d’Etat « à blanc » de l’armée. Nul besoin de faire sortir les chars. Les pressions ont été tellement fortes qu’Erbakan a jeté l’éponge. Le Refah est dissout en 1998 et renaît sous le nom d’AKP. Ce dernier arrive au pouvoir en novembre 2002. Quelques mois plus tard des militaires liés à Ergenekon tentent sans succès un coup d’Etat. Erdogan, dans la lignée de Menderes, d’Erbakan et de Özal, décide alors de mettre l’armée au pas et ce que l’on appelle en Turquie « l’Etat profond », c’est-à-dire les instances barbouzardes qui infiltrent l’Etat aux plus hauts niveaux. La justice en partie épurée par l’AKP, commence ses enquêtes en juin 2007 et le premier procès a lieu en octobre 2008. Entre juin 2007 et novembre 2009, près de 300 personnes ont été arrêtées. 194 ont été inculpées dont nombre de militaires et surtout de membres du JITEM (Service de renseignement et antiterrorisme de la gendarmerie). Le JITEM était le fer de lance de la contre-guérilla en Anatolie orientale. En février 2011, le tribunal d’Istanbul fait arrêter 163 officiers de l’armée. Aujourd’hui 364 officiers, souvent de haut rang, ont été arrêtés et 326 incarcérés. C’est la première fois que l’armée qui dirige la Turquie depuis 1922 est poussée dans ses casernes, loin du champ politique, comme en Grèce en 1975.

Même si Ergenekon a largement été épurée dans l’armée, la gendarmerie et le MIT, elle a été capable d’assassiner trois militantes kurdes en plein Paris, certainement avec l’aide des Loups Gris, plus difficilement décelables par la justice turque, car aussi bien implantés en Allemagne, en Belgique, en Alsace-Lorraine et en Franche Comté, soit à quatre heures de Paris.

Christophe Chiclet, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

18 janvier 2013