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L’Union Méditerranéenne : Une Union de projets ou un projet d’Union

Si l’on devait reconnaître un mérite à l’idée de Nicolas Sarkozy d’Union Méditerranéenne, c’est qu’elle est une grosse pierre dans la marre : elle bouscule bien des comportements, questionne des politiques, interpelle des Institutions, bref, elle relance le débat autour de la centralité de la Méditerranée dans la géopolitique de la France et de l’Union Européenne, et de l’adéquation des politiques européennes aux défis, de tous ordres, auxquels les riverains, et ceux de l’au-delà , sont exposés. Et pourtant, avant même que la proposition française ne soit portée par un projet aux contours bien définis, elle suscite déjà étonnement, suspicion, grincements de dents, voire opposition farouche. Le moment choisi pour la clamer, et l’imprécision de l’idée à ce stade quant à son contenu, ses objectifs, ses liens avec les politiques européennes en cours, son financement, sa valeur ajoutée, sa mise en œuvre et la délimitation de l’espace qu’elle est censée courir, fait problème. Est-ce une raison pour la rejeter tout de go, d’un revers de main, comme un « discours chimérique », une « fantasia française », une « chevauchée solitaire », pour reprendre quelques qualificatifs glanés ici ou là dans les enceintes des Institutions européennes ou dans les cénacles des spécialistes ? Ce ne serait pas la bonne approche, car s’il faut rompre avec cette fâcheuse tendance à multiplier les discours et les projets sur la Méditerranée, il ne faut pas, non plus, tout envisager dans le  » seul cadre communautaire ».

Justification de l’Union Méditerranéenne

Du point de vue des concepteurs de l’idée de l’Union Méditerranéenne, celle-ci se fonde sur un triple diagnostic : – Aggravation de la marginalisation de la Méditerranée dans l’économie mondiale – Inadéquation des politiques méditerranéennes de l’Union européenne – Erosion de la place de la France en tant qu’acteur géopolitique en Méditerranée. La périphérisation de l’espace méditerranéen dans l’économie mondiale est attestée par de nombreux indicateurs : la contribution des pays méditerranéens de la rive Sud et Est mondiaux aux échanges mondiaux est en baisse (prés de 4 %), les flux d’investissements sont minces (2 % du total des IDE), le dépôt de brevets est insignifiant (moins de ½ %), l’investissement consacré à la Recherche/développement est dérisoire (moins de 1 % du PIB), et les échanges intra-régionaux sont les plus faibles du monde (moins de 12 %). Dans ces conditions, la pauvreté continue à être un trait dominant, l’accroissement du PIB par habitant est très lent, le chômage ne baisse pas et il touche de plus en plus les jeunes diplômés, tandis que l’exode des cerveaux continue inexorablement à vider la région de ses ressources humaines éduquées. Quant à la croissance démographique, bien qu’en baisse notable partout, exerce une pression considérable sur les budgets des Etats. Cette situation recèle de sérieux défis en termes de stabilité sociale. Elle peut aussi avoir des retombées négatives sur l’environnement immédiat, notamment l’Europe, en termes de flux migratoires irréguliers, d’exportation des conflits internes, de crispations identitaires. Bien que consciente de tous ces risques, l’UE s’est attachée à mettre en œuvre des politiques à l’égard de la Méditerranée qui n’ont pas été en mesure d’y faire face. A cela, on peut avancer plusieurs raisons .Conjoncturellement, l’UE, depuis une quinzaine d’années a été distraite par la fin du système bipolaire, l’unification allemande et ses conséquences, la préparation de l’élargissement à l’Est, et les crises identitaires et institutionnelles à répétition au sein de l’UE. Tout cela a mobilisé son temps, son énergie et souvent ses ressources. Mais structurellement, l’action de l’UE en Méditerranée est demeurée rivée à des pratiques anciennes et des politiques désuètes qui avaient déjà démontré leur inefficacité de telle sorte que l’UE n’a pas pu devenir la force motrice capable de tirer les wagons méditerranéens. Outre la faiblesse des IDE européens en Méditerranée, les politiques méditerranéennes de l’UE n’ont pas réussi à impulser un véritable système productif régional : peu d’échanges intra-branches ce qui témoigne d’un niveau peu élevé d’intégration économique et, globalement, la part des partenaires méditerranéens dans le commerce extérieur des pays de l’UE tend à stagner. Sans oublier qu’en dehors du gaz et du pétrole, l’UE dispose d’un confortable solde commercial positif avec tous les pays de la Méditerranée. Le retard d’intégration économique productive entre l’UE et sa périphérie méditerranéenne se traduit par une perte moyenne pour l’UE estimée, selon les économistes, de 0,4 % à 0,6 %. Il faudra aller plus loin : développer de véritables réseaux de firmes transméditerranéennes et promouvoir les projets qui conduisent à l’intégration productive. Jean-Louis Guigou, probablement inspirateur discret de l’Union Méditerranéenne, plaide pour une véritable reconnexion des Nord et des Sud, fondée sur des intérêts réciproques et non sur un rapport de forces. Pour lui, une Communauté Méditerranéenne doit être lancée dans le cadre des coopérations renforcées, et à l’initiative de la France, pour promouvoir une telle reconnexion. Il a été apparemment entendu en haut lieu. Au vu de ce diagnostic, on comprend que le président Sarkozy ne soit pas tendre dans son analyse du Processus de Barcelone qu’il considère comme un échec, au moins pour deux raisons : la première c’est que l’UE ne s’y est pas engagée véritablement, ayant été distraite par les élargissements successifs, et la deuxième, c’est que l’UE est demeurée prisonnière du volet « économique » et a négligé les deux autres volets. Ce diagnostic est sévère et manque de nuances. Il est vrai que le Processus de Barcelone n’a pas été à la hauteur des objectifs initiaux affichés. Economiquement, il n’a pas réduit les écarts de prospérité, n’a pas accru l’attractivité de la région pour les investissements directs étrangers et n’a bénéficié que d’un financement limité et mal utilisé au moins dans la première phase de MEDA 1. Politiquement, aucune Charte de Paix et de Stabilité n’a pu être signée faut de langage commun entre les partenaires du Nord et du Sud. La participation d’Israël au Partenariat euro-méditerranéen avec d’autres pays arabes est considérée par les responsables de l’UE comme un acquis majeur. Culturellement, la relation culturelle de l’Europe avec son environnement arabe et turc a beaucoup souffert de la stigmatisation abusive de l’Islam, surtout depuis le 11 septembre 2001, et par le débat identitaire européen, surtout lors des discussions sur le projet de la Constitution européenne, comme si être européen, c’est d’abord ne pas être arabe, turc ou musulman. Le Partenariat euro-méditerranéen a permis l’éveil et la participation des acteurs de la société civile, suscité un intérêt académique considérable, facilité le développement de réseaux d’Instituts, financé en partie une Académie diplomatique Méditerranéenne, donné naissance à une Grande Fondation culturelle euro-méditerranéenne, impulsé la création, souvent spontanée, de centaines d’initiatives, de centres de recherches, d’Instituts euro-méditerranéens (IEMED à Barcelone) ou de Maisons de la Méditerranée. Mais on ne peut raisonnablement incriminer la seule UE pour les failles et les manquements du Partenariat. Les pays du Sud ont souvent traîné les pieds en matière de réforme, et n’ont rien fait de significatif pour promouvoir l’intégration sous-régionale. Certes, il y a eu l’accord d’Agadir auquel participent le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie, mais ces quatre pays n’ont pas de frontières communes et l’accord demeure largement virtuel. La Politique de Voisinage(PEV) est plus problématique et suscite davantage de questions que le Partenariat euro-méditerranéen. D’abord par une bilatéralisation excessive qui met l’intégration productive régionale hors de portée, par la fermeture de tout horizon d’adhésion, par le chevauchement avec les autres initiatives en cours. La PEV ne suscite par l’enthousiasme. Mais les Etats du Sud y souscrivent, semblent jouer le jeu, et tentent de maximiser leurs bénéfices tout en minimisant leurs sacrifices, surtout sur le plan politique. Pour les avocats de l’Union Méditerranéenne, la PEV est trop large et concerne des Etats trop divers. La question est de savoir si le cadre de l’UM et le nombre plus limité des Etats participants offrirait de meilleures perspectives en termes de travail commun. L’érosion du rôle de la France, c’est le 3ème diagnostic. On le trouve moins dans les discours de Sarkozy que dans le Rapport Avicenne. Cette marginalisation de la France dans sa périphérie immédiate, surtout au Maghreb , serait le résultat d’un manque d’activisme français et à l’opposé d’un surcroît de volontarisme politique d’autres acteurs notamment les Etats-Unis qui ont lancé, depuis l’Initiative d’Eisenstadt pour le Maghreb, et la signature d’un Accord de Libre-échange avec le Maroc en 2004, une véritable offensive commerciale pour conquérir de nouvelles parts de marché et empêcher que la France et l’Union Européenne ne transforment la région méditerranéenne en « marché captif ». Or la France ne peut pas dormir sur ses lauriers. Au Maghreb, en particulier, souligne le Rapport Avicenne, il faut redynamiser sa politique étrangère, assurer une présence. Elle y détient trop d’intérêts politiques, économiques, financiers et culturels pour se laisser distancer par d’autres acteurs. On comprend maintenant pourquoi le Président français veut remettre la France à la place qui lui revient par la géographie, l’histoire et les intérêts. Mais surtout il se justifie pleinement : impliquer les Etats les plus proches et les plus concernés dans des Initiatives Régionales est quelque chose qui se pratique ailleurs en Europe. Ainsi, la proposition française d’UM ne manque pas d’à-propos et fait sens, puisqu’il s’agit globalement de maximiser les champs de coopération entre des voisins, autour d’intérêts partagés, pour « tracer les lignes d’un futur commun souhaitable ». En somme il s’agirait de mettre en place quelque chose qui soit plus petit que la PEV (Politique Européenne de Voisinage) et plus efficace que le PEM (Partenariat euro-méditerranéen).

Réactions à l’Initiative française

Rarement une proposition comme celle de N. Sarkozy a alimenté autant de débats et suscité autant de réactions. C’est d’ailleurs son premier mérite : cela traduit le retour de la Méditerranée au centre des préoccupations et souligne l’importance de l’enjeu méditerranéen. Le deuxième mérite de la proposition c’est de sortir l’UE de son apathie, de l’amener à s’interroger sur la pertinence, la cohérence, et l’efficacité de ses politiques méditerranéennes. Pourquoi les dirigeants arabes ont-ils fait défection lors du Sommet du Xème anniversaire du Processus de Barcelone ? Pourquoi celui-ci n’a pas réussi son pari de réduire les écarts de prospérité entre les partenaires, d’impulser de véritables réformes politiques, et de retisser les fils du dialogue culturel ? Pourquoi la dégradation de la situation en Palestine a –t- elle contaminé le Processus de Barcelone, alors que l’UE misait, au contraire, sur les retombées positives du Partenariat euro-méditerranéen sur le processus de paix israélo-arabe ? Pourquoi la Politique de Voisinage est vue par les pays du Sud comme une simple compensation pour les pays qui n’ont pas vocation à l’adhésion ? Le troisième mérite de l’UM c’est l’approche pragmatique du projet, le gradualisme de la méthode, l’égalité « affichée » entre les participants et le nombre réduit des Etats impliqués. A cet égard, il faut rapidement lever le voile : qui seront « les heureux élus » outre les 8 pays méditerranéens de l’UE ? Va-t- on, dans un premier temps, inviter les 23 pays de la Méditerranée. Ou simplement les pays du Maghreb auquel on adjoint quelques pays du Machrek ?

Réactions européennes

Les Etats européens de la Méditerranée évitent jusqu’ici l’opposition frontale, mais il est clair, même si l’idée d’une coopération renforcée peut légitimement les séduire, que l’activisme français les prend de court et finalement les agace. Aussi disent-ils soutenir le projet, mais du bout des lèvres en assortissant le soutien d’avertissements clairs : « Cette UM doit s’inscrire dans une approche « globalement euro-méditerranéenne », affirme Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires Etrangères. En somme, les réactions européennes portent autant sur la méthode que sur la pertinence, la compétence et le financement de l’UM. Les Français s’attendaient-ils à un tel scepticisme ? Probablement pas, à en juger par certains propos irrités de leurs diplomates. Pour l’ambassadeur Degallaix « l’UM n’est pas une machine de guerre contre le Processus de Barcelone, ni un substitut , qu’ « elle ne repose pas sur un groupe pionnier des « happy few », qu’il s’agit d’un partenariat ouvert et non fermé, et que l’UM est une idée tournée résolument vers des résultats ». Au Sud de la Méditerranée, on ne peut pas dire que l’UM suscite un engouement particulier. Au Maghreb, le Maroc recherche surtout un « statut différencié  » du fait de sa proximité géographique, de son implication dans les projets communautaires. Mais en attendant, le ministre marocain des Affaires Etrangères, Taïeb Fassi-Fihri, se dit favorable à l’UM. Mais l’ambassadeur du Maroc à Paris, Fathallah Sigilmassi avertit : « Si l’agenda de l’UM c’est freiner l’immigration et lutter contre le terrorisme et s’il s’agit essentiellement de préserver la sécurité de l’Europe, alors je ne pourrai pas vendre le projet à mon pays » . L’Algérie s’en tient à son accord d’association avec l’UE. Quant à la Tunisie, elle préférerait un renforcement de la formule 5+5 relative à la Méditerranée Occidentale. Dans le Machrek arabe, on demeure dubitatif quant à la valeur ajoutée de l’UM et quant à sa capacité de surmonter les contraintes structurelles qui ont handicapé le Processus de Barcelone. Mais cela n’empêche le président Mubarak de se montrer ouvert : « Personnellement, je pense que c’est une excellente proposition qui mérite d’être examinée ». Les Turcs sont plus ulcérés par le justificatif de l’UM. « It is a non starter » réagit Sinan Ulgen, un ex-diplomate turc. Les Turcs n’acceptent pas que l’UM soit présentée comme un prix de consolation, un ersatz ou une alternative à leur volonté d’adhésion. Certes la Turquie jouera le rôle qui lui revient de droit dans toute architecture méditerranéenne, mais pas au prix d’une non-adhésion. A l’opposé du concert des opposants et sceptiques, la position d’Israël est plus favorable, mais les raisons invoquées en disent long sur leurs attentes. Un diplomate israélien le dit sans détours :  » L’UM nous offre une autre occasion pour dialoguer avec des pays avec lesquels nous avons eu quelques difficultés à parler ». Ainsi l’UM serait une enceinte qui permettrait à Israël de normaliser ses relations avec ses voisins sans devoir se réconcilier avec eux, c’est-à-dire, résoudre le conflit qui les oppose à l’Etat hébreu.

Réactions des médias et des intellectuels

Celles-ci sont de la même veine, généralement dubitatives et sceptiques. Mais certains intellectuels reconnaissent à l’UM quelques vertus. Jean-Claude Casanova se contente d’affirmer que l’UM est « un chemin juste et difficile ». Chemin juste parce que « si cette Union se réalisait, elle serait le point de rencontre des trois sœurs latines…des autres pays méditerranéens de l’Europe et des partenaires extérieurs… ». Casanova est plus pertinent lorsqu’il détaille les écueils : – Le premier consiste à persuader les partenaires européens qu’un cadre nouveau s’impose pour donner une énergie plus grande à la coopération. – Le deuxième tient à la question turque. Est-ce que N. Sarkozy saura en mesure d’expliquer que son refus de l’adhésion de la Turquie « ne repose sur aucune hostilité aux pays musulmans que l’on souhaite associer à l’Europe dans un cadre où ils restent ce qu’ils sont et l’Europe reste ce qu’elle est ». – Le troisième écueil vient de la qualité même du projet. En effet « , il est rare de voir des hommes d’Etat adhérer rapidement à une idée juste ». Au niveau des chercheurs, la clarification de Michael Emerson et de Nathalie Tocci ressemble à un catalogue de questionnements sur le rapport de l’UM au processus de Barcelone, sur les domaines d’intervention de l’UM (qui recoupent les compétences de l’UE), sur sa valeur ajoutée, sur le chevauchement possible avec les autres politiques européennes. Le point de vue d’Alvaro Vasconcelos, directeur du Centre de l’UEO à Paris et ancien Secrétaire Général d’Euromesco est intéressant. Vasconcelos revient sur le postulat de base du Processus de Barcelone qui veut que le développement des pays tiers méditerranéens conduit nécessairement à leur stabilité ,peut-être même à leur démocratisation. Or, dit –il, cette « équation développement-stabilité a été un échec ». Il convient désormais, affirme-t-il, de donner la priorité à la démocratie. Mais en dépit des critiques légitimes du Processus de Barcelone, celui–ci, reste aux yeux de Vasconcelos, « le cadre le plus adéquat », mais il faut le renforcer, par exemple par un Plan Marshall pour la Méditerranée (proposition du ministre portugais Luis Amado), ou par « une Union euro-méditerranéenne » (Proposition de Moratinos). Cette dernière idée a, à l’évidence, les faveurs de l’auteur, car l’UM bouscule une règle établie qui veut que la problématique méditerranéenne soit posée dans « le cadre d’une perspective commune », ce qui signifie que la Méditerranée est la frontière Sud de l’Allemagne et que l’Estonie est la frontière nord du Portugal. Ainsi pour lui, le seul projet véritablement mobilisateur pour la région « est une communauté euro-méditerranéenne basée sur des valeurs ayant contribué à la réussite de l’intégration européenne « . Cette Communauté euro-méditerranéenne aura pour principale tâche de faire la paix, condition nécessaire aux projets régionaux et à l’approfondissement démocratique. Cette idée de la paix comme fondement de tout projet euro-méditerranéen, est reprise par Pascal Boniface. « Si l’Europe a avancé, c’est parce qu’elle était en paix » écrit Boniface. Et il ajoute avec justesse  » Les projets communs ont consolidé la paix, ils ne l’ont pas précédée ». Une dernière réaction renvoie à l’américanophilie du Président Français. Laissons de côté les comparaisons peu élogieuses entre Sarkozy et Aznar, propres à certains journalistes espagnols. Mais certains journalistes du Sud font remarquer que l’UM est pour la France ce que le projet du Grand Moyen-Orient est pour les Etats-Unis. Or, disent-ils regardez où nous a mené le projet du Grand Moyen-Orient ?

L’Union Méditerranéenne : Union de projets ou projet d’Union.

L’idée d’UM n’a pas germé dans la tête du président français : elle est le fait d’une orchestration collective, dans laquelle ont participé des experts, des députés de l’UMP et les principaux conseillers de l’Elysée. Déclarée comme « axe majeur » de la politique étrangère française, l’idée s’est imposée dans les débats institutionnels et médiatiques. Comme une Union de projets, plus qu’un projet d’Union, l’UM s’inspire des débuts de la construction européenne et se fonde sur la méthode des pères fondateurs du projet européens : des actions concrètes et des solidarités construites. Avec le temps, elle pourrait se doter d’institutions propres et éventuellement des institutions communes avec l’UE. Mais il y a deux éléments qui rebutent dans l’initiative française : « Ce n’est ni une politique méditerranéenne de l’Union Européenne, ni une politique arabe de la France ».
L’UM, l’UE et les pays arabes

Un des mérites des initiatives méditerranéennes de l’UE c’est l’implication de tous les membres. En 1998, un chercheur allemand, Volker Perthes, rédigeait un « Euromesco paper, avec le titre évocateur suivant : » L’Allemagne devient progressivement un Etat Méditerranéen ». De son côté, le Danemark a inscrit dans le Livre Blanc « la stabilité de la Méditerranée » comme « intérêt national ». Tandis que la Finlande estimait qu’elle était un « pays riverain de la Méditerranée » dés lors qu’elle adhérait à l’UE. Ainsi l’UM pose aux autres pays européens du Nord un sérieux dilemme. Ceux-ci auront-ils quelque chose à dire devront-ils contribuer au financement ? A travers quels instruments : Banque Européenne d’Investissements ? Femip ? ou une Banque méditerranéenne d’investissements ? En outre, ils se demandent quelle forme pourrait prendre cette UM : une Institution à part entière avec Conseil, Commission, Parlement et Cour des Comptes ? ou une sorte d’un Conseil de l’Europe ? Dans ce cas, avec quelle efficacité quand on sait que le Conseil de l’Europe n’a pas pu jouer le moindre rôle dans la solution des conflits à l’intérieur du continent européen ? Le rapport de l’UM avec les institutions européennes est donc loin d’être clarifié. En revanche, ce qui est certain c’est qu’aucun pays européen n’acceptera que les moyens financiers de l’UE soient mis au service des seules ambitions de la France. On ne voit pas clair non plus dans le rapport UM – pays arabes. Ceux-ci ne comprennent pas pourquoi le Président Sarkozy présente cette UM comme un « substitut » à « la politique arabe de la France ». Cette politique, initiée avec Charles de Gaulle, était voulue pour rompre avec la vision d’une France alignée sur les positions israéliennes, au moins jusqu’à la guerre de 1967. Elle n’était pas anti-israélienne par définition, mais elle était censée être au service d’une politique française d’équilibre et correspondait parfaitement aux intérêts stratégiques, politiques, culturels et économiques de la France dans une région si proche. Ce n’était donc ni une politique insensée, ni, encore moins, une politique honteuse dont le Président Sarkozy chercherait à s’en défaire. Au contraire, elle permettait à la France de s’exprimer librement, de ne pas s’aligner systématiquement sur la politique américaine et finalement de « faire la différence ». Or la présentation de l’UM comme une alternative à ce que « jadis on appelait la politique arabe de la France » (discours de Sarkozy) étonne les Arabes qui décèlent dans ce propos l’influence d’un courant de pensée dans l’entourage du Président qui pense que l’affichage d’une politique arabe de la France va à l’encontre d’un rapprochement avec l’Amérique et d’une normalisation avec Israël. Cela explique, sans doute alors que Sarkozy , président de l’UMP, se soit rendu à plusieurs reprises en Israël, sans daigner, une seule fois, visiter les territoires palestiniens et constater, de visu, les ravages de l’occupation. Ce penchant pro-israélien est couplé à un virage pro-américain. Sans doute les deux vont de pair. Et l’on peut difficilement en contester la légitimité. Mais ce qui fait problème, pour les pays arabes, c’est que la consolidation des relations de la France avec Israël et sa réconciliation avec l’Amérique se fasse au détriment d’une politique arabe qui a fait ses preuves.

L’UM comme coopération renforcée en Méditerranée Occidentale (5+5)

S’il y a bien une région qui devrait se sentir concernée par l’UM, c’est bien la région du Maghreb. En effet, les pays du Maghreb participent déjà : – A la Méditerranée occidentale (c’est la fameuse formule 5+5) – Au Forum de la Méditerranée pour 4 d’entre eux, sans la Libye – Au dialogue Otan-Méditerranée (sans la Libye) – Au Processus de Barcelone (sans la Libye et la Mauritanie)
- A la Politique de voisinage (sans la Mauritanie qui fait partie du groupe ACP, mais une éventuelle participation libyenne est envisagée) – Et il existe, du moins sur papier, une Union du Maghreb Arabe (depuis 1989) qui inclut les 5 pays du Maghreb. Or, la France dispose au Maghreb d’une assise solide. Les échanges globaux de la France avec les trois pays du Maghreb central oscillent entre 21 et 22 milliards d’euros par an, dont 8 avec l’Algérie, 7 avec le Maroc et 6 avec la Tunisie et plus d’un milliard avec la Libye qui sort à peine des années noires de l’embargo occidental (chiffres 2005). L’aide publique française au Maroc, à l’Algérie et à la Tunisie serait de l’ordre de 600 millions d’euros. C’est plus que l’enveloppe MEDA II programmée pour ces trois pays. Les étudiants du Maghreb qui font leurs études supérieures en France se comptent entre 60.000 et 75.000). La population maghrébine ou d’origine maghrébine, installée en France, dépasse aujourd’hui les 3 millions de personnes. Les transferts de fonds de ces immigrés, par des mécanismes formels ou des voies informelles, dépassent les 4 milliards d’euros. La France est présente massivement au Maghreb : on estime que plus de mille entreprises françaises, de toutes les tailles, sont aujourd’hui installées ou actives au Maghreb, dont au moins 38 des 40 grandes sociétés du CAC 40. Ces chiffres sont révélateurs de l’intensité de la relation historique, culturelle et économique de la France avec ces pays arabes francophones, et de la nécessité d’une coopération renforcée avec ces pays. L’idée d’un « partenariat avec le Maghreb » est une idée ancienne. Déjà en 2003, avant le sommet 5+5 de Tunis, un groupe d’éminents économistes français rédigeait un remarquable rapport intitulé  » 5+5, l’ambition d’une association renforcée ». L’étude tirait la sonnette d’alarme : « Face au défi que présente l’élargissement, l’alternative se trouve dramatiquement simplifiée : soit, de manière significative, la Méditerranée accentue son intégration économique… et son insertion dans l’économie-Monde, soit, rien n’est fait de plus qu’aujourd’hui et notre conviction est que, dans ce cas, la Méditerranée insensiblement se fracturera, multipliant les risques de marginalisation économique et de dérive politique ». En 2007, Nicolas Sarkozy et ses conseillers ne disent pas autre chose. Mais la proposition des économistes d’un « renforcement de la Méditerranée Occidentale », à supposer qu’elle ait été lue, n’a pas été retenue puisque c’est l’idée d’Union Méditerranéenne qui a finalement prévalu du moins jusqu’à ce jour.

Une proposition finale

Les dés sont loin d’être jetés. D’ici juin 2008, date du premier sommet de l’UM (à supposer qu’il se tienne) beaucoup d’eau coulera sous les ponts. Il n’est pas impensable, comme le souhaite d’ailleurs Hubert Védrine, que l’UM soit limitée à un petit nombre de pays avant son éventuel élargissement à d’autres. Dans ce cas, une Union Méditerranéenne limitée au Maghreb sous forme d’un « Partenariat régional prioritaire » peut être envisagée et lancée. Présentée en tant que coopération renforcée et impliquant les 8 pays européens de la Méditerranée et les 5 Etats du Maghreb (auxquels on peut adjoindre l’Egypte), cette UM fait sens. Elle suscitera, j’en suis sûr l’enthousiasme de tous et le soutien de l’Union européenne voire même d’autres acteurs. Pour certains projets précis (infrastructures, connexion électrique, transport d’énergie, etc), elle pourrait mettre à contribution les « fonds souverains » des pays pétroliers en collaboration avec des fonds de l’UE et de ses Etats membres. Pour d’autres (environnement) elle sera un forum de concertation incluant les autres pays méditerranéens. Cette proposition a pour avantage le découplage de l’idée de coopération renforcée avec la candidature turque à l’UE. Le lien qu’a fait Sarkozy entre l’UM et la candidature turque a tendu le climat inutilement et finalement a desservi l’idée elle-même. De même le fait d’avoir présenté l’UM comme la perspective à partir de laquelle la France compte repenser « ce que jadis on appelait la Politique Arabe de la France », a crispé les Arabes qui n’ont pas compris ce propos. On a du mal à comprendre pourquoi le virage pro-israélien et pro-américain de la politique étrangère française doive signifier nécessairement d’enterrer la politique arabe de la France. Le remarquable rapport Avicenne (d’avril 2007) insiste, au contraire, sur l’importance de l’ensemble de la région arabe pour la France. Je dirais même pour l’UE. Le Partenariat Régional Prioritaire (PRP) que je propose, a aussi l’avantage de ne pas heurter de front l’UE. On sait combien celle-ci est jalouse de ses compétences et combien elle rechigne à mettre ses moyens au service d’ambitions de l’un ou l’autre Etat membre. On sait par ailleurs que souvent elle se cabre devant les critiques, surtout si elles émanent d’Etats membres. La sagesse requiert dés lors d’avoir l’UE avec soi plutôt que contre soi. Or, en présentant l’UM comme un Partenariat régional prioritaire, on fait taire les critiques de l’UE. En limitant le PRP au Maghreb+Egypte, je ne cherche pas à pénaliser ou écarter les pays du Moyen-Orient, notamment la Jordanie, le Liban, la Syrie, Israël et les Territoires Palestiniens. Mais tant que nous parlons de « Territoires palestiniens  » et non de « Palestine », tout projet de coopération régionale est voué à l’échec. Mais ces pays du Machrek ne doivent pas rester au bord de la route : ils participent déjà à la Politique de Voisinage et au Processus de Barcelone. Tandis qu’Israël bénéficie d’un traitement privilégié en participant aux grands programmes européens de recherche. La solution du conflit israélo-arabe facilitera énormément la coopération régionale et rendra plus aisée l’inclusion de tous ces pays dans le PRP. La France et tous les pays de l’UE doivent dés lors, concomitamment à la mise en route du PRP pour le Maghreb+Egypte, se mobiliser pour extraire le Moyen-Orient de l’impasse politique et vider cet abcès de fixation qu’est le conflit-israélo-arabe. Le Plan de Paix Arabe est l’offre la plus généreuse dans ce sens. C’est une chance à saisir. Et la France doit le faire comprendre à Israël et à l’Amérique, maintenant qu’elle dispose de canaux de contact privilégié. Ces propos ne disqualifient pas le concept d’UM. Mais si on veut qu’il soit un « nouveau souffle  » et non un « nouveau soufflé », selon la jolie formule de Roberto Aliboni, il faut en revoir la méthode. Si c’est une Union de projets et non un projet d’Union, alors pourquoi ne pas appeler l’Union Méditerranéenne : « Les grands chantiers de la Méditerranée » ? C’est précisément, la proposition que je fais d’un Partenariat Régional Prioritaire.

23 novembre 2007

Bichara Khader,  Directeur CermacUCL