Entre 1948, date de la résolution 181 de l’ONU qui propose la création en Palestine de deux états -l’Etat juif de Palestine et l’Etat arabe de Palestine- et qui ne s’est traduit que par la proclamation de l’Etat d’Israël, et 1967, le peuple palestinien n’existe pas aux yeux du monde ; il a été éliminé géographiquement (expulsion) et historiquement.
Après la guerre de 1967, la résolution 242 de l’ONU présente les Palestiniens simplement comme des « réfugiés ».
Il faut attendre 1993 et les accords d’Oslo pour que l’hypothèse politique d’un Etat palestinien soit admise… mais de manière encore non explicite dans le texte !
D’autre part il faut insister sur le fait qu’ on n’entamera aucun processus réel de paix si des deux côtés on n’assume pas comme donnée fondamentale l’existence de deux Etats libres et souverains. La reconnaissance de l’Etat palestinien est devenue la condition d’une sortie de la logique de guerre dans la région.
Il est clair que celui qui croit que les terres de Palestine appartiennent par droit divin à Israël n’admet pas l’existence de l’Etat de Palestine…
Aujourd’hui, la société palestinienne et avec elle l’opinion publique mondiale, est arrivée à une double conclusion. La première, c’est qu’à travers son interprétation des accords d’Oslo, Israël n’a jamais vraiment envisagé de mettre fin à l’occupation et à la colonisation et, par conséquent,d’accepter l’instauration d’un Etat palestinien indépendant. La deuxième ; c’est que, par leurs déclarations, (voir la récente prestation de Nétanyahou devant le Congrès américain), les Israéliens ont transmis un message sans équivoque : l’autodétermination pour les Palestiniens n’a jamais figuré à leur agenda.
Donc il ne faut plus rien attendre de négociations bilatérales avec Israël pour aboutir à un Etat palestinien ; bien au contraire, le pouvoir israélien pose de plus en plus des conditions inacceptables pour l’éviter. Ce qui attribue à Israël un véritable droit de veto sur l’Etat palestinien.
Or le droit à l’autodétermination dont disposent les Palestiniens les autorise à proclamer unilatéralement leur Etat. Mais cette déclaration unilatérale ne sera efficace que si une grande majorité de pays reconnaît l’Etat de Palestine pour ainsi entrer à l’ONU et faire ainsi pression sur le Conseil de Sécurité et sur le risque d’utilisation du droit de veto par les Etats-Unis…
Le peuple palestinien a le droit à son Etat depuis…1922
De ce point de vue un petit rappel historique paraît utile pour préciser le droit des Palestiniens à leur Etat.
Après la défaite de l’Empire ottoman en 1917-1918, les Palestiniens sont sous occupation britannique et la nouvelle SDN, vient de proclamer le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce nouveau principe juridique de base est reconnu à travers le système du mandat défini comme une administration provisoire des territoires issus en particulier de l’Empire ottoman en attendant que les peuples soient en condition de « disposer d’eux-mêmes ». En même temps le droit d’accéder un jour à la souveraineté est proclamé et garanti.
C’est ainsi que le peuple palestinien, disposant déjà d’un projet national fragile mais réel, qu’il avait commencé à élaborer sous administration ottomane, bénéficie de ce droit par le mandat britannique. Le mandat reconnaît la personnalité politique des territoires mis sous mandat.
La Déclaration Balfour de 1917 qui autorise l’installation d’un Foyer national juif en Palestine institue un droit à l’immigration ouvert pour les Juifs qui est de l’ordre du droit privé, mais ne modifie pas le statut du territoire et de son peuple qui relève du droit public.
Ainsi le droit des peuples à disposer d ’eux-mêmes au profit des Palestiniens sur l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire doit être le point de départ de tout le raisonnement sur l’Etat palestinien.
Les évènements historiques ,le génocide des juifs,- vont évidemment bouleverser le contexte territorial local en 1945. Un consensus se fait autour du projet sioniste en Palestine. La Grande-Bretagne, toujours puissance mandataire, est face à une contradiction fondamentale :
….Respecter les droits palestiniens tels que reconnus par la Charte de la SDN
….Ouvrir au peuple juif la perspective d’ un Etat
Or elle ne peut créer un Etat à partir d’un territoire sur lequel vit un autre peuple à qui on a promis le droit à l’autodétermination.
La Grande-Bretagne s’en remet alors à l’ONU , à l’Assemblée générale qui n’a pas de pouvoir contraignant. Celle-ci vote une résolution -la 181- qui n’est qu’une recommandation- proposant un plan de partage du territoire de la Palestine de manière à créer deux Etats (la partie juive recevrait 56%, la partie arabe 44%,et Jérusalem aurait un statut international).
Mais la création de l’Etat d’Israël proclamé le 15 Mai1948 ,supposait l’accord de celui qui est titulaire de la souveraineté sur le territoire à diviser. à savoir le peuple palestinien En droit cet accord est indispensable.
Rien de cela n’a été fait ni même tenté. D’où le refus arabe et palestinien, la guerre, le nettoyage ethnique, la Nakba. Israël en profite pour s’octroyer 22% de plus du territoire palestinien et contrôle ainsi 78% de l’ex-Palestine mandataire.
Bien que s’étant engagé à respecter les résolutions de l’ONU, Israël démontre très tôt sa volonté de ne jamais se sentir lié par les données territoriales de la résolution181 qui pourtant constitue sa base juridique…
Dès 1948 l’enjeu du conflit est -et reste- l’application par Israël du droit international
1948_1967
Une autre histoire commence : le centre de gravité de l’identité politique palestinienne passe à l’extérieur. Les Palestiniens expulsés de leur pays revendiquent le retour dont le droit a été exprimé par l’ONU avec la résolution 194, en Décembre 1948 et qu’Israël avait acceptée. Israël s’oppose par les armes à toute tentative de retour, amenant le Fatah à lancer la lutte armée en 1965, espérant entraîner le monde arabe porté par le nationalisme unitaire nassérien.
En 1967 c’est la défaite de ce nationalisme arabe et de la perspective de reconquête armée de la Palestine historique
1968, l’OLP ,s’autonomise de l’Egypte, redéfinit, à travers sa Charte, son objectif et sa stratégie de lutte armée « pour libérer (la) patrie et y retourner »(art.26). »Le partage de la Palestine en 1947 et la création d’Israël n’ont aucune validité » (art.19).
1er Janvier 1969 Le Fatah expose les principes d’un futur Etat et proclame que « l’objectif final de sa lutte est la restauration de l’ Etat palestinien indépendant et démocratique dont tous les citoyens, quelle que soit leur religion, jouiront de droits égaux »
De 1968 à 1973 la lutte est surtout menée à partir des pays voisins surtout de Jordanie ; c’est l’échec (Septembre noir). Les fedayins se regroupent au Liban.
1973, guerre d’Octobre, match nul. L’Egypte renonce à toute tentative de reconquête militaire.
1974 : Le Conseil national palestinien (Parlement palestinien en exil) prend acte de cette situation et se donne comme objectif de constituer une « autorité nationale »sur toute partie libérée ou évacuée dans le cadre d’un règlement négocié. Une minorité refuse d’abandonner de fait l’objectif de libération de toute la Palestine ; ce sera le Front du Refus. La problématique de deux Etats est de fait posée même si officiellement elle est niée…
Il s’en suit un violent débat qu’on peut résumer en ces termes :
Un compromis est-il possible avec un ennemi installé sur ses propres terres ce qui remet en cause des clauses essentielles de la Charte de 1968 ?
Sinon, la tâche historique de l’OLP est-elle d’abroger le sionisme et de constituer un Etat indépendant et multiconfessionnel à la place de l’Etat d’Israël ?
Alors quel est le prix à payer pour la 1è hypothèse (compromis avec Israël) et pour la 2è ?
Quelles sont les modalités de lutte pour arriver à la 1è et à la 2è ?
Pour la 1ère solution, il faut une grande stratégie politico-diplomatique (rapports avec les grandes puissances, avec les pays arabes et des méthodes de lutte politique et/ou militaire, distinguant les zones d’opérations militaires à l’intérieur d’Israël et les zones d’action politique et diplomatique…
Pour la 2ème solution, l’annulation d’Israël de la carte régionale et instauration d’un Etat démocratique pour les musulmans, les chrétiens et les juifs, il faut envisager une lutte armée de longue durée,impliquant les masses arabes.
Pour la majorité de l’OLP, l’unique objectif possible est la constitution du mini-Etat en Cisjordanie et à Gaza, et il faut créer les conditions diplomatiques de son émergence.
De 1974 à 1986, le mouvement national subit un triple échec :
– de la lutte armée en 1982 (après la fin du « front Sud »et le retrait de l’Egypte), Israël démantèle la structure politique politico-militaire de l’OLP repliée au Liban et transférée en Tunisie.
– de la solution pan-arabe (plus aucun pays arabe ne s’alliera avec l’OLP pour attaquer Israël).
– de la solution voulue par l’OLP (négociations diplomatiques sans résistance armée)
A cette triple impasse va répondre une nouvelle génération de Palestiniens qui relance la lutte de libération nationale dans son espace « naturel », la Palestine. En 1987 c’est le déclenchement de l’Intifada c’est-à-dire d’un vaste mouvement de désobéissance civile (à 95% non-violent) dans les territoires occupés qui réunit toutes les composantes du mouvement.national. L’impact est mondial et en 1988, l’OLP ainsi renforcée peut, à l’occasion du CNP d’Alger, proclamer symboliquement « l’Etat indépendant de Palestine » à côté de l’Etat d’Israël. Du même coup, l’OLP reconnaît la résolution 181 de 1947 et les résolutions 242 et 338 votées en 1967 par le Conseil de sécurité qui demandent le retrait des troupes d’Israël des territoires occupés en Juin de cette année.
Ayant ainsi reconnu ces résolutions de l’ONU comme base juridique de l’existence de l’Etat de Palestine, l’OLP entre alors dans le processus politique sur la scène internationale Avec les Conférences de Madrid et d’Oslo (1991-1993), le mouvement national palestinien réunifié obtient, après la « reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP la légitimité politique internationale d’un Etat palestinien à côté d’Israël
Les accords d’Oslo, qui prévoient une période intérimaire de cinq ans pour finaliser un règlement définitif, semblent alors ouvrir la période de construction de l’Etat avant l’indépendance.
C’est l’échec, Israël, malgré les engagements pris, continue la colonisation qui est l’objet même du conflit et l’Autorité palestinienne installée pour cette période et dirigée par le Fatah, est incapable de l’empêcher.
On connaît la suite, l’OLP qui pouvait au bout des 5 ans,proclamer l’Etat, en est empêchée par l’Europe qui, après avoir promis son soutien, se défausse lâchement (à commencer par Chirac).
En 2000, à Camp David, Clinton soutient le refus israélien à la fois de prendre en compte la question des droits des réfugiés palestiniens et celle du partage de Jérusalem., torpillant toute perspective d’un Etat palestinien. C’est l’échec, la provocation de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées et l’éclatement de l’Intifada violemment réprimée. Israël, profitant de l’impopularité des attentats contre des civils et du soutien de l’administration Bush, surtout après le « 11 Septembre 2001 » Israël détruit les infrastructures du proto-Etat palestinien(police, ministères, emprisonnement de nombreux cadres du Fatah, assassinats extra-judiciaires, enfermement et liquidation de Yasser Arafat etc…)
Devant l’échec, c’est la division du mouvement national et la victoire du Hamas aux élections législatives en 2006. L’impasse est totale
Il faudra la pression de la société civile palestinienne pour permettre un rapprochement entre Hamas et Fatah (Document des prisonniers signé par l’ensemble des organisations palestiniennes en faveur de l’Etat palestinien dans les frontières de 1967, en 2006, affirmation lente mais régulière de la résistance populaire non-violente à partir de 2005 et réunissant des militants de toutes les organisations).Parallèlement c’est la mobilisation croissante de l’opinion publique mondiale en faveur de la cause palestinienne qui se traduit par l’augmentation du nombre des Etats parfois importants (Turquie’ Brésil etc…) qui affirment leur soutien politique.
La condamnation par la Cour Internationale de Justice du Mur renforce la légitimité juridique de la revendication palestinienne.
En Europe aussi l’opinion bascule en faveur des Palestiniens., en France 70% des Français sont en faveur d’un Etat palestinien (sondage commandité à un organisme spécialisé par l’AFPS) Aux Etats-Unis Obama est ouvert à la problématique de la reconnaissance de l’Etat palestinien mais il est violemment combattu par la majorité du Congrès et même par une partie de sa propre administration… La diaspora juive elle-même pour la première fois se divise face au gouvernement israélien otage des colons
En 2008, devant la stérilité de la négociation israélo-palestinienne imposée par les Américains et qui ne peut en aucune façon déboucher sur la naissance d’un Etat palestinien souverain, des personnalités palestiniennes du monde politique, économique et culturel se retrouvent pour demander un changement de stratégie : arrêt des négociations, abandon de la logique d’Oslo, résistance « pacifique »et demander à l’assemblée générale de l’ONU de reconnaître l’Etat de Palestine
Soumis à une pression interne et externe de plus en plus forte, l’Autorité palestinienne est, sous peine de perdre toute crédibilité, de se lancer dans la nouvelle stratégie ( offensive diplomatique et développement de la résistance populaire non-violente). Ce qui provoque une violente réaction du pouvoir israélien. Le problème pour Israël est d’obliger les Etats-Unis à poser leur veto au Conseil de sécurité pour empêcher la Palestine d’entrer à l’ONU car cela procurerait à la Palestine des capacités juridiques nettement plus grandes pour exiger d’Israël de se retirer non plus simplement d’un territoire occupé mais aussi d’un Etat reconnu qui dispose pleinement du droit à la souveraineté.
Déjà la Ligue arabe a proposé l’établissement d’une zone de protection aérienne au-dessus de Gaza…Il faut rappeler que l’aspiration d’un peuple à un Etat n’est pas matière de négociation, c’est un droit intrinsèque.
Bernard Ravenel, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée