Q. A un an du début de la révolution, quelle est la situation ?
B.G. “Malgré toutes les transformations qui ont eu lieu, tant au niveau national qu’international, tant dans le camp de l’opposition que dans celui du régime, la perspective de sortie de crise n’existe pas encore. Le régime a perdu toute crédibilité, est toujours plus isolé, l’ONU a condamné sa politique, il n’a plus aucune éthique, mais se réfugie sur le seul élément qui le maintienne en vie : la violence, dont l’escalade continue. Son seul objectif est d’écraser la révolution avant la conférence d’Istamboul des amis de la Syrie le 1er avril prochain. Il a commencé avec des snipers, maintenant recourt aux armes lourdes tous azimuts, Homs, Dahra etc. Même le monde des affaires a abandonné Assad, un Conseil d’hommes d’affaires libres a été constitué. Toute la société se réveille à la vie politique. Des formations, courants, tribunes politiques voient le jour. La nouvelle société civile se réinvente : un ordre des médecins libres, un ordre des avocats, des ingénieurs, des intellectuels sont nés. La société change, avant même la victoire ».
Q. La révolution fait-elle aussi recours à la violence ?
B.G. “La révolution est née pacifique à 100%, face à une répression de plus en plus violente. Et puis il y a eu la désertion de militaires qui ont refusé de tirer sur leurs concitoyens. S’est alors constituée l’Armée syrienne libre qui s’est donné comme mission la protection des manifestations pacifiques de la population.
Q. Le CNS demande-t-il une aide, une intervention de l’étranger ?
B.G. Pendant un an, les Syriens n’ont reçu aucune aide de l’étranger. La révolution a été financée par l’intérieur. Mais aujourd’hui les besoins sont plus importants. C’est pour cela que nous souhaitons un soutien international. En premier lieu un soutien politique. Jusqu’à aujourd’hui, la communauté internationale n’a fait aucune action forte pour arrêter Assad. Nous demandons à Assad qu’il laisse libre accès aux organisations humanitaires, de défense des droits de l’Homme pour aider la population. La presse ne peut entrer librement et de nombreux journalistes entrés clandestinement ont été tués. Nous avons demandé des observateurs, une force de “peace keeping”, mais rien n’a été fait.
Q. Le Conseil a été accusé de vouloir une intervention de l’OTAN
B.G. Jamais personne n’a demandé une intervention de l’OTAN. La Syrie n’est pas la Libye et aucun pays, à commencer par les Etats-Unis, n’a promis ni parlé d’une telle intervention. C’est un faux débat inventé par le régime pour dénigrer l’opposition. Les pays arabes ont parlé de Casques bleus arabes, avec la présence également des Turcs. Cela peut être la solution pour éviter des risques encore plus graves pour la stabilité de la région.
Q. Qu’est-ce empêche selon vous cette voie ?
B.G. C’est la dimension régionale. L’Occident n’a pas assez travaillé pour convaincre la Russie, qui doit être impliquée. Il faut réfléchir en termes régionaux, renégocier la stabilité du Moyen-Orient. Les Russes s’opposent parce qu’ils ont en tête l’exemple de la Libye, qui a longtemps été un client de la Russie et qui maintenant est un client de l’Occident. Pour la Chine c’est surtout la crainte de l’exemple de la révolution populaire. Israël préfère Assad faible qu’une révolution démocratique, Nétanyahou a fait des pressions sur les Etats-Unis pour freiner les aides ».
Q. Pourquoi les pays du Golfe, certainement pas démocratiques, soutiennent-ils le CNS ?
B.G. Le régime d’Assad a été longtemps allié aux pays du Golfe, mais quand il s’est allié avec l’Iran, il y a eu un renversement. Assad a menacé de faire exploser dans le Golfe les divisions confessionnelles. En Arabie séoudite il y a une minorité de Chiites, pour ne pas parler du Barhein où ils sont la majorité. Les pays du Golfe ne sont sûrement pas attirés par la révolution et par la démocratie, mais c’est une façon de s’opposer à l’activisme régional de l’Iran. Il y a convergence de fait qui n’est pas liée à la question de la démocratisation.
Q. La Syrie risque-t-elle une guerre civile ?
B.G. Dès le début, la révolution est consciente du risque que d’autres pays utilisent les divisions confessionnelles contre elle. C’est pour cela que nous avons insisté sur l’unité nationale. Certes, dans les manifestations, les minorités, à commencer par la minorité chrétienne, sont proportionnellement moins présentes que les sunnites. Mais ils participent, malgré le chantage auquel Assad soumet les minorités, menacées de vengeance. On a vu avec les Alaouites qui ont participé, qu’ils ont eu leurs maisons brûlées. Le régime fait une politique de division. Il existe un potentiel de heurts interconfessionaux, mais les militants démocrates ont tout fait pour désamorcer le conflit. Le slogan « un, un, un, le peuple syrien est un » est très diffusé. Et malgré les manoeuvres du régime, ce conflit n’a pas encore explosé. C’est important. Dans l’histoire de la Syrie les minorités ont toujours eu un rôle, il ne faut pas l’oublier. Par exemple, le Premier ministre après l’indépendance en 46 était chrétien ».
Q. Le CNS est critiqué, des divisions apparaissent. Est-il représentatif ?.
B.G. Quand la révolution a commencé, il y avait trois grandes coalitions de l’opposition : la Déclaration de Damas, une coalition des partis plutôt libéraux et les Frères Musulmans, et la Coordination nationale pour le changement, de nationalistes de gauche, qui n’a pas rejoint le CNS. Aujourd’hui de nouvelles forces émergent. Surtout des coalitions de jeunes qui militent sur le terrain et qui sont représentées dans le CNS. Il y a aussi l’Armée libre présente sur le terrain, dans les quartiers. Le CNS n’a jamais dit être le seul représentant de l’opposition ; ce sont les coordinations des jeunes qui lui ont demandé d’être leur représentant à l’extérieur et la communauté internationale à travers les Amis de la Syrie – plus de 70 pays – qui l’ont désigné comme leur interlocuteur.
Q. Le CNS est-il critiqué à gauche ?
B.G. Selon moi, la Coordination nationale est encore dans une logique de guerre froide. Elle traverse une crise : un courant, la Tribune démocratique, l’a quittée. Dans les derniers 4-5 mois, l’opposition s’est enrichie de nouvelles formations, il y a un processus en cours pour les intégrer dans le CNS. Il y a eu quelques démissions – en fait de trois personnalités – qui ne modifient pas la réalité et qui d’ailleurs sont en train de réviser leur position.
Q. Les Frères musulmans représentent-ils un problème pour l’avenir ?
B.G. Ils ne représentent aucun problème. C’est une des composantes de l’opposition mais pas majoritaire et c’est un mouvement divisé en divers courants depuis les plus modérés à la turque jusqu’aux plus radicaux. De nouvelles organisations y compris laïques entrent aussi dans le CNS. L’avenir démocratique de la Syrie selon moi est lié à trois éléments : 1/ maintenir le caractère pacifique et populaire de la révolution ; 2/ l’Armée libre doit s’organiser pour défendre la population ; 3/ il faut une mobilisation internationale pour faire comprendre à Assad que ses crimes seront judiciairement punis. Assad doit s’en aller pour permettre des négociations dans une période de transition, sous l’égide de l’ONU. La mission de Kofi Annan a établi les conditions d’application du plan arabe : mettre fin à la violence, les troupes dans les casernes, liberté pour les prisonniers, accès libre pour la presse et les organisations humanitaires. Si le plan est saboté par Assad, une intervention internationale sera éventuellement inévitable face au massacre quotidien qui dure depuis un an maintenant. Le pays est en ruine, il y a une menace pour la stabilité régionale.
Interview réalisée par Ana Maria Merlo et Bernard Ravenel
Burhan Ghalioun