Dans ce « bazar méditerranéen » [1] , c’est la stagnation géopolitique qui domine : l’Europe y bredouille une politique étrangère à plusieurs voix, l’emprise et l’aura des Etats-Unis restent conséquents, les pays arabes font toujours preuves de divisions tandis que la conjoncture économique les enrichit ou les fragilise sans pour autant provoquer d’alternances au pouvoir, la Turquie fait encore preuve de sagesses politiques tout en s’affirmant comme un pays majeur de la zone économique euro-méditerranéenne, Israël poursuit la construction de colonies tout en annonçant son désir de faire la paix, le Liban parait plus calme mais manque de stabilité assurément, tandis que sur les marges de la région, l’Iran maintient ses gesticulations nucléaires, le Grand Caucase à son tour se léopardise et l’Afrique, criant misère, déplacent sur l’espace méditerranéen des colonnes de migrants.
Ce blocage politique et économique du monde méditerranéen contraste avec les transformations qui se déploient actuellement dans de nombreuses régions de la planète, où tout s’accélère et se recompose. Résultat, s’il est juste de dire que des mutations très importantes (démographie, économie, circulation des idées) s’opèrent au sein des sociétés méditerranéennes depuis quelques années et que certains nouveaux acteurs (Chine, Brésil, monarchies du Golfe, organisations non-étatiques) se sont invités sur ce théâtre stratégique, il est faux de croire que l’équilibre géopolitique de la Méditerranée ait profondément évolué. Ce qui grossièrement se dessinait lors d’une photographie rapide de la région dans les années 1990 se repère encore facilement quand on fait le même cliché en 2008.
La différence tient peut-être au fait notable que la zone fait preuve d’une plus grande sismicité, car des vulnérabilités croissantes y prospèrent, comme la communautarisation des populations, la captation grandissante du pouvoir par des élites à bout de souffle et une incapacité pour les pays méditerranéens à s’insérer énergiquement dans les couloirs rutilants de la mondialisation. Et c’est sans doute cette fragilité exponentielle de la Méditerranée qui amène, contrairement aux idées généralement reçues, d’innombrables acteurs à s’y intéresser, non pas pour forcément trouver le meilleur mais pour tenter d’éviter le pire. Investir politiquement ou économiquement le paysage méditerranéen, c’est en quelque sorte rechercher une stabilisation indispensable de ce qui demeure être l’un des coeurs stratégiques dans les relations internationales. Au bazar intrinsèque qu’est la Méditerranée se superpose donc un désordre croissant en matière d’initiatives politiques dans la zone, au point que c’est plus l’image d’un trop-plein que du vide qui doit sauter aux yeux.
L’Union européenne (UE), pourtant en première ligne face au défi du développement méditerranéen, offre à ce titre l’exemple parfait d’une action certes volontaire et constante mais régulièrement réajustée et rebaptisée, où peu à peu le canevas tissé devient patchwork indescriptible. Les politiques méditerranéennes de l’Union européenne ont connu plusieurs phases et plusieurs dénominations entre la décennie 1970 et la fin du XXème siècle, caractérisé par le lancement en 1995 du Processus de Barcelone, lui-même dit Partenariat euro-méditerranéen (PEM). En 2003, face aux errances constatées de ce dernier, la Commission a proposé la Politique européenne de voisinage, apportant une couche supplémentaire donc sur la toile déjà bien chargée de la coopération euro-méditerranéenne, où l’on doit aussi signaler l’existence d’un Forum méditerranéen et du Dialogue 5+5 dans le Bassin occidental.
Mais pour que le tableau soit encore plus garni, une nouvelle initiative s’est additionnée dernièrement, avec l’Union pour la Méditerranée (UpM). Ce projet, en dépit de l’enthousiasme ou des débats critiques qu’il a suscité, s’apparente aujourd’hui à une énième rénovation des politiques de coopération euro-méditerranéenne. Pour les non-spécialistes, c’est à s’y perdre…
Or avec l’UpM, les principaux instigateurs, pour ne pas dire la France, ont beaucoup promis, multiplié les effets d’annonce et fait un pari certes audacieux mais terriblement risqué. Et derrière les vitres du Grand-Palais, où s’est tenu le Sommet de l’UpM le 13 juillet dernier, se dissimulaient déjà fort mal des tensions géopolitiques inhérentes à la région, tandis qu’aujourd’hui les difficultés persistent pour rendre opérationnelle cette technostructure pourtant censée produire des résultats concrets rapidement. L’UpM présente donc la morphologie d’un véritable rubicube diplomatique. Sera-t-elle aussi le grand bluff politique dans une région qui n’a plus le temps de s’amuser ?
Retour éclair sur le développement de l’UpM
L’Union pour la Méditerranée (UpM), initiative proposée et défendue, non sans difficulté, par la France et plus particulièrement par le Président Nicolas Sarkozy, a largement été commentée et analysée [2]. Il s’agit donc ici d’en esquisser que les principales étapes.
Nicolas Sarkozy avait lancé sa première flèche méditerranéenne à Toulon le 7 février 2007 lors d’un discours de campagne remarqué. Il avait récidivé le 6 mai 2007, au soir de son élection, en positionnant parmi ses priorités de politique étrangère le projet de construire une « Union méditerranéenne ». Depuis cette date, le nouvel hôte de l’Elysée s’est efforcé à transformer cette annonce en véritable projet politique, constatant au fur et à mesure de ses pérégrinations que le théâtre méditerranéen était tout sauf vierge d’initiatives de coopération multilatérales.
L’ambition de départ, consistant à créer une Union des seuls pays méditerranéens riverains, est cependant vite contrariée par une réalité, l’existence depuis 1995 du PEM, et par les critiques qu’émettent alors de plus en plus bruyamment les défenseurs de ce dernier, parmi lesquels la Commission européenne, l’Espagne et l’Allemagne. Résultat, quelques mois après son élection et une première série de consultations diplomatiques, la France comprend qu’il est indispensable de présenter son projet pour la Méditerranée comme une refonte profonde de Barcelone tout en constituant une task force à l’Elysée pour porter quotidiennement l’initiative. Face aux partenaires européens et méditerranéens, le leitmotiv officiel français imprime donc peu à peu sa marque : il faut recentrer Barcelone sur des projets concrets et transversaux capables de toucher le quotidien des populations de cette région, en impliquant davantage le secteur privé et en favorisant les coopérations à géométrie variable, tout en créant une parité de décision politique Nord-Sud.
Si l’Appel tripartite de Rome du 20 décembre 2007, entre la France, l’Italie et l’Espagne, est présenté comme une étape importante dans la construction de ce projet, l’essentiel tient en fait à la sémantique. On glisse officiellement de l’idée d’Union méditerranéenne au concept d’une Union pour la Méditerranée (UpM), désormais « fondée sur le principe de la coopération et non de l’intégration ». Cette réorientation dans l’intitulé préfigure le changement de cap stratégique qui va progressivement se déployer au premier semestre 2008, à savoir un périmètre concerné par cette initiative se situant fidèlement sur les frontières de la coopération euro-méditerranéenne. Le compromis de Hanovre du 13 mars 2008 permet à la France de s’accorder avec l’Allemagne sur les contours et les objectifs de cette UpM, transformée finalement en catalyseur d’un processus de Barcelone quelque peu enlisé. Cette évolution sera définitivement scellée dans une communication incisive de la Commission européenne publiée en mai 2008 [3] , qui ne laisse pas indifférent même les sceptiques : « Que reste-t-il du projet de Sarkozy ? » s’interroge ainsi le quotidien algérien L’Expression dès le lendemain.
Sur cette base, le but est donc pour l’Elysée de réussir au plus haut niveau un maximum de pays au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement pour lancer officiellement cette structure politique euro-méditerranéenne rénovée. Rendez-vous est pris pour Paris, le 13 juillet 2008, même si les doutes sur cette initiative n’en finissent plus de prospérer et que certains leaders invités, connus pour leur épaisseur caractérielle, se sont plus à faire durer le suspens quant à leur participation.
Organisé la veille de la fête nationale française, le Sommet fondateur de l’UpM est sans conteste un succès sur le plan diplomatique. 43 pays ont participé à la rencontre : les 27 pays membres de l’Union européenne, les 12 pays partenaires méditerranéens (les dix historiquement engagés depuis 1995 auxquels se sont ajoutés début 2008 l’Albanie et la Mauritanie) et 4 nouveaux Etats ayant accepté l’acquis de Barcelone (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro et Monaco). Aux côtés de ces 43 Etats, plusieurs Institutions internationales étaient présentes : la Commission européenne, le Parlement européen, les Nations-Unies, le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe, la Ligue des Etats arabes, l’Union africaine, l’Union du Maghreb Arabe, l’Organisation de la Conférence islamique, la Banque africaine de développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque mondiale.
Ce grand rassemblement, preuve évidente de la détermination du président Nicolas Sarkozy à faire progresser ce projet, peut être considéré comme une réussite diplomatique, même si sur le fond et le contenu, creuser davantage n’aurait pas été inutile. Cette tiédeur, réchauffée par les aléas ayant marqué le développement de l’initiative depuis le départ, n’a pas manqué de susciter certains commentaires ironiques dans la presse européenne [4] .
L’UpM : cap sur l’inconnu
Malgré les réelles difficultés à obtenir l’accord final, que symboliseront à la fois l’absence d’une photographie de « famille » et les tensions palpables entre la partie israélienne et les parties syrienne et palestinienne, une déclaration commune a été unanimement adoptée à l’issue de ce Sommet. Outre la rédaction de traditionnelles bonnes intentions, six premiers projets concrets pour la coopération ont été identifiés (dépollution de la Méditerranée, autoroutes terrestres et maritimes, protection civile, plan solaire, enseignement supérieur et recherche, soutien aux petites et moyennes entreprises), une co-Présidence politique a été actée (la France pour une durée incertaine et l’Egypte pour deux ans), le principe d’un Sommet de chefs d’Etat tous les deux ans a été retenu et la création d’un Secrétariat technique officialisé.
Toutefois, plusieurs zones d’ombre planent sur cette Déclaration [5]. Juridiquement, rien n’est dit par exemple sur la manière dont la co-présidence s’organisera, ni sur quoi elle aura vocation à décider. Le flou persiste aussi sur la fonction du comité permanent euro-méditerranéen qui sera basé à Bruxelles et sur son articulation avec le Secrétariat technique. Et sur celui-ci, trois inconnues demeurent : l’endroit où il sera fixé, sa composition et sa taille, et les moyens disponibles pour financer les six premiers pôles de coopération validés. Le lieu où le Secrétariat technique sera établi fait l’objet de vives discussions, sachant que, outre l’hypothèse crédible de Bruxelles, les villes de Tunis, Marseille, Rabat, La Valette et Barcelone se sont portées candidates. L’Espagne aurait même fait savoir que si la capitale catalane était choisie, elle serait prête à supprimer la référence à Barcelone dans le nom officiel de l’UpM, pour le moins ampoulé (« Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée »). Quant aux financements, la Déclaration confirme ce que les autorités françaises n’ont eu de cesse de répéter depuis le départ : le secteur privé sera associé et mobilisé. Pour l’heure, il se dit pourtant que les entreprises ne se bousculent pas au portillon, se disant sans doute qu’il est plus profitable d’opérer en solitaire dans la zone, credo libéral sur l’épaule, plutôt que de s’enfermer dans l’espace feutré de la diplomatie où le sens des affaires n’est pas la panacée. En somme, pour l’instant, l’UpM n’a pas de budget, mais comme l’a martelé en conférence de presse le président français, juste après le Sommet, « ce n’est pas l’argent qui manque, c’est la paix »…
Ces questions en suspens vont être traitées lors de la réunion euro-méditerranéenne des ministres des Affaires étrangères qui se tiendra à Marseille du 3 au 4 novembre 2008. Des réponses devront incontestablement être données si l’on veut propulser sur de meilleurs rails le lancement de l’UpM.
Pour autant, et même si l’UpM est avant tout une « Union de projets », pour reprendre la formulation de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, il serait tout à fait préjudiciable à la région et aux relations euro-méditerranéennes que cette nouvelle initiative, après avoir suscité tant de promesses et de débats, ne serve à rien de plus par rapport au Processus de Barcelone [6] . Parfois discutable, l’initiative de l’UpM n’en a pas moins bousculé en effet la communauté des acteurs méditerranéens depuis bientôt deux ans, au point que se sont multipliés comme rarement analyses et forums dédiés à cet espace régional. Malgré l’étroitesse diplomatique avec laquelle l’UpM s’est peu à peu installée, entre sa formulation initiale aux accents utopiques à Toulon en février 2007 et l’accord finalement obtenu en juillet 2008, ce projet comporte en effet depuis le départ deux principales vertus.
D’abord, il a su accroître l’attention des décideurs, des journalistes et des opinions publiques sur les dynamiques de la zone méditerranéenne, méconnues, et traditionnellement connotés en des termes négatifs et crisogènes. Souvent, ce sont les crises et les pays de la région qui sont traités dans l’actualité, rarement la Méditerranée en tant qu’espace politique et zone de coopération. D’ailleurs, en France, depuis l’annonce présidentielle de ce projet, on ne compte plus les experts et les décideurs qui du jour au lendemain se sont autoproclamés spécialistes ou militants de la coopération méditerranéenne… Ensuite, l’initiative de l’UpM a poussé les véritables acteurs à s’interroger sur les actions pertinentes à conduire dans cette région et sur les faiblesses à combler du Processus de Barcelone, avec au final, et ce n’est pas négligeable, une rencontre multilatérale au plus haut niveau politique qui est venue valider six thèmes de coopération avancés par les experts et les acteurs régionaux. En ce sens, peut-on légitimement penser que le Sommet de Paris est venu prolonger la réflexion entamée en 2005 sur l’aggiornamento du Processus de Barcelone dont on célébra le dixième anniversaire dans la grisaille, la majorité des pays du Sud boudant alors ostensiblement le Sommet organisé à Barcelone sous présidence britannique.
Pourtant, conçu au départ comme un projet alternatif, l’UpM a donc produit un résultat aussi inattendu qu’important : redonner du souffle au Processus de Barcelone, et partant, à l’idée qu’il n’y a de pertinence politique que dans un cadre de coopération euro-méditerranéen, englobant l’ensemble des pays membres de l’UE et un maximum de pays situés sur les rives Sud et Est de la Méditerranée. En dix-huit mois, l’idée initiale d’une Union circumméditerranéenne ne regroupant que les seuls pays riverains, séduisante certes par le verbe mais tellement hasardeuse sur les plans politiques et financiers, s’est donc volatilisée. Cela n’aura pas manqué de provoquer rancoeurs et déceptions, au Nord comme au Sud du Bassin, et notamment chez les souverainistes qui critiquent Bruxelles pour sa rigidité. Il n’est pas anodin d’ailleurs de souligner qu’entre le lancement en 1995 du Processus et le Sommet de Paris en juillet 2008, l’enceinte politique euro-méditerranéenne est passé de 25 à 43 membres, élargissements européens obligent mais attractivité pour le projet sans doute également.
Ainsi, l’un des mérites de l’UpM, est d’avoir réveillé dans les consciences le projet géopolitique de l’Euro-Méditerranée tout en dévoilant certains messages non négligeables : la Commission a manifesté des doutes puis s’est ralliée et doit désormais entretenir la dynamique, l’Espagne s’est intelligemment arc-boutée sur le concept de Barcelone en vue de sa présidence européenne en 2010, plusieurs pays de l’UE non-méditerranéens ont fait part de leur intérêt pour cette région (à l’instar d’une Allemagne indiquant qu’il fallait compter sur elle pour opérer dans la zone), la Turquie n’a pas véritablement cherché à court-circuiter le projet en dépit des sous-entendus politiques qu’il pouvait éventuellement comporter sur le dossier de son adhésion à l’UE. Pour leur part, les pays arabes méditerranéens, à l’exception de la Libye, et dans une mesure bien moindre de l’Algérie, ont globalement soutenu l’initiative de l’UpM. Tactiquement, il est vrai que pour ces derniers, le contraire aurait été plus diplomatiquement embarrassant.
L’UpM a donc pour l’heure essentiellement servie à faire rebondir le projet euro-méditerranéen sur les tables des chancelleries européennes tout en confirmant l’ancrage tactique non contraignant des pays sud-méditerranéens aux ambitions politiques de l’Europe dans la région. Bref, on fait du neuf avec du vieux tout en promettant de nouvelles trajectoires pour les actions déployées qui serviront les intérêts de tous dans la région. C’est là toute la complexité à venir pour l’UpM : réussir à dépasser les faiblesses et les contraintes du Processus de Barcelone tout en ayant repris son acquis géographique et technocratique, après avoir beaucoup promis en innovations et en termes de résultats concrets rapidement perceptibles. Le chemin passe aussi, sur le plan diplomatique, par la poursuite du réchauffement syro-libanais, par des avancées tangibles sur le dossier israélo-palestinien et par de véritables améliorations en matière de coopération Sud-Sud, et notamment au Maghreb [7] . Des sensibilités, turques et algériennes notamment, devront être ménagées si l’UpM veut progresser. Et que dire du besoin ô combien décisif à ce que l’UE parle enfin d’une seule voix dans cette région, pour ne pas épaissir le brouillard technocratique des mécanismes régissant la coopération euro-méditerranéenne.
Quoiqu’il en soit, et c’est peut-être là le message essentiel, l’UpM semble avoir renforcé la pertinence de l’Euro-Méditerranée, comme représentation géopolitique nécessaire face à la multipolarisation croissante du Monde et l’accentuation déroutante de plusieurs crises systémiques qui s’entrechoquent (financière, économique, énergétique, sécuritaire, écologique, alimentaire). L’UpM est aujourd’hui présentée comme un outil devant servir à doper le développement économique de la région et contribuer à sa stabilisation, notamment par l’établissement de solidarités entre pays méditerranéens face aux grands défis internationaux appelant à des réponses collectives et responsables. C’est difficilement contestable, tant la région, à l’image du Monde, souffre de tensions et de dérégulations en tout genre.
Optimiser la gouvernance politique, économique et sociale en Méditerranée, dans un vaste projet de coopération privilégiée et progressivement approfondie entre l’UE et ses voisins méridionaux, constitue un impératif au demeurant stratégique pour peser efficacement sur l’échiquier international. Un pôle euro-méditerranéen agrégé, qui regroupera près d’un milliard d’habitants à l’horizon 2025, et qui compte aujourd’hui pour près du tiers du PIB mondial, peut être façonné si le volontarisme politique se conjugue à la sagesse diplomatique nécessaire.
Loin d’être finalisé, l’arrangement institutionnel et technique de cet antidépresseur politique ne se fera pas sans tensions et l’UpM, après avoir connu un accouchement diplomatique douloureux, pourrait encore mettre du temps avant d’effectuer ses premiers pas concrets. La France est engagée en première ligne dans ce chantier et ne saurait omettre ses obligations. Or pour résoudre le rubicube diplomatique de l’UpM, il va falloir beaucoup de travail certes, mais une sacrée dose de patience également et de la réflexion collective assurément, ce qui n’est pas toujours la combinaison vertueuse proposée par le Président français.
Ce dernier, d’ailleurs, à l’occasion de son discours à la XVIème conférence des Ambassadeurs le 27 août 2008, témoignage à cœur ouvert de sa soif de ruptures avec la politique étrangère menée par ses prédécesseurs, jette sans doute quelques pavés dans la mer euro-méditerranéenne, quand il reprend à son compte la rhétorique américaine de « la confrontation entre l’Islam et l’Occident », en l’érigeant parmi les principaux enjeux internationaux des années à venir. Quand il déclare ensuite, au sujet de l’UpM, que « ce grand projet est maintenant une réalité », le spectre du grand bluff ne saurait être écarté.
Rédaction achevée le 28 août 2008.
[1] La formule est celle de Bénédict de Saint-Laurent, in « Barcelone, relancé par l’Union pour la Méditerranée », IEMED Paper n°05, Juin 2008.
[2] Lire Bichara Khader et Frédéric Allemand, « L’Union pour la Méditerranée : pourquoi ? comment ? », rapport pour la Fondation pour l’innovation politique, juin 2008. Egalement, sur le site du Haut-Commissariat marocain au Plan, la série d’interventions variées et contrastées du forum organisé à Skhirat du 24 au 26 mai 2008, offrant de nombreux points de vue du Sud. Par ailleurs, il est intéressant de consulter l’analyse collective de Roberto Aliboni, Ahmed Driss, Tobias Schumacher et Alfred Tobias, « Putting the Mediterranean Union in perspective », EuroMesco Paper n°68, EuroMesco, Lisbonne, Juin 2008. Pour le point de vue espagnol, lire Eduard Soler y Lecha, « Barcelona Process – Union for the Mediterranean : genesis, evolution and implications for Spain’s Mediterranean Policy », OPEX-Fundacio CIDOB, Barcelone, Avril 2008. Enfin, la vision officielle de l’Italie est bien illustrée dans le rapport du Sénat de la République italienne, « L’iniziativa dell’Unione per il Mediterraneo : gli aspetti politici », dossier n°85, Rome, Janvier 2008.
[3] Se reporter au document “Communication from the commission to the European Parliament and the Council ; Barcelona Process : Union for the Mediterranean”, Brussels, COM(2008) 319 (Final), 20 May 2008.
[4] Lire par exemple les réactions de la presse allemande, dans l’article de David Crossland, « Sarkozy’s Club Med Is Useful but Over-Ambitious », publié dans le quotidien Der Spiegel le 14 juillet 2008. Lire aussi l’article de Marie Maurisse, « Pour la presse mondiale, l’UpM doit faire ses preuves », dans le Monde, le 14 juillet 2008.
[5] Lire à ce sujet Roberto Aliboni, « La nuova Unione per il Mediterraneo tra luci e ombre », Affarinternazionali, IAI Rivista online, Rome, 18 juillet 2008.
[6] Se reporter aux analyses de Dorothée Schmid, émettant « des doutes sur l’utilité de cette Union », dans un entretien pour le réseau d’information Euractiv, publié le 11 juillet 2008.
[7] Il faut à ce titre rappeler que Mohammed VI, roi du Maroc, s’est fait remplacé la veille par son frère le prince Moulay Rachid pour assister au Sommet du 13 juillet 2008 à Paris, provoquant immédiatement toutes sortes de commentaires, dont ceux de la presse algérienne. Ainsi, le quotidien La Liberté, dans son édition du 14 juillet 2008, explique cette absence du souverain chérifien « Il fait l’impasse sur le sommet pour que la question sahraouie soit évacuée »
Deodato Cambarau, consultant Méditerranée