Plus Mahmoud Abbas approche de la fin de son règne, plus sa parole devient dure.
Parlant récemment de Donald Trump, il a sorti ces mots : ‟Que votre maison soit détruite”. En arabe c’est une malédiction courante, et elle sonne moins violemment qu’en anglais. Mais, même en arabe, ce n’est pas un propos habituel quand on parle d’un chef d’État.
Cette semaine Abbas a parlé de l’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, et l’a qualifié de ‟fils de chienne”. Cela aussi est légèrement moins injurieux en arabe qu’en anglais, mais n’est guère diplomatique.
Il m’est difficile de dire que Friedman ne le mérite pas, mais j’aurais souhaité, en amoureux des chiens, qu’Abbas choisisse un autre animal.
Friedman est un Juif à kippa, qui s’identifie complètement aux colons les plus extrémistes des territoires occupés. Il serait certainement mieux dans son rôle comme ambassadeur d’Israël aux États-Unis qu’en ambassadeur des États-Unis en Israël.
Cela poserait des problèmes, aussi, parce qu’il a déclaré les Juifs libéraux américains ‟pires que des capos” – les ‟capos” (contraction de ‟police des camps”) étaient les prisonniers qui aidaient les nazis dans les camps de concentration.
Pour désigner un tel Juif fasciste comme ambassadeur en Israël il faut – disons – du culot. Cela ne pourrait pas se passer dans un pays normal, qui n’enverrait pas un ambassadeur dans un pays où il est impliqué personnellement. Mais Trump n’en a cure. Ni pour Israël ni pour la Palestine.
Envoyer un Juif religieux comme ambassadeur à Jérusalem peut lui faire gagner des voix dans la communauté juive des États-Unis. Les Juifs américains votent en général pour les démocrates. Pourquoi ? Par habitude. Des générations de nouveaux immigrants aux États Unis ont voté pour le parti démocrate – les Irlandais avant, les Asiatiques après les Juifs.
Mais la plupart des Juifs américains continueront de voter pour les démocrates malgré la kippa sur la tête de Friedman. Il y a des voix dans la communauté juive qui reprochent à leurs dirigeants de négliger leurs propres inquiétudes comme la montée de l’antisémitisme pour consacrer toute leur énergie à soutenir le gouvernement d’extrême droite d’Israël.
Mais Trump a des soutiens bien plus importants : les millions d’évangéliques . Ces curieux fanatiques chrétiens ont une vision singulière : ils croient que Jésus-Christ reviendra lorsque tous les Juifs seront rassemblés en Terre Sainte. Ils n’aiment pas dire ce qu’ils espèrent ensuite : les Juifs se convertiront au christianisme et ceux qui ne le feraient pas périront.
Cela sonne étrangement ? C’est étrange en effet. Mais Trump a besoin de ces millions de suffrages sans lesquels d’abord il n’aurait pas été élu. Il agit conformément aux croyances de cette secte.
Il en résulte que le président des États-Unis ignore totalement les droits des Palestiniens et leurs aspirations. Selon lui, les Palestiniens doivent accepter ce qu’on leur offre, comme un chien doit accepter ce que son maître lui jette, et remuer la queue. De quoi s’agit-il exactement ? Le magistral plan de paix de Trump est encore tenu secret. Mais il suffit de savoir qui en est chargé : son gendre juif, Jared Kushner.
Donc il est normal pour Abbas de perdre espoir. Il sait que durant les jours qui lui restent au pouvoir, rien de bon n’arrivera aux Palestiniens.
Jamais depuis l’avènement de la nation palestinienne moderne sa situation n’a été aussi désastreuse qu’aujourd’hui.
Les habitants de la Palestine commencèrent à se sentir comme une nation à la fin de la Première Guerre mondiale, quand l’Empire ottoman s’effondra. Des photos de manifestations de l’époque à Jérusalem montrent le nouveau drapeau palestinien – noir, blanc, vert et rouge. Jusque là les Palestiniens étaient généralement considérés comme des ‟Syriens du sud”. Mais quand la Syrie fut attribuée aux Français et la Palestine aux Britanniques, ce lien fut rompu.
Depuis lors, les Palestiniens ont connu beaucoup d’événements : l’afflux sioniste, la grande révolte arabe de 1936, la résolution de partage des Nations unies de 1947, la fin de l’administration britannique, la guerre de 1948, la Naqbah (catastrophe), plusieurs guerres, l’ascension et l’assassinat de Yasser Arafat, entre autres. Mais jamais leur situation ne fut aussi désespérée qu’aujourd’hui.
Certes, le cœur de tous les Arabes, et en fait de tous les musulmans, est resté fidèle aux Palestiniens. Mais il n’y a aucun gouvernement arabe – ou musulman – qui ne soit pas prêt à trahir la cause palestinienne pour ses propres intérêts.
Partout dans le monde il y a beaucoup de sympathie pour les Palestiniens, mais pas un gouvernement ne lèverait le petit doigt pour eux. Et le plus puissant pays du monde est aujourd’hui leur ennemi déclaré.
Comme si tout cela ne suffisait pas, les Palestiniens eux-mêmes sont profondément divisés entre l’OLP en Cisjordanie et le Hamas dans la bande de Gaza. C’est tellement dans l’intérêt du gouvernement israélien qu’il est difficile de ne pas suspecter son implication.
Entre la Méditerranée et le Jourdain il y a actuellement environ 13 millions d’habitants, la moitié environ de Juifs et l’autre moitié d’Arabes. Les Arabes ont peut-être une légère majorité, qui va continuellement croître du fait d’un taux de natalité plus élevé. Cela ne fait pas peur aux démographes sionistes. Mais ils ‟coupent” la bande de Gaza du reste du pays en prétendant que ses deux millions d’habitants n’appartiennent pas à la Palestine. Cela fait que le problème semble un peu moins effrayant.
C’est la situation à ce jour. Il y a un accord tacite en Israël pour ne pas ‟tenir compte” des habitants de la Bande. Ils ne sont pas là. Il n’y a que la Cisjordanie, qui doit être judaïsée.
Une situation désespérée a un avantage : elle encourage la recherche de nouvelles solutions.
C’est ce qui se passe aujourd’hui du côté palestinien. Sans attendre le départ d’Abbas et la désignation d’un nouveau dirigeant, de nouvelles idées surgissent.
Yasser Arafat m’expliqua un jour pourquoi il s’engagea dans le processus d’Oslo. Nous avons tout essayé dit-il. Nous avons essayé la lutte armée. La diplomatie. Des guerres à grande échelle. Tout a échoué. Alors nous avons emprunté une nouvelle voie : la paix avec Israël. (Le premier signe fut l’invitation d’Arafat de me rencontrer à Beyrouth.)
Il est clair aujourd’hui qu’Oslo a échoué. Yitzhak Rabin a été assassiné. En Israël l’extrême droite est au pouvoir. Elle vole les terres pour y installer des colons. Israël a un dirigeant qui hait les Palestiniens, un annexionniste de naissance.
La voie de la paix est bloquée. La génération de Mahmoud Abbas, la génération de Yasser Arafat, a atteint la fin de sa route.
Et voici qu’arrive une nouvelle génération. Dans quelques semaines un nouveau chapitre de l’histoire palestinienne pourrait s’ouvrir.
Il y a toujours eu des voix dans la communauté palestinienne pour prôner une lutte non-violente. Elles n’ont pas été entendues, parce que dans la tradition arabe, les luttes sont généralement violentes. Le Mahatma Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela n’étaient pas musulmans.
Maintenant l’idée de lutte non-violente monte. Non pour sa dimension morale, mais parce qu’elle promet des résultats.
Dans quelques semaines, les Palestiniens engageront une campagne non-violente. Son but déclaré est le retour des réfugiés. Des milliers de Palestiniens sont sur le point de marcher vers les frontières avec Israël, d’abord dans la bande de Gaza puis en d’autres lieux. Ils n’affronteront pas l’armée israélienne et ne franchiront pas les clôtures. Mais ils monteront leurs tentes du côté palestinien des clôtures et y resteront longtemps.
C’est une méthode éprouvée. La cause palestinienne en sommeil reprendra soudain vie. Du monde entier des journalistes viendront voir. Les camps deviendront des centres d’intérêt mondial. À travers l’Europe et le monde, des camps de solidarité surgiront. Dans les pays arabes, les princes et les émirs auront du mal à empêcher les manifestations de sympathie.
Et quoi encore ? Allah est grand.
À mes yeux, ce projet présente un gros défaut : son objectif officiel.
Si le mouvement se focalisait sur l’objectif de l’indépendance palestinienne, le monde lui donnerait sa bénédiction. Il y a aujourd’hui un consensus mondial en faveur d’un État palestinien et la fin de l’occupation israélienne. En Israël aussi cet objectif a beaucoup de supporters. ‟Deux États” ou un État colonial, l’indépendance ou l’occupation – le choix est clair.
Le problème des réfugiés est tout à fait différent. Pendant la guerre de 1948, quelque 650.000 Palestiniens furent déplacés soit dans la tourmente des combats, soit du fait d’une politique israélienne délibérée. Actuellement leurs familles ont atteint six millions.
Certains vivent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, certains dans les pays voisins d’Israël et à travers le monde. Certains ont pris racine et commencé une nouvelle vie, certains sont encore réfugiés, aidés par la communauté internationale. Tous ont la nostalgie de leurs foyers ancestraux.
Les faire revenir signifierait la fin d’Israël, le déplacement de millions d’Israéliens. Cela ne serait possible que par une guerre. L’idée même effraie tous les Israéliens.
N’y a-t-il aucune solution ? Je crois que si. Un jour, après un meeting très émouvant avec des réfugiés palestiniens en Amérique, j’ai dit à ma femme : ‟Sais-tu l’impression que j’ai ? C’est que ces gens sont moins intéressés par un retour réel que par une réparation morale. Ils veulent qu’Israël reconnaisse et qu’il s’excuse.”
En préparant des plans de paix, j’ai proposé (a) de s’excuser officiellement, (b) de permettre le retour d’un nombre symbolique de réfugiés, (c) d’indemniser tous les autres.
Combien seraient autorisés à revenir ? Un nombre de cent mille a été évoqué. Je pense que nous pouvons faire beaucoup mieux. Dans un contexte de paix et de réconciliation, même l’ajout d’un demi-million de personnes au million et demi de citoyens palestiniens actuels serait acceptable.
J’ai parlé de cette solution avec Yasser Arafat. J’avais l’impression qu’il était plus ou moins d’accord, tout en gardant la question des réfugiés comme une monnaie d’échange. Quoi qu’il en soit, ce n’est plus le problème principal sur la voie de la paix.
Alors pourquoi revenir 70 ans en arrière ? Dans une campagne palestinienne majeure, pourquoi ne pas focaliser sur le point principal : la fin de l’occupation, un État de Palestine à côté de l’État d’Israël ?
La lutte non-violente est une excellente idée.
Cela me rappelle une parole de feu Abba Even : ‟Les peuples et les États font toujours ce qu’il faut – après avoir épuisé toutes les autres possibilités. ”
[Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 24 mars 2017 – Traduit de l’anglais « Son of a Dog » pour Confluences Méditerranée : FL/SW]