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Visites princières

Prince William : ‟Jérusalem Est est un territoire palestinien occupé”

Ce n’est pas seulement son opinion personnel. Le monde entier parle ainsi depuis 1967.

Le Prince William, duc de Cambridge, deuxième rang pour l’accès au trône britannique, était en visite en Israël cette semaine.

Il a l’air sympathique. Il ressemblait à ce que l’on attend d’un prince, fit et dit tout ce qu’il fallait, et mangea même une pastèque avec notre maire sur la plage de sable de Tel Aviv.

Si les Britanniques n’avaient pas quitté la Palestine il y a 70 ans, William serait mon prince aussi. Je me souviens avoir eu un jour de vacance scolaire pour l’anniversaire de son arrière-grand-père.

Les Britanniques avaient obtenu de la Société des Nations le ‟mandat” sur la Palestine en se posant en protecteur du sionisme (avec la fameuse “Déclaration Balfour”). Mais ils ne nous aimaient guère. Les pittoresques Arabes, hospitaliers de nature, les séduisaient bien plus.

Ma relation avec la couronne britannique a toujours été un peu compliquée.

Quand j’eus quatorze ans, la situation financière de ma famille m’obligea à aller travailler. Je trouvai un emploi dans un bureau d’avocat. Le patron avait étudié à Oxford et toutes nos affaires étaient traitées en anglais, langue que je dus me hâter d’apprendre, et que j’aime depuis lors. Certains de nos clients faisaient partie de l’administration britannique.

Quelques mois plus tard, les Britanniques ont pendu un jeune Juif qui avait lancé une bombe contre un bus arabe. Je décidai de prendre sa place et entrai en contact avec l’Irgoun clandestin. Je fus convoqué dans un bâtiment scolaire.

Quand j’approchai du bâtiment, tout semblait totalement désert, excepté un jeune couple à l’entrée qui s’embrassait. Je fus conduit dans l’obscurité et introduit dans une pièce où on me fit asseoir face à une lumière aveuglante. Je sentis plus que je ne vis des gens autour de moi.

Une voix dans l’obscurité me posa plusieurs questions, et me demanda : ‟Haïssez-vous les Arabes ?”

‟Non” répondis-je sincèrement. Au cours de mon travail dans les tribunaux j’avais rencontré quantité de collègues arabes qui me semblaient des gens très bien.

Pendant un moment les gens derrière le projecteur furent sidérés. Puis une voix de jeune femme demanda : ‟Haïssez-vous les Britanniques ?”

Je dis tout bêtement la vérité : ‟Non ! Je les aime plutôt.”

Derrière le projecteur il y eut un profond silence. Puis la voix féminine demanda : ‟Si vous ne haïssez pas les Britanniques, pourquoi voulez-vous rejoindre l’Irgoun ?”

‟Je veux qu’ils retournent en Grande Bretagne et nous laissent tranquilles.” ai-je répondu.

En tout cas, cette réponse sembla les satisfaire, et quelques semaines plus tard je fus reçu dans l’organisation.

Pourquoi les Britanniques quittèrent-ils la Palestine ? Il y a plusieurs réponses possibles.

D’anciens membres de l’Irgoun et de sa petite sœur, les Combattants de la liberté (connue des Britanniques comme ‟le Groupe Stern”) sont persuadés que ce sont leurs audacieux assassinats et attaques à la bombe qui y ont conduit, y compris leur attentat de l’hôtel King David à Jérusalem, qui servait de QG britannique. Quatre-vingt-onze personnes des deux sexes, britanniques, arabes et juives y furent tuées le 22 juillet 1946.

Cependant, la direction officielle du sionisme croyait que c’était l’application intelligente de la pression politique qui avait obtenu leur départ.

Je crois que ce fut le changement général de la situation globale. Après la Seconde Guerre mondiale l’empire britannique était faible. Il ne pouvait plus maintenir son emprise sur l’Inde, joyau de la couronne, et sans l’Inde le canal de Suez devenait moins intéressant. La Palestine britannique représentait une forteresse pour la défense du Canal et perdait son importance sans lui. Avec toute la violence dans le pays, les Britanniques pensèrent que le jeu n’en valait pas la chandelle.

Quand le bus de mes camarades et moi dans l’armée pré-étatique prenait la route de nos premières batailles, nous avons parfois croisé des bus de soldats britanniques en route vers le port de Haïfa. Les blagues obscènes habituelles furent échangées. Et voilà.

Tandis que le prince britannique parcourait le pays et prononçait les phrases qui convenaient sur une ‟paix juste”, un autre prince d’au-delà des mers faisait la même chose. Jared Koushner, le gendre juif du président Trump, parcourait aussi le pays. Il était accompagné de Jason Greenblatt, autre émissaire juif de Trump. Cette sainte paire, qui ne cachait pas son total mépris pour les Palestiniens, est censée faire la paix.

Comment réussiront-ils là où des dizaines d’autres initiatives ont échoué ? Pourquoi auraient-ils plus de chance que les dizaines d’autres qui les ont précédés ?

Eh bien, ils ont un grand projet. Tellement grand qu’on ne peut le refuser. Un projet secret.

Secret pour qui ? Pour les Palestiniens, bien sûr. Benjamin Netanyahou a participé à son élaboration. Il n’en est pas réellement l’auteur.

Il y a des années, nous avions un célèbre critique de théâtre. Un jour, à la première d’une nouvelle pièce, il se leva au bout de dix minutes et se dirigea vers la sortie.

‟Comment pouvez-vous écrire une critique si vous n’avez pas vu toute la pièce ?” demanda un acteur.

‟Je n’ai pas besoin de manger toute la pomme pour savoir qu’elle est pourrie” répliqua le critique.

De même pour le grand projet. Les détails qui ont déjà filtré suffisent tout à fait.

Il n’est pas fait pour être accepté par les deux parties. C’est un projet à imposer à l’une des parties. La partie palestinienne.

Quand les Britanniques sont partis en 1948, un plan des Nations Unies était déjà prêt.

La Palestine devait être divisée en un État juif et un État palestinien, avec Jérusalem comme entité neutre, tous ces éléments unis dans une sorte de fédération économique.

Les Palestiniens rejetèrent le projet. Ils considéraient que l’ensemble du pays était leur patrie et ils espéraient le récupérer avec l’aide des armées arabes.

Le côté juif accepta le projet sans hésiter. Comme tous ceux qui vivaient alors dans le pays, je me souviens de l’explosion de joie dans le pays à l’époque. Mais David Ben Gourion n’imagina pas un seul instant en rester là. Il savait qu’une guerre éclaterait et espérait que notre camp agrandirait son territoire de façon décisive. Et c’est ce qui arriva.

Le lendemain de la fin de la guerre de 1948, le plan de Partage était mort. Une nouvelle réalité avait vu le jour. La guerre avait partagé la Palestine en trois unités : Israël même, la Cisjordanie – qui faisait maintenant partie du royaume de Jordanie – et la bande de Gaza qui était gouvernée par l’Égypte.

Aujourd’hui, plusieurs guerres plus tard (on ne les compte plus), Israël domine de diverses façons l’ensemble de la Palestine historique. Et la paix semble éloignée, très éloignée.

En théorie, quelles sont les alternatives ?

Dès après la guerre de 1948, au début de 1949, un tout petit groupe de jeunes du pays, comprenant un Arabe musulman, un Arabe druze et moi – assez curieusement, tous trois devînmes plus tard membres de la Knesset – conçut un projet de solution, appelée Solution à deux États. Un pays, deux États – Israël et la Palestine, Jérusalem comme capitale commune, des frontières ouvertes entre les parties, une économie commune. Nous n’avons pas trouvé preneurs. Tout le monde fut contre : le gouvernement d’Israël, les États arabes, les USA, l’Union soviétique (jusqu’en 1969), l’Europe, le monde musulman.

C’était il y a 70 ans. Et, miracle : aujourd’hui il y a presque un consensus mondial. Tout le monde est pour la ‟Solution à deux États”. Même Netanyahou prétend parfois en être.

Il n’y a pas de troisième solution. C’est soit deux États soit un État colonial juif dans tout le pays.

Yared Koushner peut bien être un génie comme son beau-père. Mais même son brillant cerveau juif ne trouvera pas d’autre solution. Et tout le pouvoir des États-Unis ne suffira pas à maintenir le peuple palestinien assujetti pour toujours. Le Grand Projet n’est qu’une nouvelle recette de guerre éternelle.

Je souhaite que l’Europe, y compris la Grande-Bretagne post-Brexit, veuille et puisse éviter cette catastrophe. Si j’avais rencontré le prince sur la plage, je lui aurais juste dit cela.

Uri Avnery

[Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 30 juin 2018 – Traduit de l’anglais « Princely Visits » pour Confluences Méditerra