Home » Dans les médias » 1973: l’OLP du terrorisme à la diplomatie, via Berlin

1973: l’OLP du terrorisme à la diplomatie, via Berlin

L’histoire des Festivals mondiaux de la jeunesse commence en 1947 à Prague, et celui de Berlin, en 1973, est le dixième du nom. Organisés tous les deux ans, puis tous les cinq ans par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD), ils incarnent la volonté du mouvement communiste, après la Seconde Guerre mondiale, de rassembler autour de lui la jeune génération. Au fil des décennies, ils se sont effectivement élargis aux organisations syndicales, sociales-démocrates et même chrétiennes-démocrates, sans oublier les mouvements de libération. Traditionnellement, leur coordination revient à un Français : c’est à ce titre qu’en janvier 1972, je m’installe pour vingt mois dans la capitale de la RDA.

Le choix de l’Allemagne de l’Est ne doit évidemment rien au hasard : au début des années 1970, l’arrivée au pouvoir d’Erich Honecker semble annoncer une période de renouveau. À l’intérieur comme à l’extérieur, car la RDA réussit alors une rapide percée internationale. Symboliquement, celle-ci commence lors des Jeux Olympiques endeuillés de Munich, où, en août-septembre 1972, ses sportifs devancent ceux de la RFA, avec 66 médailles contre 40. C’est surtout l’époque où de nombreux États la reconnaissent[1]. Couronnement : le 31 décembre 1972, elle conclut un « traité fondamental » avec la RFA, prélude à l’admission simultanée des deux États allemands à l’ONU le 18 septembre 1973.

Entre ces deux événements historiques, le Festival représenta – selon Le Monde – « un succès politique pour Berlin-Est ([2]) ». Malgré les précautions prises par la Stasi, qui interna ou tint à distance nombre de dissidents, le pari était risqué : comment « maîtriser » la rencontre entre un demi-million de jeunes Allemands de l’Est et quelque 25 000 invités venus de 140 pays ? La fête dura neuf jours, sans incident notable. Bref, le Parti socialiste unifié (SED) avait atteint son but, ainsi défini par La Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande[3] : « Donner, grâce au Festival, l’image d’une société ouverte, accueillante, pacifique et solidaire avec le monde entier, conformément au contexte de politique internationale tournée vers la détente, mais aussi de montrer une société moderne et avancée, économiquement solide et bien organisée. » Et la revue d’ajouter : « Pour la première fois dans leur pays, les jeunes [de RDA] vécurent effectivement un climat de liberté et d’ouverture – quoique contrôlée – et cette expérience renforça le lien avec l’État socialiste, comme les observateurs occidentaux le remarquèrent. »

Le Festival compte trois « hôtes d’honneur » : Angela Davis, arrachée un an auparavant aux geôles américaines, la cosmonaute soviétique Valentina Terechkova, et Yasser Arafat, président de l’OLP depuis 1969. Pour cette dernière, le Festival se tient à un moment décisif de son évolution, entre terrorisme et diplomatie.

La cinglante défaite subie par les États arabes en juin 1967 a renforcé parmi les Palestiniens la conviction qu’ils doivent, non plus compter sur leurs « frères », mais prendre eux-mêmes en main leur libération. Au-delà, les fedayin (combattants) deviennent les héros de la jeunesse de tout le monde arabe, du Maghreb au Machrek. Deux ans après la guerre des Six-Jours, leurs organisations prennent le pouvoir au sein de l’OLP. La Résistance mène ses actions armées contre Israël depuis la Jordanie, où elle a installé ses bases, remportant notamment une victoire symbolique à Karameh le 21 mai 1968. Mais, sous le slogan « la route de Jérusalem passe par Amman », la gauche palestinienne – Front populaire et Front démocratique – déclenche une épreuve de force avec le roi Hussein. Le souverain hachémite ordonne alors à son armée d’écraser les Palestiniens : en septembre 1970, des milliers d’entre eux perdent la vie et des dizaines de milliers d’autres sont blessés.

C’est la première d’une quarantaine d’opérations, dont la plus spectaculaire sera la prise en otages des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972... Ce massacre aura contribué à identifier malheureusement durablement les Palestiniens au terrorisme dans l'opinion internationale.

En attendant de tirer les leçons de ce terrible échec, les Palestiniens crient vengeance. À cette fin, le Fatah crée une organisation qu’il appelle « Septembre noir ». « Elle a agi en auxiliaire de la Résistance, à un moment où cette dernière n’était plus en mesure d’assurer pleinement ses tâches militaires et politiques, écrira le bras droit d’Arafat, Abou Iyad[4]. Ses membres traduisaient bien les profonds sentiments de frustration et d’indignation qui animaient tout le peuple palestinien face aux tueries de Jordanie et aux complicités qui les ont rendues possibles. » Le 28 novembre 1971, au Caire, un commando assassine le Premier ministre jordanien, Wasfi Al Tal. C’est la première d’une quarantaine d’opérations, dont la plus spectaculaire sera la prise en otages des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Trois d’entre eux meurent assassinés, huit autres dans la fusillade déclenchée par la police bavaroise. Ce massacre aura contribué à identifier malheureusement durablement les Palestiniens au terrorisme dans l’opinion internationale.

Pour sortir de ce cercle vicieux, les dirigeants de l’OLP ont absolument besoin de succès diplomatiques. Le premier intervient peu après la guerre de 1973, durant laquelle, une semaine durant, les troupes égyptiennes et syriennes ont bousculé l’armée israélienne. Le 28 novembre 1973, le sommet arabe d’Alger reconnaît l’OLP comme « le seul représentant du peuple palestinien ». Cette décision est réaffirmée par le sommet de Rabat qui, le 29 octobre 1974, proclame « le droit du peuple palestinien à établir un pouvoir national indépendant sous la direction de l’OLP en sa qualité de seul et légitime représentant du peuple palestinien, sur tout territoire libéré ». Il y ajoute « l’obligation pour tous les pays arabes [y compris, donc, la Jordanie] de préserver l’unité palestinienne et de s’abstenir de toute ingérence dans les affaires palestiniennes ».

Quelques jours plus tard, l’OLP remporte une victoire historique : le 13 novembre 1974, Yasser Arafat est invité à s’adresser à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour parler de la « question de Palestine ». « Aujourd’hui, déclare-t-il solennellement, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et d’un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. Je le répète : ne le laissez pas tomber de ma main[5]. » Cette mutation de la lutte armée au combat politique amène l’Assemblée générale, neuf jours plus tard, à adopter à la majorité[6] sa résolution 3236, qui « réaffirme les droits inaliénables du peuple palestinien », notamment « le droit à l’autodétermination, à l’indépendance nationale et à la souveraineté nationale ». Plus : sa résolution 3237 accorde à l’OLP un statut d’« observateur »permanent aux Nations unies.

Quel rôle ont joué, dans cette évolution majeure de l’OLP, le Festival de Berlin et les visites de Yasser Arafat à Berlin-Est – avant et pendant ? Un documentaire d’Arte, auquel j’ai été invité à participer, suggère des pistes de réponse[7]. Les relations entre la RDA, la Palestine et le monde arabe sont une longue histoire. L’établissement des relations diplomatiques entre l’Allemagne de l’Ouest et Israël, en 1965, entraîne la rupture de celles existant entre la RFA et les États arabes. Après la guerre de 1967, c’est au tour du bloc communiste de rompre avec Israël. Bref, un boulevard s’ouvre pour Berlin-Est. S’appuyer sur l’OLP apparaît au SED comme le meilleur moyen d’obtenir d’être reconnu par le monde arabe.

À une condition : que l’OLP n’utilise pas la RDA comme base d’activités terroristes en Europe. Du point de vue est-allemand, le risque n’est pas théorique. Dans la première délégation conduite par Arafat à l’automne 1971, figure Ali Hassan Salameh, en qui le Mossad verra, un an plus tard, après la prise d’otages de Munich, le chef des opérations de l’organisation Septembre noir[8].

Mais la pression amicale du SED sur l’OLP va plus loin : il lui conseille vivement de tourner le dos à la lutte armée – et a fortiori terroriste – pour s’engager sur le chemin du combat politique et diplomatique. Accueillir Arafat au Festival comme un chef d’État faisait partie du deal. « Ils en ont fait une star », enrage, dans le documentaire d’Andreas Fauser, l’universitaire américain chargé de défendre inconditionnellement Israël. En plein Festival, la RDA et l’OLP signèrent même un accord de partenariat : pour la première une avancée de sa reconnaissance internationale, pour la seconde un saut dans la diplomatie internationale…

Les Allemands de l’Est firent même – en secret – un geste significatif pour faciliter sa venue au Festival. Dans nos discussions avec Arafat, une des questions les plus « sensibles » concernait la participation israélienne. Conformément à l’orientation du Parti communiste français (PCF), je me battis pour que la participation des Palestiniens n’implique pas l’exclusion des Israéliens. Cette position fit consensus au sein du Comité international préparatoire.

Quelle ne fut donc pas ma surprise, le jour de l’ouverture du Festival, de ne pas voir le drapeau israélien parmi ceux qui flottaient autour du « Stade de la jeunesse du monde », ni de délégation israélienne dans le défilé. Officiellement, l’avion de Tel-Aviv, qui passait par Moscou, y avait pris du retard pour des raisons techniques. De fait, les Israéliens arrivèrent le lendemain et prirent ensuite part normalement au programme du Festival. Je n’appris la vérité qu’une vingtaine d’années plus tard, de la bouche d’un ancien dirigeant de la Jeunesse communiste israélienne : c’est lui qui avait accepté la demande du Komsomol de prolonger d’une journée l’escale à Moscou… pour ne pas gêner les Palestiniens…

([1]) Entre décembre 1972 et le début du Festival, 88 pays reconnurent officiellement la RDA.

([2]) Le Monde, 7 août 1973.

([3]) https://journals.openedition.org/allemagne/1368. Dans son bilan, le Politbüro considéra le Festival comme un « grand succès politique » et souligna que « l’attitude des jeunes envers la RDA et la fierté face aux conquêtes du socialisme » s’étaient « stabilisées ».

([4]) Abou Iyad, Palestinien sans patrie. Entretiens avec Éric Rouleau, Fayolle, 1978.

([5]) https://youtu.be/cLn1HZ3kS6Q

([6]) Par 75 pour, 35 contre et 32 abstentions.

([7]) Andreas Fauser, « La RDA et le Proche-Orient : une politique ambiguë », diffusé le 2 septembre 2022.

([8]) Les services israéliens finiront par l’assassiner à Beyrouth en 1979, après avoir tué par erreur, à Lillehammer en 1972, un garçon de café : Ahmed Bouchikhi, le frère du « Chico » des Gipsy Kings.

Article de Dominique Vidal

ÉDITO

ÉDITO

LES ANALYSES DE CONFLUENCES

LES ANALYSES DE CONFLUENCES

Les défis à relever par Nabil Al-Arabi, nouveau secrétaire général de la Ligue arabe.

Paul Balta, 14 juin 2011
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, au nom prédestiné, Nabil Al-Arabi (l’Arabe) a été élu Secrétaire general de la Ligue arabe, le 15 mai 2011. Il y avait déjà un candidat, le Qatari Abderrahmane Al-Attiya. Toutefois, en raison des réticences de plusieurs pays, Al-Arabi a été appelé à la rescousse. Cette solution a permis à ceux qui l’ont convaincu (les militaires, le gouvernement,) de faire d’une pierre deux coups : cette fois encore, le Secrétaire général de la Ligue est un Égyptien ! Intègre, il avait rompu avec le régime d’Hosni Moubarak en 2001. Très populaire, il a fait partie, fin de janvier 2011, du Comité de trente sages, choisis par les jeunes de la place Al-Tahrir pour dialoguer avec les autorités. Diplômé en droit international de l’Université de New York, Al-Arabi, 76 ans, a été présent dans toutes les grandes négociations internationales auxquelles son pays avait participé.Nommé ministre le 6 mars, il avait, en dix semaines, énergiquement secoué la diplomatie égyptienne déclinante et sous influence américaine.

 

Lire la suite »
Lettre d’information de l’iReMMO