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« CRIF : Le roi est nu » – Article de Dominique Vidal, membre de l’iReMMO

Comme le disait, paraît-il, un célèbre révolutionnaire russe barbichu, « les faits sont têtus ». Vendredi 23 mars, le cadavre à moitié carbonisé de Mireille Knoll, 85 ans, handicapée, survivante de la rafle du Vel d’Hiv, est découvert dans son HLM du XIe arrondissement. La police incrimine rapidement deux suspects de 21 et 29 ans, récemment sortis de prison, dont un voisin que la vieille dame connaissait depuis son enfance : chacun accuse l’autre de l’avoir tuée à coups de couteau. Le 26 mars, la justice retient le caractère antisémite du meurtre. Entre-temps, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a appelé pour le 28 à une « marche blanche », dont son président, Francis Kalifat, exclut Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qu’il qualifie également de « vecteurs de haine ». L’un et l’autre s’y rendent néanmoins, mais, accueillis par les lazzis et les menaces physiques de quelques dizaines de personnes, ils doivent finalement en être exfiltrés.

Un minimum de recul sur ces événements lamentables suffit à le constater : le comportement du CRIF est irresponsable. L’organisation communautaire juive décrit la France – à tort d’ailleurs, j’y reviendrai – comme en proie à une vague antisémite sans précédent. « Les Juifs, martèle-t-elle, n’y sont plus en sécurité. » À moins qu’elle n’entende contribuer à l’émigration vers Israël, la logique voudrait qu’elle contribue à rassembler toutes les forces vives, démocratiques et antiracistes pour faire barrage au danger. Et voilà qu’elle choisit, au contraire, de les diviser. Au point de ternir une mobilisation unitaire de masse en permettant à des individus – parmi lesquels le reporter du site Street Press a reconnu des nervis de la Ligue de défense juive (LDJ), une organisation fascisante interdite en Israël comme aux États-Unis – de s’attaquer à Marine Le Pen et à Jean-Luc Mélenchon. Faut-il le préciser ? Qu’on apprécie ou non le leadership du « patron » de la France insoumise, force est de reconnaître que, contrairement aux dirigeants du Front national, il n’a évidemment jamais manifesté la moindre complaisance envers l’antisémitisme.

La démarche de Francis Kalifat n’est, à vrai dire, pas nouvelle. Un de ses prédécesseurs à la tête du CRIF, Roger Cukierman, avait dénoncé une « alliance brun-Vert-rouge » et « l’antisionisme comme nouvel habit de l’antisémitisme » avant de priver le Parti communiste français et les Verts de « dîner » en 2009. Rien donc n’a changé dans cette prétention à s’ériger en « tribunal dînatoire où les membres du gouvernement français comparaissent devant un procureur communautaire » – la formule est… d’Alain Finkielkraut ! Mais combien d’hommes politiques, de journalistes et, plus généralement, d’intellectuels se sont, au fil des années, insurgés contre cette pratique quelque peu totalitaire ? D’autant, on le sait, que le CRIF prétend parler au nom des Juifs de France alors qu’il n’en représente en réalité, via ses associations membres, qu’une petite minorité.

Si ces gens restent tels qu’en eux-mêmes, quelque chose pourtant semble bouger avec l’affaire Knoll : cette fois, le roi est nu, autrement dit le CRIF apparaît pour ce qu’il est vraiment. Nombre de personnalités politiques comme de journalistes ont en effet taclé, plus ou moins sévèrement, le travail de division de Francis Kalifat – du Premier ministre Édouard Philippe à Rachida Dati (« La marche ne lui appartient pas ! »), en passant par Thomas Legrand et même Laurent Joffrin, qui titre son papier dans Libération « La boulette du CRIF ». Au-delà, comme l’écrit Le Monde en rendant compte de la marche, « dans le cortège, de nombreux manifestants regrettaient que ces échauffourées viennent entacher le message d’union qu’ils étaient venus défendre ».

Cette lucidité, certes tardive mais significative, doit beaucoup au sang froid du fils de la victime, Daniel Knoll. Pensant à l’origine à un « crime crapuleux » et donc prudent quant à la qualification antisémite du meurtre de sa mère, il ne s’était rallié à la marche qu’après la décision de la justice sur ce point. Et il avait appelé « tout le monde sans exception » à y prendre part, précisant : « Le CRIF fait de la politique, moi j’ouvre mon cœur. » Le désaccord qu’il exprimait ainsi dépasse la tactique : « La France n’est pas antisémite, explique-t-il, mais il y a des antisémites. Des imbéciles qui croient que les Juifs sont tous riches. Ma mère vivait avec une pension de 800 euros par moi, APL comprise… »

Ne sous-estimons pas le traumatisme vécu ces jours-ci par nombre de Juifs – ainsi que de non-Juifs. Et pour cause : depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la première fois qu’on tue des Juifs en tant que Juifs. Pour les quatre victimes de Mohamed Merah (2012) et pour les quatre d’Amedy Coulibaly à l’Hyper Casher (2015), le caractère antisémite des meurtres est indéniable. Pour Ilan Halimi (2006) et Mireille Knoll, les tueurs ont invoqué leur conviction que « les Juifs sont riches » – le rapport supposé des Juifs à l’argent est, rappelons-le, un préjugé encore partagé par 40 % des Français. S’agissant de Lucie Attal-Halimi (2017), la caractérisation antisémite n’a pas vraiment convaincu tous les enquêteurs…

Quoiqu’il en soit, l’essentiel tient au vécu subjectif des événements. Et ces meurtres en série y pèsent naturellement plus que toutes les données objectives. Celles-ci, pourtant, ne sauraient être contestées. Les enquêtes annuelles de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignent la marginalisation progressive de l’idéologie antisémite depuis 1945, même si certains préjugés ont la vie dure. De même, les statistiques sur le nombre d’actes racistes en révèlent le reflux, après le pic de 2002 pour l’antisémitisme et celui de 2015 pour l’islamophobie, même si ces actes se révèlent parfois plus violents ([1]). Même en 2017, la décrue s’est poursuivie : 121 faits antimusulmans (- 34,5 %), 311 faits antijuifs (- 7,2 %) et 518 autres faits racistes (- 14,8 %). Et l’on mesure bien que ces chiffres ne représentent qu’une infime partie des actes de violence recensés en France.

Devant ce grand écart entre la réalité et sa perception, la mission des responsables – y compris communautaires – devrait être double : mobiliser aussi largement que possible contre la peste raciste et antisémite, mais aussi appeler au sang froid contre tout sentiment de panique. Le CRIF fait malheureusement le contraire : il divise les forces désireuses de s’engager et attise les peurs. Parce qu’il a un autre agenda : défendre, non les intérêts bien compris des Juifs de France, mais ceux de la droite et de l’extrême droite israéliennes. Comme Roger Cukierman en son temps, Francis Kalifat joue dans cette partition un rôle particulièrement dangereux, que son passé de responsable du Betar éclaire peut-être ([2]).

Et si, pour mieux refléter cette fonction, il changeait de nom ? Je suggère « Conseil représentatif d’Israël en France ». Avantage: les initiales restent les mêmes. Inconvénient : l’ambassade d’Israël risque d’y voir une concurrence déloyale…

 

 

([1]) Voir le site www.cncdh.fr

([2]) Lire « De quel droit, Monsieur Kalifat ? » : www.facebook.com/dominique.vidal.9/posts/1450899131688460

 

Par Dominique Vidal, journaliste et historien. Dernier livre paru : Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (Libertalia, 2018)

Article publié dans Là-bas si j’y suis

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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Les Arméniens de Syrie dans le piège

Christophe Chiclet, 10 décembre 2012
Les Arméniens de Syrie bénéficiaient d’un statut de minorité protégée, mais aussi bâillonnée, sans possibilité d’expression démocratique, comme l’ensemble de la population, quasiment toutes communautés confondues. Entre un pouvoir massacreur et des rebelles qui voient parfois d’un mauvais œil les minorités, les Arméniens choisissent, quand ils le peuvent, la fuite. Mais depuis la fin de l’été leurs situations se dégradent. Ara Toranian, fondateur et directeur du mensuel « Nouvelles d’Arménie Magazine » (NAM), écrivait en septembre 2012 : « La communauté arménienne de Syrie n’avait pas vraiment besoin de cette guerre pour voir son existence fragilisée ». En 2003, le journal avait publié un reportage d’une de ses reporters, Armineh Johannes, intitulé « Damas l’ancestrale, un dernier carré d’Arméniens qui résiste à l’érosion ».

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