Israël : le prix d’un coup d’État

En Israël, l’épreuve de force continue, en attendant la réouverture de la Knesset en octobre. Rien ne permet d’en douter : Benyamin Netanyahou et ses alliés entendent aller au bout du coup d’État, dont ils ont clos le premier acte. Mais sont-ils prêts à en payer le prix ?

« Je ne peux plus le voir, c’est un menteur», avait confié Nicolas Sarkozy à Barack Obama. Ce propos, entendu grâce à un micro malencontreusement ouvert, date du 3 novembre 2011. C’est Benyamin Netanyahou que le président français accablait ainsi.

Or le Premier ministre israélien vient de justifier à nouveau cette réputation : bien qu’ayant annoncé en mars une « pause » dans la réforme de la Justice, il en a pourtant fait voter le premier volet par la Knesset en juillet ! Cette législation met fin à la possibilité, pour la Cour suprême, d’invalider une loi qu’elle jugerait inacceptable. Sauf que la coalition ne peut pas prétendre à la rétroactivité. Bref, la Cour suprême conserve le droit de juger « déraisonnable »… la loi qui prétend le lui interdire.

Si la volonté de Netanyahou de passer en force ne fait pas de doute, au point de ne pas s’engager à respecter le jugement de la Cour, encore faut-il qu’il en paie le prix, qui s’avère exorbitant. Le bilan même de son nouveau gouvernement fait grimper les enchères.

Celui-ci a donné la priorité à la colonisation, y compris en « légalisant » en Cisjordanie nombre d’avant-postes ainsi que des colonies évacuées en 2005 et en permettant aux colons de spolier des maisons palestiniennes à Jérusalem-Est, à Sheikh Jarrah et à Silwan. 

Armée et colons battent tous leurs records en matière de répression. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des Affaires humanitaires sur le territoire palestinien occupé (OCHATP), recense, du 1er janvier au 21 août 2023, 202 Palestiniens tués (plus que durant toute l’année 2022, la plus meurtrière depuis 2005) et 7 625 blessés. Et Tsahal a détruit 679 structures palestiniennes, déplaçant 1 094 personnes. C’est pourquoi l’association Zochrot parle de « nettoyage ethnique ». Du côté israélien, on recense 29 tués et 182 blessés.

Itamar Ben Gvir, Bezalel Smotrich et les dirigeants ultra-orthodoxes semblent imposer leurs objectifs et leur timing au gouvernement. 

Ministre de la Sécurité nationale, le premier a la haute main sur la police, doublée désormais d’une milice. Et il ne se cache pas de prôner l’apartheid : « Mon droit, celui de ma femme et de mes enfants de circuler sur les routes de Judée-Samarie – a-t-il déclaré – sont plus importants que la liberté de déplacement des Arabes. » Ces propos sont « une attaque grave contre la diplomatie publique d’Israël qui montre le vrai visage du gouvernement », a commenté un important diplomate israélien sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : « Les dommages sont immenses », car cette déclaration a fourni aux détracteurs d’Israël des « preuves en or pour étayer leurs affirmations selon lesquelles Israël est un État raciste et un État d’apartheid ».

Ministre des Finances, le second a annoncé le gel du financement des municipalités arabes d’Israël. C’est aussi lui qui a appelé à « raser Huwara », cette ville palestinienne victime d’un pogrom : « Propos répugnants », avait alors réagi le Département d’État américain. Smotrich dirige surtout le nouveau Bureau d’administration des colonies, auquel a été transféré l’administration civile de la Cisjordanie : « Un changement radical de la gouvernance », estime l’avocat Michael Sfard, évoquant « un approfondissement de l’apartheid qui oppose encore plus Israël au droit international (). »

Enfin les haredim, qui rêvent d’une théocratie, défendent âprement leurs privilèges : ils exigent une loi qui exonère du service militaire les étudiants des yechivot (écoles religieuses) et s’efforcent d’étendre le statu quo de 1947, avec par exemple la séparation, dans les transports en commun, des hommes et des femmes () ».

Du racisme décomplexé, les Palestiniens sont les principales victimes, mais pas les seules : les Juifs orientaux (Mizrahim) comme les chrétiens en tant que tels en font aussi les frais. La police a empêché ces derniers de se rendre par milliers au mont Thabor pour la fête de la Transfiguration : « Sous Netanyahou, Israël traite les chrétiens avec un mépris croissant », a titré Haaretz. Et de rappeler la multiplication des profanations d’églises et de cimetières comme des humiliations publiques…

Toute cette politique rencontre néanmoins des obstacles inédits. Et d’abord de la part des Palestiniens, notamment des jeunes qui, pour la première fois depuis 2005, ont collectivement recours aux armes pour se défendre. « Le terrorisme se développe en Cisjordanie, et le gouvernement de l’extrême droite ne fait qu’aggraver la situation », titrait récemment Haaretz

Parallèlement, des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues depuis janvier, tous les samedis, pour défendre ce qui reste de leur démocratie contre le « coup d’État ». Dans un pays de 9 millions d’habitants, il y a là de quoi modifier les rapports de forces. Tous les sondages indiquent un renversement : selon celui de la fin août, la coalition au pouvoir n’aurait plus que 54 députés sur 120 (contre 64 actuellement), et les oppositions 57 députés (contre 46), sans compter les 11 parlementaires arabes (contre 10). Phénomène inédit, à l’instar des 1 500 signataires de la « Lettre aux juifs américains » : des personnalités se réclamant du sionisme de gauche utilisent plus fréquemment le concept d’apartheid.

Quantité rime donc avec qualité. La force du mouvement tient à sa diversité, rassemblant jeunes et moins jeunes, électeurs de tous les partis (sauf l’extrême droite), syndicat et patronat, soldats et civils. Avec cette première : le refus de nombreux militaires d’active et réservistes de servir tant que la réforme de la justice ne sera pas abandonnée. « Si les réservistes ne se présentent pas pendant une longue période, la compétence de l’armée en pâtira », souligne Daniel Hagari, le porte-parole de Tsahal. Quant à Amiram Levin, ex-commandant de l’unité d’élite Sayeret Matkal, il ajoute que l’armée est « pourrie jusqu’à la moelle » en raison de sa présence en Cisjordanie. Et d’ajouter : « Elle se tient sur le bas-côté, regarde les [colons] émeutiers et, ce faisant, elle devient un partenaire de crimes de guerre»

La crise comporte une dimension économique inquiétante : elle pousse beaucoup d’entreprises à désinvestir en Israël pour investir à l’étranger. La plus touchée est l’industrie technologique, dans laquelle les investissements totaux devraient diminuer de 55 % par rapport à 2022

Bref, le coût intérieur du « putsch » de Netanyahou devient exorbitant. Mais le coût extérieur ne l’est pas moins, dans un contexte régional et international transformé. Résumé du Jerusalem Post : la normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite représente un « cauchemar », en premier lieu pour Israël. Car l’accord recherché par les États-Unis « inclurait vraisemblablement une forme d’État palestinien » – exactement ce que les accords d’Abraham, version Netanyahou, entendaient éviter. 

De fait, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, l’avait  annoncé : « Une vraie normalisation et une vraie stabilité » impliquent de rendre aux Palestiniens « de l’espoir et de la dignité, ce qui nécessite de leur donner un État ». Les experts de l’Institut israélien pour les études de sécurité nationale (INSS) ne s’y trompent pas : « Contrairement aux Accords d’Abraham, on s’attend à ce que la question palestinienne occupe une place centrale dans tout possible arrangement entre Israël et l’Arabie saoudite. » Symboliquement, Riyad a nommé un ambassadeur auprès de l’Autorité palestinienne… 

Ayant enterré la hache de guerre avec Téhéran, Riyad semble aussi exiger, en échange d’une possible normalisation avec Israël, un accès au nucléaire civil. Washington paraît l’accepter, mais Tel-Aviv y reste opposé. De toute façon, comme l’observe Haaretz, une nouvelle escalade avec les Palestiniens pourrait priver Netanyahou de sa « bouée de sauvetage » : la normalisation avec l’Arabie saoudite. D’autant que l’Égypte et la Jordanie, depuis longtemps en paix avec Israël, haussent le ton : au terme d’un sommet à Al-Alamein, le 14 août, Abdel Fattah Al-Sissi, Abdallah II et Mahmoud Abbas ont appelé à la fin de « l’occupation israélienne » et réitéré leur soutien à une « solution à deux États » avec Jérusalem Est comme capitale d’un « État palestinien souverain et indépendant ». 

Plus préoccupant encore pour Tel-Aviv, les rapports entre Joe Biden et Benyamin Netanyahou sont loin de se réchauffer : le premier a annoncé qu’il ne recevra pas le second avant longtemps. Le président américain n’a d’ailleurs pas hésité à critiquer publiquement la réforme de la justice. Et le Département d’État, on l’a vu, ne manque pas une occasion de critiquer la politique israélienne, y compris la récente rallonge budgétaire de 250 millions d’euros destinée à la colonisation. Le message de la Maison Blanche est clair, tel que Haaretz le résume : « Les États-Unis disent à Israël que tout futur accord de normalisation avec l’Arabie saoudite requerra des concessions substantielles aux Palestiniens (). »

C’est que l’opinion américaine décroche. Et d’abord les démocrates : un sondage évalue à 44 % ceux pour qui Israël est « un État où la ségrégation est comparable à l’apartheid  ». Une appréciation que seuls 20 % des républicains partagent. L’avis sur Israël varie avec l’âge : si les plus de 65 ans sont 69 % à en avoir une bonne image, ils ne sont que 49 % entre 30 et 49 ans et même 41 % des moins de 30 ans . C’est aussi le cas de 63 % des protestants, contre 42 % des non-affiliés à une église. Au total, moins de la moitié (48 %) des Américains ont une image positive du gouvernement d’Israël, mais les deux-tiers en ont une de son peuple. Reste que, depuis plusieurs années, 50 % des Américains veulent que Washington réduise son aide militaire à Tel-Aviv. C’est aussi la position défendue par un des candidats républicains à la présidence, Vivek Ramaswamy.

Le danger le plus redoutable menace l’avenir même d’Israël. Chaque année, le Bureau des statistiques dresse le bilan de l’aliya : le nombre de juifs que l’État a « importés ». Mais il n’est jamais question de la yerida : le nombre de ceux qu’il a « exportés ». Et pour cause : plusieurs centaines de milliers d’Israéliens sont installés durablement à l’étranger, 28 % envisagent d’en faire autant, et le nombre de ceux qui se sont procuré un passeport européen a augmenté de 45 % en un an. 

Le site Times of Israël définit ainsi le mouvement qui secoue Israël : « Plus encore qu’une lutte pour la démocratie, c’est une lutte pour sauver l’histoire de la réussite d’Israël. Et le plus grand danger qui guette la Start-up Nation, c’est l’émigration causée par le désespoir. […] Et si le gouvernement continue à transformer Israël à son image de manière aussi fondamentale – une alliance d’ultranationalistes, de fondamentalistes religieux et de simples corrompus –, nous assisterons à notre premier exode massif, motivé par l’idéologie. »

Encore un sondage, pour conclure : 58 % des Israéliens (contre 33 %) sont convaincus que la réforme de la Justice entraînerait Israël « au bord d’un effondrement économique, social et politique » 

Dominique Vidal, journaliste et historien 

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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Antisionisme, antisémitisme, sortir de l’amalgame

Le 16 juillet 2017, le président de la République française célèbre la 75e commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Pour la première fois, il a invité le Premier ministre israélien. Après avoir démontré la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des juifs, il conclut : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Étrange amalgame, puisqu’il confond, dans une même réprobation, un délit – le racisme antijuif – et une opinion qui conteste la pensée de Theodor Herzl.

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