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Israël-Palestine: les (dé)raisons de l’escalade

Le lycée Saint-Exupéry de Mantes m’a invité hier à donner une conférence à ses étudiants, dont les candidats à l’Institut d’études politiques de Paris. Le hasard a voulu que cette rencontre intervienne en pleine crise en Israël, deux jours après le premier recul de Benyamin Netanyahou. D’où ces réflexions à vocation pédagogique sur «les (dé)raisons d’une escalade».

Trois mois d’un mouvement de protestation inédit ont contraint Benyamin Netanyahou à un premier recul. Mais la crise est loin d’être terminée. D’autant que l’année 2023 marque d’ores et déjà une escalade de violences sans précédent depuis près de vingt ans. Depuis le 1erjanvier, 90 Palestiniens ont été tués par des soldats ou des colons israéliens, et 14 Israéliens dans des attaques palestiniennes. Pourquoi cette explosion ? Quatre grands facteurs l’expliquent, que j’exposerai maintenant tout en rappelant au passage les grandes dates de l’histoire du conflit :

  • Le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël
  • Une jeunesse palestinienne qui se défend à nouveau par les armes
  • Une communauté internationale attentiste
  • Une impasse stratégique

J’évoquerai ensuite les obstacles à cette dérive, qui expliquent sans doute la « pause » annoncée lundi dans la réforme.

Le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël

Le premier facteur de l’escalade actuelle, c’est le nouveau cabinet israélieninvesti par la Knesset fin décembre 2022, suite aux élections législatives du 1er novembre[1] – les cinquièmes organisées en quatre ans par Netanyahou afin de reconquérir le pouvoir et d’échapper aux procès pour corruption qui pourraient l’amener en prison. Sa nouvelle coalition forme, selon l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, un « gouvernement aux valeurs fascistes[2] ».

Autour d’un Likoud radicalisé (32 sièges sur 120), allié à deux partis ultra-orthodoxes plus théocratiques que jamais (18 sièges), il comprend, pour la première fois, trois partis suprémacistes, racistes et homophobes alliés au sein du Sionisme religieux (14 sièges). Aux dirigeants de ces derniers, Netanyahou a offert des ministères essentiels : à Itamar Ben Gvir la Sécurité nationale, à Bezalel Smotrich les Finances mais aussi la Cisjordanie et à Avi Maozl’Identité juive nationale[3]

C’est à ces trois personnages que pense l’historien israélien des années 1930 Daniel Blatman en affirmant : « Cela rappelle vraiment l’Allemagne en 1933. » D’ailleurs, Smotrich lui-même n’a-t-il pas reconnu : « Je suis un fasciste homophobe[4] » ? Même la nièce de Netanyahou, la professeure Ruth Ben-Artzi, a rompu un long silence pour déclarer : « Ma famille promeut le fascisme[5] »

La formule courante – « le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël » – me semble sous-estimer le changement qualitatif représenté par cette coalition. Elle s’inscrit, certes, dans la continuité de la politique anti-palestinienne des nationalistes israéliens, largement majoritaires dans l’opinion depuis des décennies. Mais elle marque aussi une rupture en en mobilisant la fraction la plus radicale, à l’intérieur comme à l’extérieur. L’histoire le montre : le fascisme, c’est plus qu’une droite très à droite…

Du «processus de paix» , la jeunesse palestinienne d’aujourd’hui n’a connu que la colonisation et la répression, avec leur cortège de terres confisquées, de maisons détruites, d’oliviers arrachés, d’hommes et de femmes emprisonnés, souvent sans jugement, ou tués

Cette coalition présente du coup un quadruple danger majeur :

– Pour les Palestiniens, car elle entend accélérer la colonisation en vue de l’annexion de la Cisjordanie, dont les ministres ultra-nationalistes rêvent d’expulser les Palestiniens. Cet objectif à plus long terme explique l’exceptionnelle violence des soldats, mais aussi des colons, qui comptent sur l’impunité pour leurs exactions : il s’agit pour eux de terroriser les Palestiniens afin qu’ils s’en aillent. Certains ministres prônent même le démantèlement immédiat de l’Autorité palestinienne. Quant à Jérusalem, la visite de Ben Gvir sur l’Esplanade des Mosquées, dès le 3 janvier, a témoigné de la décision d’y effacer au plus vite le statu quo de 1967[6]: dans le droit fil des décisions de Moshe Dayan à l’époque, cet accord signé avec la Jordanie permet aux Juifs d’y pénétrer, mais pas pour prier. Comme un symbole, le nouveau gouvernement a même interdit le drapeau palestinien, pourtant celui de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avec laquelle Israël a signé les accords d’Oslo et qui est membre observateur de l’ONU.

– Danger aussi pour les Israéliens. La coalition veut notamment marginaliser la Cour suprême, dernier garde-fou de la démocratie pour les citoyens juifs – et plus rarement pour les citoyens arabes, a fortiori les Palestiniens des Territoires occupés. Comment ? En permettant au gouvernement de contrôler la nomination des juges et au Parlement de passer outre la censure des lois par la Cour. C’est grave car cette institution joue en termes français un triple rôle : elle est à la fois le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation – dans un pays dépourvu de Constitution, qui, sans elle, serait donc livré au bon vouloir de l’exécutif. Les suprémacistes rêvent même d’interdire les partis arabes[7] et de retirer la citoyenneté aux Israéliens « déloyaux » – et Ben Gvir de citer nommément deux députés, l’Arabe Ayman Odeh et le Juif Ofer Cassif[8]. La Knesset vient aussi de décider d’appliquer aux « terroristes » la peine de mort, qui n’a été infligée depuis 1948 qu’à Adolf Eichmann, l’organisateur de la « solution finale ». Peut-on comparer l’auteur d’un attentat, même meurtrier, au tueur des millions de victimes juives de la Shoah ?

– Danger pour les uns et les autres, car suprémacistes et haredim(littéralement craignant Dieu) entendent renforcer la théocratie, tournant le dos à l’aspiration d’une nette majorité à des réformes de caractère laïque[9] : monopole du judaïsme orthodoxe contre réformés et conservateurs (majoritaires outre-Atlantique), application stricte du shabbat, refus du mariage et du divorce civils, maintien de l’exemption du service militaire pour les étudiants des yeshivot (les écoles religieuses), etc. « Pureté juive »oblige, la coalition prévoit de rendre la loi du retour plus restrictive, quitte à réduire l’aliya (l’immigration)[10]

– Danger enfin pour la région et le monde, car au risque d’une Troisième Intifada s’ajoute la perspective d’une opération militaire pour empêcher l’Iran de fabriquer sa bombe. Netanyahou « oublie » ce faisant que, si les mollahs ont pu enrichir massivement leur uranium, c’est parce que Donald Trump, sous sa pression, s’était retiré en 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien…

Dominique Vidal, journaliste et historien

ÉDITO

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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Impact des révoltes arabo-méditerranéennes sur les relations euro-méditerranéennes

Jean-François Coustillière, 29 avril 2011
Depuis décembre 2010, des soulèvements émergent dans différents pays arabes du pourtour méditerranéen. Généralement motivés par la dégradation des conditions de vie des populations, en liaison avec un déficit considérable d’offres d’emplois, ils connaissent des développements très différents allant de la guerre civile, comme en Libye, à un raidissement politico-social conservateur, comme en Syrie, ou à l’amorce d’une véritable transition démocratique, comme en Tunisie voire en Egypte. Face à cette situation, les décideurs européens habitués à traiter avec des pouvoirs globalement homogènes dans leurs gouvernances autoritaires et corrompues, éprouvent des difficultés à adapter leurs discours et leurs initiatives.

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Lettre d’information de l’iReMMO