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Israël-palestine, un conflit séculaire, asymétrique, et délétère -par Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO

Les violences qui resurgissent entre Israéliens et Palestiniens nous rappellent l’intensité et la centralité d’un conflit que beaucoup, ces dernières années, voulaient oublier comme si la stabilité reposant sur un rapport de forces totalement déséquilibré avec toutes les souffrances que cela induit pouvait être garante d’un apaisement de long terme.

Les expulsions de Palestiniens de leurs maisons de Sheikh Jarrah  à Jérusalem-Est résonnent fortement dans la mémoire collective palestinienne parce qu’elles ont une grande valeur symbolique. Elles renvoient, en effet, à tout le processus de colonisation et donc de dépossession qu’ils subissent depuis 1967, sans remonter ici à ce qu’ont connu les Palestiniens devenus citoyens israéliens dans les années 1950…

Au fil du temps, ce conflit séculaire a connu diverses configurations géopolitiques. Celle qui prévaut aujourd’hui remonte à une vingtaine d’années à la suite du naufrage du processus d’Oslo et de l’éclatement de la seconde Intifada au bilan désastreux : plus de 4.000 morts (1.000 Israéliens et 3.000 Palestiniens), une fracture profonde entre les deux sociétés, la quasi disparition du camp de la paix en Israël, de profondes divisions du mouvement national palestinien. Une configuration qu’on peut résumer en trois mots : domination, division, démission.

Cette volonté d’imposer leur politique expansionniste a été renforcée par les quatre années de présidence Trump qui leur a tout concédé y compris la possibilité d’une annexion de la Cisjordanie.

Domination

Pendant longtemps, le champ politique israélien a été principalement  structuré par deux grandes formations de force équivalente: le Likoud et le Parti travailliste. Depuis 2000, ce système partisan n’existe plus. La gauche a pratiquement disparu (56 sièges à la Knesset en 1992, moins d’une dizaine aujourd’hui) et la droite domine sans partage avec des partis qui, s’ils opposent sur des questions de société comme la place de la religion, se rejoignent dans une même idéologie nationaliste, voire ultranationaliste et raciste pour certains, dès qu’il s’agit de la question palestinienne Ces forces assument un récit néocolonial : les territoires ne sont pas occupés mais libérés (comme Menahem Begin fut le premier à le dire en 1977). Le mouvement des colons, marginal jusque dans les années 1980, est devenu un acteur politique majeur. L’idée de coloniser l’ensemble de la Cisjordanie est largement acceptée au point d’avoir été consacrée par le vote de la loi fondamentale de juillet 2018 sur l’Etat-nation du peuple juif qui stipule que « lEtat considère le développement des colonie juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement ».  Les colons sont plus de 700.000, Jérusalem-Est inclus, soit 10% de la population juive israélienne (7 millions) par rapport à une population palestinienne sous occupation d’environ 5 millions[1]. Cette volonté d’imposer leur politique expansionniste a été renforcée par les quatre années de présidence Trump qui leur a tout concédé y compris la possibilité d’une annexion de la Cisjordanie. Le principe même d’une négociation avec les Palestiniens est devenu, pour eux, obsolète.

Cette idéologie arc-boutée sur l’identité juive a aussi de graves conséquences au sein même de la société israélienne car elle discrimine la communauté arabe. La loi de juillet 2018 fait, constitutionnellement, des Palestiniens d’Israël des citoyens de seconde zone puisque « le droit dexercer lautodétermination nationale dans lEtat dIsraël est propre au peuple juif » tandis que leur langue est désormais soumise « à un statut spécial ». Cette volonté d’imposer une forme de suprématie juive dans la société où pourtant beaucoup (juifs et arabes) travaillent à une bonne entente entre les uns et les autres est un des facteurs majeurs des fractures sociétales ayant entraîné les violences dans des villes mixtes comme Lod, Jaffa, Acre et bien d’autres…

Face à ce bloc à la fois compact et fissuré, le mouvement palestinien paraît désorienté et sans stratégie.

Quant au chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, déjà bien dévalué, il s’est sans doute politiquement suicidé en annulant les élections prévues en mai et juillet alors qu’elles étaient très attendues par les Palestiniens qui, depuis 15 ans, n’ont pu s’exprimer. Il

Division

Surtout depuis qu’il a perdu son leader charismatique, Yasser Arafat, en 2004, le mouvement national palestinien est divisé, fragmenté et affaibli. Depuis 2007, le Hamas règne de manière autoritaire et brutale à Gaza, un pauvre territoire de 2 millions d’habitants qui manquent de tout, d’autant que le blocus imposé par Israël a été encore cadenassé par celui mis en place par l’Egypte. Quant au chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, déjà bien dévalué, il s’est sans doute politiquement suicidé en annulant les élections prévues en mai et juillet alors qu’elles étaient très attendues par les Palestiniens qui, depuis 15 ans, n’ont pu s’exprimer. Il semble retranché dans son bureau présidentiel où il se crispe sur ce qui lui reste d’apparence de pouvoir tandis que le Hamas instrumentalise les manifestations de Jérusalem-Est pour revenir sur la scène politique au prix d’un affrontement meurtrier dont il ne peut contrôler l’issue. Privé des urnes par lesquelles il pensait pouvoir se relégitimer, il utilise les armes pour prouver qu’il  est la seule force politique palestinienne capable de résister à la Puissance occupante.

Dans de telles conditions, le conflit israélo-palestinien apparait plus asymétrique que jamais tandis que les plus intransigeants de chaque camp imposent leurs vues.

Soutenir les initiatives exigeant un cessez-le-feu est évidemment très important mais le positionnement de Paris pourrait aller bien au-delà.

Démission

Cette situation délétère est aggravée par la démission de la communauté internationale.

La dernière initiative du Conseil de sécurité remonte à décembre 2016 lorsque la résolution 2334 fut adoptée à l’unanimité (avec l’abstention des Etats-Unis) pour notamment « condamner toutes les mesures visant à modifier la composition démographique et le statut du Territoire palestinien y compris Jérusalem-Est.. ». Depuis, il ne s’est plus rien passé ou plutôt on a reculé avec Donald Trump qui, piétinant le droit international, a tout fait pendant quatre ans pour soutenir les revendications maximalistes d’Israël. Même s’il est obligé d’intervenir a minima dans l’affrontement en cours en faisant pression sur Israël pour obtenir un cessez-le-feu, Joe Biden n’a pas l’intention de vraiment s’impliquer sur le fond puisqu’il va même jusqu’à empêcher le Conseil de sécurité de prendre position. Il a bien d’autres priorités et sur la plan stratégique l’essentiel est à Pékin et non  àJ érusalem. Si Washington ne bouge pas ou peu, il ne faut pas trop compter sur l’Union européenne pour prendre des initiatives audacieuses. Même si les Européens l’ont osé autrefois comme à Venise en 1980 ou à Berlin en 1999, depuis qu’ils sont 27, ce n’est plus possible. Ils s’en tiennent désormais à deux principes immuables : l’un, juridique, est l’unanimité qui les paralyse ou les réduit au plus petit dénominateur commun; le second, politique, est la pusillanimité consistant à déclarer qu’on est prêt à avancer mais que cela n’est pas possible car « les autres ne suivront pas ».

Longtemps la France a joué un rôle important au Proche-Orient. Le général de Gaulle a parler haut et fort au moment de la guerre de 1967. Giscard d’Estaing a initié la Déclaration de Venise de juin 1980. François Mitterrand est intervenu au Liban en 1982 et reçu Arafat à Paris en 1989. Nicolas Sarkozy a défendu des positions de principe claires et équilibrées. Mais cette période appartient au passé et, au fil du temps, Paris s’est laissé marginaliser. Ce repli s’est encore accentué avec Emmanuel Macron qui a préféré tout faire pour ne rien entreprendre alors que la situation actuelle exigerait au moins une prise de parole ferme fondée sur le droit international que la France a toujours soutenu notamment avec son vote au Conseil de sécurité en décembre 2016. Soutenir les initiatives exigeant un cessez-le-feu est évidemment très important mais le positionnement de Paris pourrait aller bien au-delà.

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Si la communauté internationale ne revient pas sur ses démissions successives, cet affrontement va encore s’aggraver à l’avenir avec de lourdes répercussions dans la société palestinienne profondément meurtrie par des décennies d’occupation (désolation à Gaza, précarité à Jérusalem-Est et désespérance en Cisjordanie) mais aussi dans la société israélienne déstabilisée par de très sévères contradictions. Il ne faudrait surtout pas croire que les drames qui se passent là-bas sont sans conséquence pour nous. L’effacement de la parole de la France et l’indifférence aux graves injustices perpétrées dans ce conflit constituent les meilleurs vecteurs pour son importation dans notre pays.

[1] `Les Palestiniens citoyens d’israël sont environ 2 millions

Article publié dans le média «Libération»

Par Jean-Paul Chagnollaud,

Professeur émérite des universités

Président de l‘iReMMO

ÉDITO

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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Le développement, réel défi pour la Tunisie contemporaine.

Barah Mikaïl, 29 avril 2011
La tempête qui souffle sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient connaît une issue pour le moins incertaine. Cependant, une idée convenue consiste le plus souvent à voir dans la Tunisie le cas d’un pays à même de consacrer l’idée d’une transition exemplaire vers la démocratie. Le tribalisme et le communautarisme y sont en effet quasi-inexistants ; la notion et le concept d’unité nationale n’y posent aucun problème, l’indépendance du pays ayant été obtenue en 1956 au nom d’une nation qui existait réellement ; la nécessité de se consacrer à une ère post-Ben Ali qui fasse entièrement fi du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et de ses affidés est quant à elle une idée partagée par l’ensemble de la population ou presque. A priori, peu d’entraves devraient donc se hisser sur la route qui va mener les Tunisiens à l’élection d’une Assemblée constituante le 24 juillet prochain.

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