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Nakba palestinienne : retour sur 1948

Le 20 mai, l’Iremmo-Suds organisait à Marseille une journée consacrée à la parution d’« Araborama » intitulé « Ce que la Palestine a apporté au monde ». À cette occasion Dominique Vidal a présenté, devant 120 personnes, une conférence sur « La voix étouffée des nouveaux historiens ».

Il y a 75 ans se déroulait la première guerre israélo-arabe. Des deux États prévus par l’ONU, seul Israël a vu le jour. L’État arabe, mort-né, fut partagé entre Israël, la Jordanie et l’Égypte. Et les trois quarts des Palestiniens durent prendre le chemin de l’exil. Pourquoi ? Les « nouveaux historiens » israéliens ont apporté les réponses qu’ils ont trouvées dans les archives…


Lorsque l’ONU adopte, le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine en deux États, l’un juif et l’autre arabe, elle recense 608 000 Juifs et 1 237 000 Arabes. L’État juif, pour sa part, en comprendrait respectivement 498 000 et 407 000. Or ces derniers, à l’issue du conflit de 1947-1949, ne sont plus que 150 000. Au total, en deux ans, les trois quarts des Palestiniens ont dû prendre le chemin de l’exil. Pourquoi ?

Selon l’historiographie israélienne traditionnelle, les réfugiés – 500 000 au maximum – seraient partis volontairement, répondant aux appels des dirigeants arabes qui leur auraient promis un retour rapide après la victoire. Non seulement les responsables juifs n’auraient pas planifié d’éviction, mais les rares massacres à déplorer – en premier lieu celui de Deir Yassine, le 9 avril 1948 – auraient été le fait des troupes extrémistes de l’Irgoun et du Lehi. David Ben Gourion ira jusqu’à déclarer à la Knesset en 1961 : « Nous avons des documents explicites témoignant [que les Palestiniens] ont quitté la Palestine en suivant les instructions de dirigeants arabes, le mufti en tête, et sur la base de l’hypothèse que l’invasion des armées arabes […] détruirait l’État juif et pousserait tous les Juifs à la mer. »

Pour les historiens palestiniens et arabes, il s’agit d’une éviction. La majorité des réfugiés a été contrainte au départ, au cours des affrontements judéo-palestiniens, puis de la guerre israélo-arabe, dans le cadre d’un plan politico-militaire jalonné de nombreux massacres. C’est notamment la thèse défendue, dès 1961, par Walid Khalidi, dans son essai « Plan Dalet : Master Plan for the Conquest of Palestine ». Farouk Mardam Bey a comblé une inexcusable lacune de l’édition française en publiant récemment deux recueils de ce grand historien : Nakba 1947-1948 et 1948. La première guerre israélo-arabe. La meilleure synthèse, signée Elias Sanbar, reste Palestine 1948. L’Expulsion. Mais, durant des décennies, les chercheurs palestiniens n’ont guère d’écho. Et pourtant, comme le note Nur Masalha, « l’histoire et l’historiographie ne devraient pas nécessairement être écrites, exclusivement ou essentiellement, par les vainqueurs ».

Dès les années 1950, quelques rares auteurs israéliens, contestaient la thèse officielle. Depuis la seconde moitié des années 1980, ils ont été rejoints dans leur critique par un certain nombre de journalistes et de chercheurs : Simha Flapan, Tom Segev, Avi Schlaïm, Ilan Pappé et Benny Morris – ce dernier qui fut leur pionnier, avec The birth of the Palestinian refugee problem, a inventé l’expression « nouveaux historiens ».

Aucun de leurs ouvrages – les premiers datent pourtant de 1987 – n’avait été traduit en français jusqu’à la fin du XXe siècle. C’est pourquoi, en 1998, j’ai écrit, avec mon confrère et ami Joseph Algazy, un livre de synthèse de leurs travaux, actualisé sous le titre Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949). Son écho a sans doute contribué à la publication en français, beaucoup plus tard, d’une dizaine de livres de Benny Morris, Ilan Pappé, Tom Segev et Avi Shlaïm traitant de la guerre de 1948.

Ce retard n’aide pas à comprendre comment cette école s’est développée, avant d’être étouffée par la droite au pouvoir, avec Ariel Sharon à partir de 2001, puis Benyamin Netanyahou dès 2009. En réalité, deux phénomènes s’étaient conjugués pour inciter ces chercheurs à se pencher sur les origines de l’État d’Israël et du problème des réfugiés palestiniens :

– le premier, c’est bien sûr l’ouverture, à partir de 1978, des archives israéliennes concernant cette période : les chercheurs y puisent l’essentiel de leurs sources ;

– le second, c’est le contexte de la guerre du Liban et la première Intifada. Bref, les « nouveaux historiens » mettaient à nu l’origine du problème palestinien alors même que celui-ci revenait au premier plan.

Synthétiser en quelques minutes des années de recherches historiques est une impossible gageure. Disons, pour schématiser, que les « nouveaux historiens » ébranlent en particulier trois mythes de l’historiographie traditionnelle :

Le premier, c’est la menace mortelle qui aurait pesé sur Israël à l’époque. Comme l’écrit Benny Morris dans 1948 and After, « la carte qui montre un minuscule Israël et un environnement arabe géant ne reflétait pas et, jusqu’ici, ne reflète toujours pas avec exactitude le véritable rapport des forces militaires dans la région » :

Contrairement à l’image d’un frêle État juif à peine né et déjà confronté aux redoutables armées d’un puissant monde arabe, les « nouveaux historiens » confirment la supériorité croissante des forces israéliennes (en effectifs, armement, entraînement, coordination, motivation…) à la seule exception – peut-être – de la courte période qui va du 15 mai au 11 juin 1948.

 

À quoi s’ajoutent, pour Israël, l’appui politique des États-Unis (en tout cas de leur présidence) et le soutien diplomatique et militaire de l’URSS – à l’époque, même lorsque la répression s’abattra sur les juifs soviétiques, le Kremlin continuera de livrer des armes à Israël et de le défendre inconditionnellement à l’ONU.

Dernier élément, décisif, étudié par Avi Shlaïm dans Collusion across the Jordan : l’accord tacite passé le 17 novembre 1947 (douze jours avant le plan de partage des Nations unies) par Golda Meïr avec le roi Abdallah de Transjordanie. Celui-ci, garantie stratégique majeure pour Israël, s’engageait à ne pas envoyer la Légion arabe, seule armée arabe digne ce nom, sur le territoire alloué à l’État juif en échange de la possibilité d’annexer celui prévu pour l’État arabe. Assuré, dès février 1948, du feu vert explicite de la puissance mandataire britannique, ce plan sera effectivement mis en œuvre : si la Légion arabe participera à la guerre à partir du 15 mai 1948, elle ne pénètrera jamais en territoire israélien et ne prendra jamais l’initiative d’une bataille d’envergure contre Tsahal – sauf à Jérusalem, exclue de l’accord.

D’ailleurs, le schéma du 17 novembre 1947 se substituera bel et bien, à la fin des hostilités, au plan de partage du 29 : la Jordanie occupera et annexera la partie arabe de la Palestine, moins les zones conquises par Israël et la bande de Gaza occupée par l’Égypte…

Le deuxième mythe concerne la volonté de paix qu’aurait manifestée Israël au lendemain de la guerre. Organisée par la Commission de conciliation sur la Palestine sur décision de l’Assemblée générale des Nations unies du 11 décembre 1948 – celle qui affirme le droit des réfugiés au retour ou à une compensation–, la conférence de Lausanne a notamment été étudiée par Avi Shlaïm, dans le livre déjà cité, et par Ilan Pappé dans The Making of the Arab-Israeli Conflict.

Les archives montrent qu’Israël est venu à Lausanne uniquement pour complaire aux Américains et aux Européens. À cette fin, Tel Aviv ratifiera, le 12 mai 1949, un protocole réaffirmant à la fois le plan de partage – jusque-là refusé par les États arabes – et le droit au retour des réfugiés. En fait, c’était la condition sine qua non de son admission aux Nations unies… la veille !

Mais il reniera aussitôt sa signature : comme l’écrit plus tard Walter Eytan, codirecteur général du ministère israélien des Affaires étrangères, « mon principal objectif était de commencer à saper le protocole du 12 mai, que nous avions été contraints de signer dans le cadre de notre bataille pour être admis aux Nations unies. » De fait, Lausanne finira dans l’impasse. Et Eliahou Sasson, le chef de la délégation israélienne, confiera : « Le facteur qui bloque, c’est aujourd’hui Israël. Par sa position et ses demandes actuelles, Israël rend la seconde partie de la Palestine inutilisable pour tout projet, sauf un – son annexion par un des États voisins, en l’occurrence la Transjordanie. »

– Mais le mythe le plus sérieusement ébranlé concerne l’exode des Palestiniens.

Benny Morris y a consacré son premier livre : The birth of the Palestinian refugee problem. Sur le fond, il s’en tient à une thèse « centriste » : « Le problème palestinien, assure-t-il, est né de la guerre, et non d’une intention, juive ou arabe. »

Reste que Benny Morris fut le premier à trouver les preuves de mensonges inlassablement répétés :

  • non, les archives ne contiennent pas, écrit-il, de « preuve attestant que les États arabes et le Haut Comité arabe [HCA, palestinien] souhaitaient un exode de masse ou qu’ils aient publié une directive générale ou des appels invitant les Palestiniens à fuir» ;
  • oui, les fameuses exhortations des radios arabes au départ sont une invention, comme le prouvent leurs programmes enregistrés par la BBC ;
  • oui, l’expulsion commence dès la fin 1947. Le premier bilan dressé par les Services de renseignement de la Hagana évalue à 391 000 le nombre de Palestiniens partis avant la Déclaration d’indépendance d’Israël. Et il estime à plus de 73 % les départs directement provoqués par les forces juives. Dans 22 % de cas, il met en cause les « peurs » et la « crise de confiance » dans la population palestinienne. Et seuls 5 % ont suivi des appels arabes locaux à la fuite…
  • oui, Benny Morris discerne dans le plan Dalet une indiscutable dimension d’expulsion. Son « essence , précise-t-il, était « de chasser toutes les forces hostiles et potentiellement hostiles de l’intérieur du territoire futur de l’État juif, d’établir une continuité territoriale entre les principales concentrations de population juive et d’assurer la sécurité des futures frontières avant l’invasion arabe attendue. Comme les irréguliers arabes étaient basés et cantonnés dans les villages, et comme les milices de nombreux villages participaient aux hostilités contre le Yichouv, la Hagana considérait la plupart des villages comme activement ou potentiellement hostiles ». Le plan Dalet représentait donc « un ancrage stratégico-idéologique pour l’expulsion par les commandants de front, de district, de brigade et de bataillon » auxquels il donnait «post facto une couverture formelle et convaincante pour expliquer leurs actions » ;
  • oui, à partir de la reprise des combats, en juillet 1948, la volonté de de généraliser l’épuration ethnique ne fait plus le moindre doute. Un symbole : l’opération de Lydda et de Ramleh, le 12 juillet 1948. « Expulsez-les ! » a dit David Ben Gourion à Igal Allon et Itzhak Rabin, qui déportent en Jordanie 70 000 civils. Peu après, à Nazareth, découvrant la population arabe restée sur place, le Premier ministre s’exclame : « Qu’est-ce qu’ils font ici ? »;
  • oui, Benny Morris insiste sur ce qu’il appelle le « facteur atrocité ». Loin de représenter une « bavure » extrémiste, le massacre de Deir Yassine a été précédé et suivi de plusieurs dizaines d’autres commis l’Irgoun et le groupe Stern, mais aussi par la Hagana puis Tsahal ;
  • oui, c’est un « Comité du transfert » (sic) qui coordonne les opérations. Sa direction est confiée à un certain Yossef Weitz qui, dans son Journal, huit ans plus tôt, confiait sans détours : « Il doit être clair qu’il n’y a pas de place pour deux peuples dans ce pays et la seule solution, c’est la Terre d’Israël sans Arabes […] Il n’y a pas d’autre moyen que de transférer les Arabes d’ici vers les pays voisins » ;
  • oui, Ben Gourion défend lui aussi depuis longtemps l’idée de « transfert » : c’est même la raison qui l’a poussé, en 1937, à proposer au mouvement sioniste d’accepter le plan Peel, qui prévoyait le déplacement de nombreux Arabes hors de l’État juif envisagé ;
  • oui, ces Palestiniens qu’il expulse, Israël fait aussi main basse sur leurs biens. L’été 1948, montre Morris, voit se généraliser la politique de destruction des villages arabes, puis, de plus en plus, leur simple restructuration pour accueillir les nouveaux immigrants juifs. La Loi sur les «propriétés abandonnées » légalise en décembre 1948 la confiscation des biens de tout Palestinien « absent » ;
  • bref, Morris documente les responsabilités du Premier ministre. « Ben Gourion, conclut-il, voulait clairement que le moins d’Arabes possible demeurent dans l’État juif. Il espérait les voir partir. Il l’a dit à ses collègues et assistants […]. Mais Ben Gourion s’est toujours abstenu d’émettre des ordres d’expulsion clairs ou écrits ; il préférait que ses généraux “comprennent” ce qu’il souhaitait les voir faire. Il entendait éviter d’être rabaissé dans l’histoire au rang de “grand expulseur” et ne voulait pas que le gouvernement israélien soit impliqué dans une politique moralement discutable).»

Et pourtant l’historien nie, à l’époque, toute préméditation. Je précise « à l’époque », car, dix-sept ans plus tard, Morris a fini par soutenir Ariel Sharon et sa répression de la Seconde Intifada. Et, dans une interview au quotidien Haaretz, il a reconnu le caractère planifié et même indispensable de cette épuration : « Dans certaines conditions, une expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 étaient des crimes de guerre. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. »

Car, poursuivait Morris, « un État juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. » Cette dérive du citoyen n’a pas pour autant amené l’historien à renier vingt années de recherches. Il a même durci ses conclusions, faisant état de « nouveaux documents [qui] ont révélé des atrocités dont je n’avais pas eu connaissance ». Bref, « une partie encore plus importante de cet exode a été déclenchée par des actes et des ordres d’expulsion explicites provenant de troupes israéliennes, bien davantage que cela n’était indiqué dans The birth. »

Ilan Pappé, lui, n’a pas attendu 2004, pour caractériser la Nakba comme une « épuration ethnique ». Dès 1992, avec The Making of the Arab-Israeli Conflict, 1947-1951, il opposait aux thèses « centristes » de Morris une analyse plus radicale de l’expulsion des Palestiniens.

La démarche des « nouveaux historiens » comportait, explique Pappé, une limite majeure : le fait de s’appuyer exclusivement sur les archives, considérées comme l’expression d’une « vérité absolue », les a conduits à une appréhension déformée de la réalité sur le terrain. S’ils s’étaient tournés vers l’histoire orale, y compris arabe, ils auraient pu mieux saisir la « planification systématique derrière l’expulsion des Palestiniens en 1948 » et fournir « une description plus véridique de l’énormité des crimes commis ». D’où l’objectif que Pappé assigne à son livre majeur, The Ethnic Cleansing of Palestine : « défendre le paradigme du nettoyage ethnique et le substituer à celui de guerre ».

Le récit s’ouvre sur la « Maison rouge », cet immeuble Bauhaus de Tel-Aviv devenu, en 1947, le quartier général de la Hagana. Le 10 mars 1948, onze hommes, « apportent la touche finale à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine. Le soir même, des ordres militaires sont diffusés aux unités sur le terrain afin qu’elles préparent l’expulsion systématique des Palestiniens de vaste zones du pays. Ces ordres comprenaient une description détaillée des méthodes à employer pour chasser les gens par la force ». Six mois après, « plus de la moitié de la population autochtone de la Palestine, soit près de 800 000 personnes, avait été déracinée, 531 villages détruits et onze villes vidées de leurs habitants ».

Pour Pappé, ce plan du 10 mars « et par-dessus tout sa mise en œuvre systématique dans les mois suivants constituent donc un cas évident d’opération de nettoyage ethnique, lequel est désormais considéré par la loi internationale comme un crime contre l’humanité ».

Il est évidemment impossible de résumer ici Le Nettoyage ethnique de la Palestine. Je ne citerai qu’un fait qui, à mes yeux, taille en pièces la thèse d’une expulsion non planifiée : la constitution, dès avant la Seconde Guerre mondiale, d’un fichier de tous les villages arabes. « L’actualisation définitive des dossiers des villages, précise l’historien, se déroula en 1947. Elle se focalisa sur la constitution de listes de personnes “recherchées” dans chaque village. En 1948, les troupes juives utilisèrent ces listes pour les opérations de recherche et d’arrestation qu’elles conduisaient dès qu’elles occupaient une localité. Les hommes étaient alignés et ceux qui figuraient sur les listes étaient identifiés, souvent par la même personne qui avait fourni les informations à leur sujet (…), la tête recouverte d’un sac avec deux yeux afin de ne pas être reconnue. Les hommes ainsi choisis étaient souvent abattus sur le champ. »

Lorsqu’il écrit ces lignes, Ilan Pappé a quitté Israël pour le Royaume-Uni et l’Université de Haïfa, où il enseignait depuis plus de vingt-trois ans, pour celle d’Exeter. À l’origine de son exil ? La chasse aux sorcières dont il a été victime à propos du massacre de Tantura.

Ce village portuaire prospère de quelque 1 600 habitants arabes, au sud de Haïfa, est attaqué dans la nuit du 22 au 23 mai 1948 par la brigade Alexandroni du Palmah. Après de brefs combats, les soldats assassinent entre 200 et 250 Palestiniens et expulsent les autres vers le village voisin de Fureidis, dont des ouvriers devront venir enterrer les cadavres à côté de la plage de Tantura : les fosses se trouvent sous l’actuel parking du kibboutz construit sur la bourgade rasée.

Un demi-siècle après la tragédie, un étudiant, Theodor Katz, soutient à l’Université de Haïfa une thèse de maîtrise, qui obtient la note exceptionnelle de 97/100. Il faut dire que ce quinquagénaire, membre du kibboutz Magal, lui-même bâti sur les ruines d’un village arabe, a passé deux ans à recueillir 135 témoignages oraux sur les événements, pour moitié juifs et pour moitié arabes : plus de 140 heures d’enregistrements !

Contradictoires, ceux-ci ne laissent cependant aucun doute : des combattants juifs ont bien perpétré, dans le village qu’ils contrôlaient depuis le matin, un terrible massacre – terme que, toutefois, la thèse n’utilise pas…

Le scandale éclate lorsque, le 21 janvier 2000, le quotidien Maariv publie un article fondé sur les travaux de Katz. Des anciens de l’Alexandroni poursuivent alors l’étudiant en diffamation, l’accusant d’avoir utilisé des citations erronées. Le procès s’ouvre en décembre. Non seulement la juge n’appelle aucun témoin à la barre, ni palestinien, ni juif, mais elle refuse que le tribunal écoute les enregistrements réalisés par l’étudiant pour vérifier l’exactitude du travail de Katz.

L’affaire tourne court. Lors d’une réunion nocturne, à près de minuit et en l’absence de son avocat Avigdor Feldmann, Katz signe une rétractation stipulant qu’il ne s’agissait effectivement pas d’un « massacre ». Le lendemain matin, pris de remords, il demande au tribunal de revenir sur ce document et de le laisser poursuivre sa défense contre la prétendue diffamation. La juge refuse, décision validée plus tard par la Cour suprême. De son côté, l’Université « suspend » la thèse. Lors de la soutenance par Katz de sa version définitive, en décembre 2002, un comité anonyme la rejette – d’un point…

Le scandale de Tantura comporte une double leçon. Il témoigne d’abord des efforts de l’État d’Israël et de ses Universités, après vingt ans de défensive face à la percée de la « nouvelle histoire », pour passer à l’offensive et étouffer les voix dissidentes. Cette controffensive commence avec l’arrivée d’Ariel Sharon au pouvoir, en 2001. Elle redouble avec celle de Netanyahou, en 2009. En quelques années, la doxa sioniste a repris ses droits dans l’enseignement comme dans la plupart des médias.

Mais la réalisation en 2021 par Alon Schwarz de son remarquable documentaire, Tantura, permet d’espérer en une seconde leçon : l’étouffement de l’histoire n’empêche jamais la vérité de faire son chemin, aussi tortueux et long qu’il puisse être.

La Nakba ne s’est pas arrêtée il y a 75 ans. Aux 900 000 Palestiniens chassés alors se sont ajoutés, au cours de la guerre de 1967, quelque 430 000 autres. Fin 2022, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) en recensait 5,6 millions. Par ailleurs, depuis 1948, grâce à la « loi des absents » (1950), Israël a pris possession, dans son propre territoire, de 97 % des terres : les Palestiniens, soit 20 % de la population, n’en détiennent plus que 3 %. Quant à Jérusalem-Est et à la Cisjordanie, avec 700 000 colons, il en contrôle plus de la moitié de la superficie. Bref, Israël a annexé de facto plus de 85 % de la Palestine historique, au lieu des 56 % alloués par le plan de partage de 1947.

Lorsqu’en 2001 Ariel Sharon devint Premier ministre, il répéta une formule étrange : « La guerre d’indépendance n’est pas terminée. » Que restait-il donc à « terminer » ? Israël est devenu un État souverain. Il a été admis à l’ONU. Il a occupé le reste de la Palestine – plus le Golan. Bref, la seule chose à compléter, c’est… le « transfert » des Palestiniens.

C’est dire que les nouveaux dirigeants issus des élections du 1er novembre 2022 se présentent comme les dignes héritiers du général : 75 ans après la naissance d’Israël, ils ne dissimulent plus leur volonté d’annexer toute la Cisjordanie et rêvent à voix haute d’en expulser toute la population arabe. Comme si l’Histoire retournait à son point de départ : la guerre de 1947-1949.

Dominique Vidal, journaliste et historien.

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Retour sur une relation identitaire : L’Italien vu de Nice

Robert Bistolfi23 août 2010
Engagé dans des conditions douteuses, le récent débat sur l’identité nationale a permis de constater combien nos sentiments d’appartenance sont matière fragile. Que chacun d’entre nous s’interroge sur la pluralité des apports qui l’ont fait, les choix réfléchis ou subis qui ont été les siens, cette réflexion-là peut être heureuse ; mais, attentive aux enracinements, elle doit également être ouverte sur l’avenir et ses nouveautés. Pour échapper aux remous du moment, il n’est pas inutile de remonter dans le temps et d’observer comment notre perception de l’identité s’est modifiée à chaque époque.

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