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On n’implante pas la démocratie par les armes

On considère généralement qu’il y a trois principaux acteurs au Moyen-Orient : l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite. Avec cette attaque, l’État hébreu est-il en train de reconfigurer l’équilibre géopolitique régional ?

Pour parler d’une reconfiguration, il ne faut pas seulement des éléments liés à l’utilisation de la force. Il faut aussi avoir une implication politique des différents acteurs, où chacun y trouve son compte. Actuellement, on est très loin de tout cela. Si on se penche sur les grands dossiers de la région, à commencer par le dossier palestinien, on voit que tout ce qui a été fait à Gaza depuis le 7 octobre 2023 par l’armée israélienne est absolument inacceptable et va bien au-delà d’une riposte légitime aux massacres du 7 octobre. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou veut liquider la question palestinienne en écrasant Gaza et en procédant à un véritable nettoyage ethnique incluant la destruction systématique des villes (Rafah n’existe plus) et donc de toute une société.

De la même manière au Liban, il n’y a pas de projet politique, si ce n’est dominer le pays pour pouvoir intervenir à tout moment, même s’il y a un cessez-le-feu. Israël a aussi bombardé la Syrie et sa capitale, malgré le fait qu’il n’y ait aucun antagonisme avec le nouveau régime. Pour l’Iran, l’objectif était de fragiliser au maximum le programme nucléaire militaire. Toutes les perspectives de négociations ont été balayées. Israël détruit, frappe, mais aucune proposition politique n’émerge. Et cherche même sans doute à renverser le régime.

Israël a tout de même réussi à affirmer sa supériorité face à l’Iran…

Bien sûr, mais si on appréhende une reconfiguration uniquement d’un point de vue militaire, on ne va nulle part. De nombreuses situations au Moyen-Orient en témoignent. L’exemple archétypal est l’Irak en 2003. Les Américains ont voulu y implanter la démocratie par les armes, déstabilisant la région par une série de capillarités. Vingt ans plus tard, le pays est toujours dans une situation extrêmement difficile.

 

S’il n’y a pas la volonté de rechercher un compromis politique après la guerre, on aboutit simplement à une déstabilisation en profondeur. Pour y voir une reconfiguration, il faudrait imaginer une conférence internationale, qui à partir des nouveaux rapports de force pourrait établir un nouvel ordre régional , mais on est à des années-lumière de cela.

Derrière cette opération, est-il question de survie politique pour Benyamin Netanyahou ? Cherche-t-il à détourner l’attention de la guerre à Gaza ?

Il y a encore dix jours, Netanyahou était en grande difficulté sur le plan intérieur. Ses alliés traditionnels que sont les deux partis religieux avaient menacé de le lâcher, pour des raisons liées à la participation des ultra-orthodoxes au service militaire. Une résolution aurait pu conduire à la dissolution de la Knesset, et donc à la remise en question de la coalition actuelle.

Par ailleurs, sur le plan diplomatique, deux processus étaient enclenchés : celui sur le nucléaire iranien, ayant dû se tenir dimanche dernier à Oman entre Iraniens et Américains ; et la conférence sur la question palestinienne coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, prévue à New York du 17 au 20 juin, avec la volonté annoncée d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État de Palestine. En l’espace de 48 heures, tout a été pulvérisé.

Il faut reconnaître en Netanyahou un tacticien hors pair. Alors qu’il était dans une position difficile il y a dix jours, il est aujourd’hui en position de force, soutenu aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur. L’Occident, en particulier la France, qui commençait à devenir assez critique à l’encontre de la guerre à Gaza, vient au contraire soutenir sa politique à l’égard de l’Iran. Et ,dans ce mouvement, Gaza se retrouve complètement marginalisé.

Si on appréhende une reconfiguration uniquement d’un point de vue militaire, on ne va nulle part. De nombreuses situations au Moyen-Orient en témoignent. L’exemple archétypal est l’Irak en 2003.

Comment expliquer le soutien de l’Occident dans cette opération ?

Historiquement, les Occidentaux ont toujours été proches d’Israël. D’un autre côté, il n’y a pas un pays occidental qui n’ait été en conflit, au moins sur le plan diplomatique, avec l’Iran. Cette convergence est logique. Ce qui ne l’est pas, c’est qu’on en oublie qu’Israël commet à Gaza des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité comme l’a affirmé la Cour pénale internationale en lançant des mandats d’arrêts contre le Premier ministre israélien Je pense, que dans l’esprit de Netanyahou, les deux questions sont liées : le nucléaire iranien est un enjeu essentiel mais il permet aussi de faire oublier la question palestinienne.

Quel était l’état de la menace nucléaire iranienne ? Y avait-il un vrai danger ou est-ce que cela a servi de prétexte à Benyamin Netanyahou pour attaquer l’Iran ?

Qu’il y ait un danger sur le nucléaire iranien et sur la posture iranienne, qui consiste à vouloir détruire ce qu’ils appellent l’entité sioniste, c’est une réalité incontestable. L’Iran n’est plus très loin sur le plan technique d’être un pays du seuil, c’est-à-dire un pays en capacité de construire la bombe. Mais cette réalité était la même il y a quelques mois, le risque n’était pas plus fort qu’avant. Le vrai danger, c’est lorsqu’on passe de la possession d’uranium suffisamment enrichi à la fabrication effective d’une bombe, en l’insérant dans des vecteurs capables de la porter. Pour cela, les experts parlent d’un délai d’un an à un an et demi. Le fait d’avoir déclenché ces opérations vendredi dernier est, à mon avis, lié à la configuration que j’ai évoquée. En quelques jours, Netanyahou est passé d’une position défensive à une position de force…

Dans l’esprit de Netanyahou, les deux questions sont liées : le nucléaire iranien est un enjeu essentiel mais il permet aussi de faire oublier la question palestinienne.

Après le démantèlement des capacités militaires et stratégiques du Hezbollah et des Houthis, c’est au tour de l’Iran d’être visé par Israël. Assiste-t-on à un effondrement de l’axe de la résistance ?

Il est clair qu’on ne peut plus parler d’axe de la résistance. La résistance a été balayée au Liban avec la chute du Hezbollah, le régime de Bachar Al Assad a disparu, les Houthis sont relativement marginaux – même s’ils ne faut pas les sous estimer– et l’Iran est dans une situation de grande faiblesse aujourd’hui. Tout ceci appartient au passé. C’est une opportunité unique pour construire autre chose.

Il y a au fond deux chemins.

L’un consisterait à ce qu’il y ait au plus vite un cessez-le-feu permanent sur les deux fronts (Gaza et Iran) permettant de revenir à la diplomatie et au droit international. Sur la Palestine, ouvrir enfin une vraie négociation sur la base des résolutions des Nations unies (dont celle du 10 juin 2024) dans la perspective de la solution à deux États. Sur l’Iran, un renoncement définitif et contrôlé du nucléaire militaire par l’Iran en échange d’une levée progressive des sanctions dans l’esprit -évidemment repensé- de l’accord de 2015. Avec, par ailleurs, la recherche d’une véritable stabilisation des relations d’Israël avec le Liban et la Syrie.

L’autre chemin est celui de la poursuite des logiques enclenchées depuis des mois où tout se ramène à la loi du plus fort, Israël, et à sa volonté d’imposer ses vues sur la région. Écrasement de la question palestinienne, capacité d’intervenir à tout moment au Liban et en Syrie et poursuite de l’affrontement avec l’Iran…

Même s’il est long et difficile, seul le premier chemin peut aboutir à une véritable reconfiguration pacifiée de la région. L’autre ne conduit qu’à de graves déstabilisations et donc, à court ou moyen terme, à de multiples formes de violences.

On peut craindre que ce soit celui-là qui s’impose. On entrerait alors au Moyen- Orient comme ailleurs dans le monde, en particulier en Europe avec les ambitions dominatrices de la Russie, dans une nouvelle séquence d’histoire des relations internationales assez terrifiante où les rapports de force à l’état pur se substituaient au droit international et à la Charte des Nations unies.

ÉDITO

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Israël-Palestine: pour un retour au politique

Si la première phase du cessez-le-feu initié à Gaza depuis le 19 janvier 2025 a tenu, les perspectives de mise en oeuvre de la seconde – devant permettre la libération de tous les otages restants en échange de celle de prisonniers palestiniens et le retrait total de l’armée israélienne de la bande de Gaza – semblent beaucoup plus incertaines. Comme l’est encore bien davantage l’issue de cette guerre et, plus fondamentalement, celle du conflit israélo-palestinien. Deux chemins sont possibles. L’un conduisant vers une guerre sans fin, l’autre ouvrant vers des perspectives de paix.

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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La Tunisie : effet domino ou effet repoussoir ?

Bichara Khader, 2 février 2011
Depuis quelques semaines, les immolations ou les tentatives d’immolation se multiplient dans le monde arabe, du Yémen dans la Péninsule arabique à l’Est à la Mauritanie à l’Ouest. On connaissait déjà le phénomène « kamikaze » par lequel quelqu’un se donne la mort en tuant. Mais l’immolation de protestation est un phénomène inédit dans les pays arabes. Dépourvu de toute signification « religieuse » ou  » sacrificielle », le geste se veut plutôt une prise de parole, un acte posé pour dire  » assez » ou pour dire  » non ». Il ne peut être dés lors apparenté à une forme de  » djihad » pour une quelconque « cause », ni, à fortiori, à un simple « suicide ».

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Lettre d’information de l’iReMMO