10 jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad, comment juger les premiers pas des nouveaux maitres de la Syrie ? Peut-on déjà se faire une idée des réelles intentions des islamistes et de leur chef, Al-Joulani, qui a abandonné son nom de combattant et qu’il faut désormais appeler Ahmed Al Charaa. Faut-il tendre la main au nouveau pouvoir syrien malgré son passé et son idéologie, et jusqu’où faut-il le faire ?
La chute de Bachar et l’arrivée de HTS au pouvoir en Syrie : un tournant pour le pays
Pour de nombreux observateurs peu familiers avec la complexité syrienne, la montée au pouvoir de HTS suscite immédiatement des craintes, souvent associées à la nature idéologique de ce groupe. Ces préjugés risquent de détourner l’attention de l’essentiel : un peuple traumatisé par 54 années de dictature sous le clan Assad qui aspire à se réapproprier son pays. Aujourd’hui, les Syriens ont montré une maturité exceptionnelle face à cette transition, exprimant un profond désir de reconstruire une société plus juste et représentative. Certes, il est nécessaire d’aborder cette évolution avec vigilance, mais il est tout aussi crucial de leur accorder une chance. L’heure est venue d’accompagner cette société dans son effort de reconstruction et de juger les développements à venir sur la base de leurs actes concrets.
Un gouvernement inclusif pour rassurer et rassembler
L’un des défis majeurs pour ce nouveau pouvoir est de démontrer qu’il représente toute la diversité de la société syrienne. Il est impératif de s’éloigner d’une gouvernance monocolore comme celle pratiquée par HTS à Idlib. Le gouvernement doit s’ouvrir aux autres composantes de l’opposition syrienne, en intégrant notamment ceux qui ont contribué à la libération de Damas. Ce serait un signal fort, non seulement pour le peuple syrien mais aussi pour les acteurs internationaux susceptibles de soutenir la reconstruction. Une telle démarche montrerait une volonté sincère d’inclusion et contribuerait à désamorcer les craintes légitimes de certains, tout en renforçant la cohésion nationale.
Une transition pragmatique et mesurée
Contrairement au chaos observé en Irak après la chute de Saddam Hussein, la transition syrienne semble éviter les erreurs du passé. En Irak, la dissolution complète par les Américains des institutions, notamment de l’armée, avait plongé le pays dans une spirale de violence et d’instabilité. En Syrie, une autre approche a été adoptée : les soldats et les fonctionnaires ayant servi sous Bachar al-Assad sont invités à rendre leurs armes, mais sans être systématiquement exclus du système. Cette méthode pragmatique permet aux institutions de continuer à fonctionner, évitant ainsi un effondrement total de l’État.
La réponse européenne : d’une indécence sans nom
Face à ce moment historique, la réaction de l’Union européenne est choquante. Proposer de renvoyer les réfugiés syriens ou de bloquer les processus d’immigration alors que le pays reste largement détruit est une mesure indigne. La priorité devrait être de lever les sanctions économiques, d’accompagner la reprise et de soutenir les Syriens dans leurs efforts de reconstruction. Au lieu de cela, l’Europe semble davantage préoccupée par sa gestion migratoire, comme si elle avait été submergée par un afflux massif. En réalité, des pays comme la France n’ont pas accueilli autant de réfugiés syriens que l’Allemagne, mais contribuent néanmoins à alimenter cette rhétorique restrictive. Cela illustre une incapacité flagrante à réagir avec dignité et responsabilité face à un événement d’une telle portée.
Soutenir une transition historique
La chute du régime Assad représente une opportunité unique pour la Syrie de se reconstruire sur de nouvelles bases. Cependant, ce processus nécessite un soutien international conséquent et une approche basée sur la confiance envers la société syrienne, qui a prouvé sa résilience et son désir de changement. Plutôt que de céder à des préjugés ou à des peurs, il est essentiel de soutenir un processus inclusif et respectueux de la diversité syrienne. Ce moment pourrait devenir un tournant historique, mais seulement si la communauté internationale se montre à la hauteur des enjeux.
Agnès Levallois, vice-président de l’iReMMO.