Succès en trompe l’œil pour Netanyahou – par Dominique Vidal, membre de l’iReMMO

Article publié dans le journal papier « La Nouvelle Presse » (septembre 2020).

Par Dominique Vidal, journaliste et historien, qui vient de diriger avec Bertrand Badie L’État du monde 2020. Le Moyen-Orient dans le monde.

Voilà deux ans que le sort d’Israël est suspendu à la survie politique de son Premier ministre. Depuis la fin 2018, Benyamin Netanyahou a provoqué trois élections afin d’obtenir la majorité nécessaire pour écarter l’épée de Damoclès d’un triple procès, dont la phase décisive commencera en janvier 2021. Et si un quatrième scrutin semble écarté par le vote d’une loi reportant à décembre l’adoption du budget de l’État, une surprise reste possible.

Car les précédents scrutins n’ont pas vraiment réussi au chef du Likoud. Certes, l’opposition, divisée, n’a pas fait élire les 61 députés nécessaires pour gouverner. Mais le Likoud ainsi que ses alliés d’extrême droite et ultra-orthodoxes ne disposent pas non plus d’une majorité à la Knesset. Seule la trahison de Benny Gantz a permis à Netanyahou de demeurer chef du gouvernement pour une période de dix-huit mois, avant de céder la place à son challenger.

Mais, depuis, le vent a tourné.

D’atout démagogique, le combat contre la Covid-19 est devenu un boulet. L’absence de stratégie cohérente a relancé l’épidémie. Aux 300 morts des quatre premiers mois sont venus s’en ajouter 500 autres ! Et plus de 20 % des Israéliens se retrouvent au chômage, contre 4 % il y a un an. N’oublions pas que le pays, avant la pandémie, battait déjà les records de pauvreté et d’inégalité au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et le nouveau tour de vis austéritaire annoncé les aggravera considérablement[1].

Ce lourd bilan pour un pays de neuf millions d’habitants explique largement les manifestations quotidiennes de milliers, voire de dizaines de milliers de personnes devant la résidence du Premier ministre et sur tous les grands carrefours routiers d’Israël. La violence inédite – s’agissant de juifs – avec laquelle la police de Jérusalem a réprimé ces rassemblements les a amplifiés, attirant, bien-au-delà de la gauche, des électeurs de droite et même des militaires.

À cette colère risque maintenant de s’ajouter celle de l’extrême droite et des colons, furieux de l’abandon du projet d’annexion qui était à la fois l’âme du nationalisme israélien, le cœur des trois dernières campagnes électorales de Netanyahou et le centre du programme de la coalition formée le 17 mai dernier.

L’accord conclu par Israël avec les Émirats arabes unis (EAU) a été couvert de manière très confuse par les médias français. « Historique », ont-ils écrit : en réalité, il n’est pas sûr que cette percée de la normalisation avec le monde arabe – les EAU (2020) après l’Égypte (1979) et la Jordanie (1994) – en entraîne d’autres : pour l’heure, malgré les efforts de Jared Kushner, aussi bien l’Arabie saoudite qu’Oman, le Soudan et les États du Maghreb ont mis le pied sur le frein. S’ils tiennent au rapprochement avec les États-Unis et Israël dans leur bras de fer face à l’Iran, les dirigeants arabes savent aussi combien leurs opinions publiques vibrent avec la Palestine, traçant ainsi une limite à la « trahison » de la cause…

La mise en sommeil, quoique prétende Netanyahou, de l’extension de la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie ne constitue pas le seul sujet de polémique. Que le Premier ministre n’ait pas informé ses « partenaires » – le vice-Premier ministre et ministre de la Défense Benny Gantz, le ministre des Affaires étrangères Gabi Ashkenazi et pas même l’état-major – des négociations en cours via les États-Unis fait scandale. D’autant qu’il ne leur a pas non plus confié que l’accord avec les EAU comportait l’achat par Abou Dabi à Washington de F-35[2]. Ce « détail » viole l’engagement de l’Amérique de ne pas vendre à des pays arabes des armes susceptibles de réduire la « suprématie militaire qualitative » de l’armée israélienne sur ses rivaux régionaux[3]. Or c’est de toute évidence le cas de ces chasseurs furtifs, les plus perfectionnés, et des drones de dernière génération promis à Abou Dabi. En attendant, les Émirats ont annulé un sommet avec Israéliens et Américains après les dénégations de Netanyahou concernant le deal des F-35[4]

C’est dire que le prétendu « succès » du Premier ministre pourrait faire boomerang, surtout s’il perd, le 3 novembre, son principal allié : Donald Trump. Reste l’obstacle sur lequel bute, depuis des années, tout espoir de changement réel en Israël : l’absence de toute alternative de gauche. Si la Liste unie est sortie des trois dernières élections renforcée (15 députés), la gauche sioniste s’est effondrée. Le parti travailliste (2 députés) a lui aussi rallié le gouvernment et, selon les sondages, il ne figurerait pas dans la prochaine Knesset. Seuls demeurent dans l’opposition, avec la Liste unie, le Meretz (5 députés) et la coalition Yesh Atid-Telem (16 députés) qui n’a pas suivi Gantz.

Bref, si Netanayhou tombait, son remplaçant pourrait venir de l’extrême droite : Naftali Bennet ne dissimule pas cette ambition. Et les sondages voient déjà la Likoud baisser au profit de Yamina…

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[1] Site du Times of Israel, 23 août.

[2] Site du Jérusalem Post, 20 août.

[3] Site de Haaretz, 20 août.

[4] Voir l’article de Danièle Kriegel, Le Point, 22 août 2020.

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