La Haute Cour régionale de Coblence condamne Eyad al-Gharib, ancien membre des services de renseignement syriens, à quatre années et six mois de prison

Depuis le début du conflit en Syrie, il y a près de 10 ans, de nombreux journalistes, ONG, ressortissants syriens ont souligné le rôle important des services de renseignements syriens qui auraient systématiquement pourchassé, arrêté, torturé et exécuté des syriens, des civils, dont des militants de l’opposition.

Eyad al-Gharib faisait partie de ce système. Il était un membre des services de renseignement syrien, affecté à la funestement connue Branche 251 de la direction générale de la sécurité (aussi connue comme « Al-Khatib »), en charge de la sécurité intérieure dans la région de Damas. Il avait quitté la Syrie à la fin de l’année 2011, après avoir fait défection, et rejoint l’Allemagne où il a demandé l’asile. Arrêté sur le territoire allemand le 1er février 2019, les juridictions allemandes ont exercé leur compétence universelle pour enquêter et le poursuivre.

Le 24 février 2021, la Haute Cour régionale de Coblence a condamné Eyad al-Gharib, à quatre années et six mois de prison pour aide et assistance dans la commission de crimes contre l’humanité commis en Syrie entre 2011 et 2012.

C’est Eyad al-Gharib qui était jugé pour ses actes ou ses omissions. Il ne comparaissait pas en tant que "représentant" du régime syrien

Il était notamment reproché à Eyad al-Gharib d’avoir, avec d’autres officiers de sécurité, participé à la violente répression d’une manifestation, pourchassé et arrêté, en septembre ou octobre 2011 au moins 30 manifestants à Douma, et à leur transfert vers la Branche 251.

Alors qu’il requérait une peine de cinq années et six mois de prison, le Procureur allemand Jasper Klinge rappelait l’essentiel en matière de droit pénal : c’est Eyad al-Gharib qui était jugé pour ses actes ou ses omissions. Il ne comparaissait pas en tant que « représentant » du régime syrien. C’est là l’essence de la responsabilité pénale individuelle.

 

Toutefois, au-delà de la peine, nul doute que ce verdict est historique à plusieurs égards.

 

Il conclut le premier procès dans le monde s’agissant de tortures perpétrées par le régime syrien et ses institutions. Les enquêtes, ainsi que les 60 jours d’audience au cours desquels des témoins et des experts ont été entendus et des preuves présentées, ont contribué à documenter et mettre en lumière la mécanique des chaînes de commandement et du système tortionnaire du régime assadien.

Il est rendu par une juridiction allemande sur le fondement du principe de compétence universelle prévue depuis 2002 dans le Code des crimes contre le droit international (Völkerstrafgesetzbuch) et permettant aux tribunaux allemands de poursuivre les crimes graves, dont les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre, peu importe où ils ont été commis, par qui ou contre qui.

Le recours à la compétence universelle des juridictions allemandes pallient à la défaillance de la communauté internationale

Ce verdict est l’aboutissement du courage des syriens, qu’ils se trouvent en Syrie ou en Allemagne, qui ont alimenté ces procédures avec des preuves essentielles et qui ont reconnu les suspects sur le territoire allemand. Leur rôle moteur et le recours à la compétence universelle des juridictions allemandes pallient à la défaillance de la communauté internationale – communauté d’États – judiciairement incarnée par la CPI. Émerge alors une communauté d’individus incarnant une nouvelle forme d’expression d’universalité, rendant plus difficile la disqualification de ces procès comme étant une justice des vainqueurs, argument souvent opposé devant les tribunaux internationaux.

Il s’agit de lutter contre le silence cultivé par le régime

Enfin, la tenue de ce procès, et des suivants annoncés, est une autre forme de lutte. Il s’agit de lutter contre le silence cultivé par le régime. Les victimes qui se sont présentées à l’audience ont porté la voix de centaines de milliers de victimes syriennes qui étaient jusque-là niées dans leurs vécus.

Eyad al-Gharib avait été arrêté le 1er février 2019, en même temps qu’Anwar Raslan. Le 23 avril 2020 s’ouvrait leur procès devant la Haute Cour régionale de Coblence. Au 60e jour d’audience, les juges accèdent à la demande du procureur et séparent les deux affaires, estimant que toutes les preuves relatives au dossier d’Eyad avaient été présentées. Le procès d’Anwar Raslan reprendra le 10 mars avec l’audition d’autres témoins et de nouvelles preuves.

Face à l’incapacité de la Cour pénale internationale (CPI) de se saisir de ces faits, la Syrie n’étant pas un État partie au Statut de la Cour et le Conseil de sécurité des Nations Unies étant paralysé par les vétos russe et chinois, ce sont des juridictions nationales exerçant leur compétence universelle qui vont enquêter et poursuivre. Le procès qui s’est tenu à Coblence à l’encontre d’Eyad al-Gharib en est l’illustration visible, d’autres procédures existent en Allemagne mais aussi dans d’autres pays européens à l’encontre d’autres ressortissants syriens. Elles pourraient également déboucher sur la tenue de nouveaux procès.

Leïla Bourguiba, conseillère juridique en droit pénal international et droit international humanitaire, membre du bureau de l’iReMMO