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Israël-Palestine: pour un retour au politique

TRIBUNE parue dans Le Monde  du 11 avril 2025

Si la première phase du cessez-le-feu initié à Gaza depuis le 19 janvier 2025 a tenu, les perspectives de mise en oeuvre de la seconde – devant permettre la libération de tous les otages restants en échange de celle de prisonniers palestiniens et le retrait total de l’armée israélienne de la bande de Gaza – semblent beaucoup plus incertaines. Comme l’est encore bien davantage l’issue de cette guerre et, plus fondamentalement, celle du conflit israélo-palestinien.

Deux chemins sont possibles. L’un conduisant vers une guerre sans fin, l’autre ouvrant vers des perspectives de paix.

Benjamin Netanyahou sait pouvoir compter sur l’indéfectible soutien du président Trump qui a réitéré l’idée d’un déplacement de la population gazaouie vers la Jordanie et l’Egypte. Cette proposition, prônée depuis longtemps par la droite et l’extrême droite israélienne, lui convient parfaitement. « Je me dois de respecter le plan de Donald Trump pour la création d’un autre Gaza », a-t-il récemment déclaré. Pour la Cisjordanie, objectif central de sa politique, il intensifie la colonisation en s’appuyant sur l’action violente des colons les plus extrémistes tout en réprimant, par tous les moyens, la moindre forme de résistance à l’occupation. L’armée utilise désormais les mêmes méthodes qu’à Gaza avec des bombardements aériens, la destruction systématique d’espaces urbains et le transfert forcé de dizaines de milliers de Palestiniens hors des camps de réfugiés où ils vivent à Jénine, Tulkarem et Nour Shams avec interdiction de revenir. Certains évoquent des projets de colonisation en lieu et place de ces camps. C’est dans ce contexte que l’UNWRA, dont le rôle est vital pour des centaines de milliers de réfugiés palestiniens, se trouve désormais dans l’impossibilité de mener ses activités dans ce territoire occupé. Enfin, dernier point fondamental, des discussions approfondies sont en cours entre le gouvernement israélien et la Maison Blanche pour qu’Israël annexe tout ou partie de la Cisjordanie.

Pour ne pas être dupe des contournements sémantiques, il faut nommer précisément ces actions. Un déplacement forcé de population constitue une déportation au sens de la IVème Convention de Genève de 1949 qui l’interdit. Une annexion entraînerait nécessairement une discrimination structurelle entre les citoyens israéliens des colonies bénéficiant de tous le droits et les Palestiniens qui n’en auraient aucun. Cette discrimination existe déjà du fait même de l’occupation mais l’annexion la transformerait en un apartheid institutionnel assumé. Quant à la colonisation, elle est « illicite » comme l’a encore rappelé l’avis de la Cour internationale de justice du 19 juillet 2024.

Croire que la mise en oeuvre de ces options consacrerait la victoire du militaire sur le politique est une vision à très courte vue car, en l’absence d’un règlement  politique, la région ne peut connaitre qu’un enchainement tragique de guerres et de terrorisme.

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En ces temps d’effondrement des normes, de valorisation de la force et de mépris de la vérité, nous pensons qu’il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer les principes fondamentaux du droit international.

Dans cette perspective, il faut penser la sortie de cette tragédie avec pour seul horizon la solution à deux Etats -avec les indispensables garanties de sécurité qui s’imposent pour l’un comme pour l’autre- comme le stipulent les résolutions du Conseil de sécurité à l’instar de celle (2735) du 10 juin 2024 dont les termes sont à la base du cessez-le-feu intervenu le 19 janvier. Après qu’il soit devenu définitif et que tous les otages auront été relâchés en échange de la libération de prisonniers palestiniens, ce texte qui « rejette toute tentative de changement démographique ou territoriale dans la bande de Gaza », prévoit « un vaste plan pluriannuel de reconstruction de Gaza » avec ses habitants restés évidemment sur place. Une telle reconstruction s’accompagnera d’un effort considérable dans le domaine humanitaire dans lequel l’UNWRA doit pouvoir jouer le rôle central qui a toujours été le sien.

En parallèle de cet immense chantier, la question de la gouvernance est cruciale. Elle doit être palestinienne sous la forme d’une instance spécifique créée pour la phase de transition en attendant des élections générales indispensables pour renouveler l’Autorité palestinienne. Bien entendu, rien ne sera possible si la sécurité n’est pas garantie dans toute la bande de Gaza. La police palestinienne n’étant pas, à elle seule, en mesure de l’assurer, il faudrait donc l’intervention d’une force internationale dont le mandat pourrait être défini par l’ONU. L’ensemble de ce processus devrait être porté par une « coalition pour la paix » au sein de laquelle l’Arabie saoudite et la France joueraient un rôle moteur. Pour consolider cette approche fondée sur le droit international, Paris devrait, en amont, et si possible avec d’autres puissances, reconnaître l’Etat de Palestine tandis que l’Arabie saoudite, dans le même mouvement, pourrait accepter le principe d’une normalisation avec Israël telle qu’elle l’avait déjà proposée avec la Ligue arabe en 2002. Un tel processus de portée historique serait encore plus ambitieux s’il cherchait à s’insérer dans le cadre d’un système de sécurité collective régional incluant l’Iran contraint d’adopter une stratégie plus réaliste, après l’échec de « l’Axe de la résistance » à Israël.

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Il ne faut se faire aucune illusion. Benjamin Netanyahou, fort du soutien inconditionnel de Donald Trump, fera tout pour imposer son triptyque : domination, déportation, annexion. Ce sera alors la poursuite d’une guerre sans fin. Le projet alternatif fondé sur un retour au politique ne pourra aboutir que si ceux qui le défendent sont déterminés à aller jusqu’au bout d’un combat diplomatique très difficile. En raison de sa position unique forgée par l’histoire et de ses relations privilégiées avec tous les acteurs du conflit, le monde arabe et les Etats-unis,  c’est à la France de le porter et de montrer le chemin.

Paris, le 28 février 2025.

 

Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO

Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO

Antoine Arjakovsky, codirecteur de recherche, Collège des Bernardins 

Michel Duclos, ancien ambassadeur de France, conseiller à l’Institut Montaigne 

Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS, iReMMO 

Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France, Collège des Bernardins 

Jamal Al-Shalabi, professeur de sciences politiques à l’université hachémite (Zarka, Jordanie)

ÉDITO

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Annulation du colloque « La Palestine et l’Europe »: une « grave atteinte aux libertés académiques »

10 novembre 2025

Un important colloque «La Palestine et l’Europe: poids du passé et dynamiques contemporaines» devait avoir lieu au Collège de France en collaboration avec le Carep. Sur pression du ministre de l’enseignement supérieur, répondant à des injonctions de la Licra, l’administrateur du Collège s’est vu dans l’obligation  de l’annuler. L’iReMMO dénonce une telle décision qui porte gravement atteinte aux libertés académiques les plus fondamentales.

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LES ANALYSES DE CONFLUENCES

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A Gaza, c’est la paix qu’on ensevelit !

Ali Keshtgar, 22 janvier 2009
Ce qui se produit à Gaza, ce n’est évidemment pas une guerre entre deux Etats en conflit. Il y a, d’un côté, les velléités d’une population prise en otage, qui veut sauver ce qui lui reste de fierté, de l’autre une force armée jusqu’aux dents, disposant de l’artillerie la plus moderne et la plus meurtrière précisément déterminée à briser cette fierté et à imposer une humiliation perpétuelle à une population exsangue. Il faut être né à Gaza, avoir été, chez soi, dépouillé de son indépendance, avoir vécu dans la peur de la guerre, de la destruction et de la mort pour savoir comment la vie-même peut perdre son prix au point qu’on préfère l’échanger contre un instant de fierté…

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Lettre d’information de l’iReMMO