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Histoire du conflit israélo-libanais: retour sur un conflit octogénaire, aux racines, acteurs et enjeux multiples

Le conflit au Proche Orient a connu une forte escalade depuis le mois de septembre 2024, participant à sa régionalisation. Israël a intensifié son offensive sur le Liban depuis l’attaque aux bipeurs du Hezbollah, qui s’est suivie une campagne de bombardements massifs depuis le lundi 23 septembre. Ces opérations ont abouti à l’assassinat d’une partie conséquente de la structure de commandement du Hezbollah, dont son secrétaire général, Hassan Nasrallah, le vendredi 27 septembre, et son cousin et pressenti successeur, Hachem Safieddine, chef du conseil exécutif du Hezbollah, le 23 octobre.

Le conflit israélo-libanais s’inscrit dans le cadre plus large des conflits israélo-palestinien et israélo-arabe. Néanmoins, il dispose de ses propres caractéristiques et dynamiques, liées aux relations complexes et conflictuelles que le Liban entretient avec l’État d’Israël, depuis sa création en 1948.

Deux États héritiers des mandats français et britanniques mais avec des structures et dynamiques sociopolitiques très différentes

L’État d’Israël est aujourd’hui peuplé de près de 10 millions d’habitants, dont les trois quarts sont des juifs israéliens, le dernier quart représentant une minorité arabe disparate (musulmans sunnites, chrétiens, druzes). La population israélienne a été quintuplée depuis 1960 du fait de plusieurs vagues d’immigration. Bien que la minorité arabe dispose de la citoyenneté, elle reste en réalité marginalisée politiquement et socialement. Par ailleurs, les populations palestiniennes des territoires occupés, ainsi que les 700000 colons israéliens installés dans ces zones, modifient drastiquement les dynamiques démographiques de la région. Ainsi, la société israélienne est ethniquement et culturellement plurielle, engendrant des défis d’intégration qui s’illustrent notamment par la polarisation croissante entre laïcs et ultra-orthodoxes.

Le Liban, avec 5,4 millions d’habitants, présente une diversité confessionnelle et communautaire unique au Moyen-Orient, se reflétant dans son système politique. Le dernier recensement officiel datant de 1932, les estimations peignent une société divisée en trois tiers – chrétiens, sunnites et chiites – plus ou moins égaux, et avec une minorité druze. Le Liban est aussi marqué par une présence massive de réfugiés: aux 550 000 Palestiniens (selon l’Unrwa) qui sont arrivés au Liban depuis 1948 se sont ajoutés plus récemment quelques deux millions de Syriens fuyant la guerre civile dans leur pays.

La démographie et les équilibres communautaires, en plus d’être des données structurelles, sont un moteur des dynamiques conflictuelles au niveau national et régional.

Le Liban dans le conflit israélo-arabe (1948-1973)

Le Liban indépendant, né du Pacte national de 1943, est le fruit d’un compromis, ou plutôt d’une «double négation identitaire», selon les mots de Georges Naccache: les chrétiens renoncent au mandat français et les musulmans (sunnites) à l’unité syrienne. Cette construction étatique est rapidement mise à l’épreuve par le déclenchement de la première guerre israélo-arabe en réaction à la proclamation de l’État d’Israël en 1948, révélant, dès le départ, la très fragile unité libanaise.

Tout au long des conflits israélo-arabes, le pays du Cèdre cherche à tenir une position d’équilibriste, afin de ne pas se mettre à dos ses voisins arabes – et pour contenter la frange panarabe de sa population – tout en essayant de préserver ses relations avec les pays occidentaux – et répondant à une partie des Libanais, hostiles à l’engagement de leur pays dans ce conflit.

Ainsi, en 1948, le Liban participe au conflit par solidarité avec ses voisins, mais sa participation se limite à une opération militaire réduite le long de la frontière sud, notamment en comparaison à celle de l’Égypte, de la Jordanie ou de la Syrie. Par ailleurs, c’est au cours de ce conflit qu’a lieu la première incursion israélienne au Liban, lors de l’Opération Hiram d’octobre 1948, qui vise à sécuriser la frontière nord de l’Etat hébreu. Le conflit de 1948 laisse des traces durables au Liban, notamment avec l’arrivée massive de réfugiés palestiniens, modifiant l’équilibre confessionnel du pays – la majorité étant des musulmans sunnites. Cependant, Beyrouth se voit renforcée économiquement grâce à ce conflit, son port prenant le dessus sur celui de Haïfa et son économie tertiarisée bénéficiant du boycott arabe d’Israël. 

En 1967, la guerre des Six Jours éclate après l’imposition par l’Égypte d’un blocus maritime à Israël. En réponse, Israël lance une attaque éclair contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie et s’empare du Sinaï, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan. La guerre replonge le Liban dans le conflit israélo-arabe bien qu’il limite son engagement à l’envoi de deux avions de chasse. Ce conflit fait du Sud-Liban un champ de bataille pour les années à venir. L’Organisation pour la libération de la Palestine s’installent progressivement dans la région et sont acceptés par les population locales, désireuses de se prémunir de l’influence des Assad et des agences sécuritaires de du président libanais Chéhab. Le Liban soutient la résolution de Khartoum, adoptée en septembre 1967 par plusieurs pays arabes, qui rejette la paix, la reconnaissance et les négociations avec Israël.

En décembre 1968, en représailles d’une attaque palestinienne contre un avion israélien à Athènes, l’Etat hébreu attaque l’aéroport de Beyrouth, détruisant plusieurs avions de la compagnie libanaise Middle East Airlines. Cette attaque marque un tournant puisque c’est la première fois que des infrastructures civiles libanaises sont sciemment ciblées. Au même moment, du fait de la montée de tensions internes au Liban liées à l’ancrage de l’OLP, le général Émile Boustani signe les accords du Caire en 1969 avec Yasser Arafat, qui consacre le droit de la résistance palestinienne d’exister au Liban.

En 1973, lors de la guerre du Kippour, le Liban, au bord de la guerre civile et économiquement fragilisé, limite sa participation à un soutien logistique à la Syrie, partie prenante du conflit.

L’implication d’Israël dans la guerre civile libanaise (1975-1990)

L’ancrage de plus en plus sérieux de l’OLP au Liban participe la perception du pays du Cèdre comme une menace pour les dirigeants israéliens. Le Sud-Liban devient une zone de confrontation entre les Palestiniens et Israël, contribuant à la déstabilisation du Liban, dont le régime politique était déjà vacillant, du fait des tensions intercommunautaires mêlées aux fortes inégalités socio-économiques. L’entrelacement de ces facteurs de tension et l’incapacité de la classe politique à répondre à ces défis finissent par précipiter le pays dans une guerre civile longue et destructrice, qui fait entre 150000 et 250000 morts et des centaines de milliers de déplacés.

Initialement, Israël intervient indirectement, en acceptant tacitement l’intervention syrienne au Liban qui commence en avril 1976, avec comme ligne rouge le non-franchissement du fleuve Litani par l’armée syrienne. L’État hébreu ouvre progressivement un front contre l’OLP en soutenant l’Armée du Liban Sud à partir de juin 1976, alliée de la Phalange chrétienne.

En 1978, Israël décide d’intervenir directement dans les affaires libanaises, notamment du fait du changement d’alliance de la Phalange (milice maronite) de Bachir Gemayel de la Syrie à Israël, des réactions arabes contradictoires à Camp-David et de sa volonté de mener une contre-offensive aux attaques syriennes et palestiniennes. Ainsi, Israël lance l’opération Litani à la suite d’une de ces attaques pour expulser l’OLP du Sud-Liban et envahit une partie du Sud pour y établir une zone de sécurité sous le contrôle de l’Armée du Liban Sud.

L’implication d’Israël change de nature en 1982 avec l’opération Paix en Galilée, parvenant à expulser l’OLP de Beyrouth et qui aboutit à l’élection de B. Gemayel à la présidence de la République. Ce dernier est cependant assassiné avant son investiture en septembre et les troupes israéliennes saisissent cette occasion pour prendre le contrôle de Beyrouth-Ouest où, après avoir informé les Phalangistes que Bachir avait été tué par des Palestiniens, elles laissèrent les milices chrétiennes entrer dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila et y perpétrer des massacres, suscitant l’indignation internationale.

L’occupation israélienne se maintenant, la résistance de la société prend de nouvelles formes : la milice chiite Amal était mobilisée dans le Sud et la « résistance islamique », futur Hezbollah, organisait ses premiers attentats suicide. Le Hezbollah provient d’une sécession au sein de Amal, autour de Hussein al-Moussaoui. Il fut rapidement secondé par un millier de gardiens de la révolution iranienne, envoyés pour former militairement et endoctriner ces transfuges. C’est la fusion de ce groupe avec la branche libanaise du parti Dawa sous la direction de Mohammad Hussein Fadlallah et son mouvement de jeunes qui donna naissance au Hezbollah, béni par Khomeini en février 1985.

En mai 1983 un traité de paix entre Israël et le Liban est signé par Ariel Sharon et Amine Gemayel, Israël promettant de se retirer une fois que les Syriens auraient évacué, ce qui déplut à Assad. Pour ne pas s’aliéner la Syrie, le gouvernement libanais ne ratifiera pas le traité.

La guerre civile libanaise prend fin avec la signature de l’accord de Taëf en 1989, qui réaffirme la souveraineté libanaise et appelle au retrait progressif des forces étrangères, notamment israéliennes et syriennes et au déploiement de l’armée libanaise sur l’ensemble du territoire. Cependant, l’armée libanaise ne se déploiera pas au Sud-Liban, le Hezbollah conservant son arsenal militaire, et le retrait effectif n’adviendra qu’en 2000 pour Israël et en 2005 pour la Syrie.

Le Hezbollah, produit et moteur du conflit « israélo-libanais » (1982-2023)

Après l’invasion de 1982, un nouvel acteur s’impose dans le Sud-Liban: le Hezbollah. Ce mouvement chiite émerge pour remplacer le vide laissé par le départ de l’OLP. Le Hezbollah est composé d’un appareil militaire luttant contre Israël, d’un appareil civil «sociopolitique», chargé de mettre en place un Etat islamique au Liban et de soutenir les victimes du conflit avec Israël (via la construction d’écoles, d’hôpitaux, de réseaux caritatifs…), lui permettant de s’enraciner dans le tissu social libanais.

Dans les années 1990, les confrontations entre Israël et le Hezbollah s’intensifient. En 1992, après l’assassinat d’Abbas Moussaoui, Hassan Nasrallah prend la tête du Hezbollah. Il ordonne les premiers tirs de roquettes sur Israël et accueille des cadres du Hamas expulsés. Nasrallah engage aussi le Hezbollah dans les élections libanaises, renonçant temporairement à un État islamique. En 1996, Israël lance l’opération Raisins de la Colère, visant à réduire les capacités de l’organisation, qui est marquée par le massacre de Cana, où une frappe israélienne tue une centaine de civils réfugiés dans un complexe de l’ONU, suscitant une profonde indignation.

Le Hezbollah gagne en popularité pendant les années 2000 grâce à deux événements. D’abord, sa guerre d’usure face à l’occupation israélienne aboutit au retrait de Tsahal du sud-Liban en 2000, ce qui est perçu comme une victoire symbolique pour le Hezbollah, devenant le premier mouvement arabe à contraindre Israël à se retirer d’un territoire. Ensuite, le parti de Dieu sort renforcé de la guerre de juillet 2006 contre l’Etat Hébreu, lui permettant d’obtenir le soutien de la rue arabe qu’il voit comme «une victoire divine».

Au cours de cette courte guerre, le Hezbollah a su mettre en échec une des armées les mieux loties du monde grâce à des techniques de guérillas maîtrisées et un arsenal de roquettes pouvant toucher le territoire israélien. Néanmoins, ce conflit fut destructeur pour le Liban : environ 1200 Libanais y trouvèrent la mort et les infrastructures du pays furent lourdement touchées. Ce conflit illustre la capacité du Hezbollah à tenir tête à une armée technologiquement supérieure, tout en exacerbant les divisions internes au Liban, entre les pro et anti-Hezbollah.

L’implication du parti de Dieu dans le conflit syrien, lui permet de gagner un nouveau front avec Israël tout en s’approvisionnant en armes à travers la frontière avec la Syrie et de décupler son stock de missiles et roquettes entre 2006 et 2020. Durant cette période, quelques escarmouches sont à relever entre le Hezbollah et Israël : l’État hébreu mène des assassinats ciblés en Syrie à l’encontre de cadres du parti chiite, entrainant de brèves escalades.

Cette politique s’est intensifiée entre 2018 et 2022, avec des frappes israéliennes plus fréquentes à l’encontre de positions, d’infrastructures et d’entrepôts d’armes du Hezbollah en Syrie, ouvrant à chaque fois de courts cycles d’escalade, qui demeurent contrôlés.

La montée en puissance du Hezbollah a pour conséquence principale la mise à l’écart de l’État libanais dans les relations avec Israël. Son rôle se réduit à celui de spectateur impuissant du conflit de basse intensité qui se déroule sur son territoire entre le Hezbollah, dont les offensives ou ripostes sont lancées sans la moindre concertation du gouvernement, et Israël, qui ne se soucie guère de la violation de la souveraineté de son voisin.

Aujourd’hui, le conflit israélo-libanais reflète une multitude d’enjeux. Il révèle la faiblesse de l’Etat libanais et son incapacité à agir en tant qu’acteur souverain, à la fois vis-à-vis d’Israël et du Hezbollah, devenu un « Etat au-dessus de l’Etat », comme le soutient le politologue Karim Bitar. Il souligne l’intrication entre ce conflit et la question palestinienne, notamment du fait du rôle croissant du Hezbollah, soutenu par l’Iran et faisant partie de sa stratégie dans une dans une lutte régionale plus vaste. Aussi, comme pour l’OLP au début des années 1980, Israël voit dans le Hezbollah une menace à anéantir, ce qui parait illusoire et voué à l’échec.

de Victor Jardin et Owen Steketee

Bibliographie

Ouvrages

Aurélie Daher, Le Hezbollah: mobilisation et pouvoir (La Fabrique, 2014).

Alain Dieckhoff, L’État d’Israël (Fayard, 2008).

Fawwaz Traboulsi, History of Modern Lebanon (Pluto Press, 2007).

Sites internet

Le Monde, Pour le Hezbollah, plus de quatre décennies de guerre avec Israël, consulté sur www.lemonde.fr (2024, 1 octobre)

Le Grand Continent, Gaza, Israël et l’Iran dans la nouvelle phase au Moyen-Orient: une conversation avec Ghassan Salamé. Consulté sur  legrandcontinent.eu/fr (2024, 17 septembre)

Le Monde, Comprendre les tensions entre le Hezbollah et Israël en cinq dates clés. Consulté sur www.lemonde.fr (2024, 3 août)

La Croix, Entre Israël et le Liban, un conflit qui dure depuis 1948. Consulté sur www.la-croix.com (2023, 7 avril)

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