L’intervention militaire israëlienne dans la bande de Gaza est inutile et meurtrière. Seule la création d’un Etat palestinien garantira la sécurité de l’Etat hébreux.

Il y a bien longtemps, hélas, que le débat sur la confrontation israélo-palestinienne a perdu toute rationalité. Surtout quand son arrière-plan est déformé par l’extraordinaire confusion des esprits dès lors qu’un acteur islamiste est concerné de près ou de loin.

Les amalgames les plus confus sont à l’oeuvre dans le discours ou sous la plume de ceux qui, acteurs ou observateurs, prétendent analyser ce qui se passe en ce moment à Gaza. Sans prétendre démêler l’écheveau de ces multiples fantasmes, il est au moins possible de prendre quelques repères.

La confrontation actuelle à Gaza est partie de Cisjordanie et de Jérusalem-Est avec la meurtre terrible de trois jeunes israéliens, suivis quelques jours plus tard de l’assassinat horrible d’un jeune palestinien. Ces actes criminels abjects sont sous-tendus par les discours de haine entretenus par les extrémistes des deux camps.

CARACTÈRE INACCEPTABLE D’UNE SITUATION D’OCCUPATION

C’est d’ailleurs dans un climat comparable qu’avait été assassiné Itzkak Rabin en novembre 1995 par un extrémiste israélien. Aussitôt après ce triple assassinat, le gouvernement Netanyaou en a rendu responsable le Hamas qui pourtant ne l’a pas revendiqué. Mais il est vrai qu’il ne l’a pas davantage condamné. C’est à partir de là que l’escalade a commencé.

Cette nouvelle épisode de violence extrême ne doit  pas faire oublier qu’elle n’est que le révélateur, tragique, du caractère inacceptable d’une situation d’occupation et d’enfermement des Palestiniens qui prévaut depuis des années.

La Cisjordanie est soumise à une occupation militaire et à une implacable colonisation, avec tout ce que cela implique de dépossession pour les Palestiniens. Gaza, elle,  n’a été aucunement évacuée par l’armée israélienne, puisque cette dernière se tient tout autour et emprisonne une population de près de deux millions de personnes sur un minuscule territoire (360 kilomètres carré).

DÉTRUIRE LE PROCESSUS D’OSLO

Le blocus est complet : impossible de s’échapper ni par la terre, ni par la mer, ni par les airs. Les Gazaouis sont aussi libres de leurs mouvements que des prisonniers dans leur espace carcéral !

La dernier round de négociations s’est arrêté en avril de cette année. Personne n’y croyait vraiment, ni en Israël ni en Palestine, mais les Etats-Unis ont au moins formellement essayé. La raison de cet échec est simple : les forces politiques actuellement au pouvoir en Israël sont celles-là même qui ont tout fait pour détruire le processus d’Oslo.

En aucun cas elles ne veulent d’un Etat palestinien. Faut-il rappeler  les positions maintes fois exprimées par Avigdor Liberman qui prône le transfert des Arabes d’Israël, ou par Naftali Bennet qui veut annexer la zone C, celle qui couvre les deux tiers de la Cisjordanie ?

UN PRÉTEXTE POUR ACTIVER LA HAINE DES JUIFS

Cette situation d’occupation et d’enfermement est tout simplement niée par la droite et l’extrême droite israélienne, ainsi que par une partie de ceux qui les soutiennent en France. Pour eux les «territoires» ne sont qu’un prétexte pour activer leur haine des juifs.

La preuve en est, toujours selon eux, que Gaza «libérée» a été aussitôt dominée par un organisation terroriste islamiste. Ce déni terrible ne fait qu’alimenter les discours de haine, car cela revient à dire que l’Autre n’existe pas en tant que nation, ni en tant que personnes détentrices de droits fondamentaux.

Dans des situations de confrontation armée, un tel discours peut être légitimé par de larges fragments de la société israélienne juive, qui se sent et qui est menacée par les attaques de roquettes lancées à l’aveugle par le Hamas et d’autres groupes.

STRATÉGIE DE COURT TERME

Les paroles «dissidentes» se font rares mais elles existent; il suffit de lire le quotidien israélien Haaretz pour s’en convaincre. Elles sont rares mais précieuses parce qu’elles voient plus loin et resituent l’actuelle confrontation dans le temps long de ce conflit.

Comme souvent la stratégie du Hamas est à court terme. Il parait très replié sur ce qu’il croit être ses intérêts en tant qu’organisation. Dans la position de faiblesse où il se trouvait ces derniers mois sur le triple plan stratégique (plus d’alliés à l’extérieur), politique (en rupture avec les autres forces palestiniennes), et financier (tarissement des sources), il n’avait aucun intérêt à cette confrontation. Et ce d’autant plus qu’il avait entamé un processus -fragile et ambigu- de réconciliation avec le Fatah avec l’acceptation, début juin, d’un gouvernement d’union nationale.

Gouvernement immédiatement combattu avec virulence par Benjamin Netanyhaou mais accepté et même salué par la communauté internationale, y compris les Etats-Unis et l’Union Européenne.

LES GAZAOUIS N’ONT PLUS RIEN À PERDRE

Le Hamas semble soutenu par une partie importante de la population de Gaza pour une raison qui échappe à beaucoup qui ne connaissent pas la situation de ce territoire traumatisé : les Gazaouis n’ont rien à perdre.

Lorsque il y a quelques jours l’armée israélienne a demandé à plusieurs dizaines de milliers d’habitants de quitter leurs maisons qui vont être bombardées, personne n’a bougé. Et ils ont répondu textuellement : «on préfère mourir d’un coup plutôt que de mourir à petits feux».

Ou encore cette photo en première page de Haaretz (14 juillet)d’une mère palestinienne qui explique qu’elle dort dans la même pièce avec ses trois enfants car s’ils doivent mourir, ils veulent mourir tous ensemble.

UNE PROPORTIONNALITÉ DE LA RIPOSTE CONTESTABLE

Dans ce contexte extrêmement douloureux, Israël a évidemment le droit de se défendre contre des attaques de roquettes tirées de manière totalement indiscriminée contre des zones civiles, mais pour autant il faut sérieusement relativiser l’argumentaire fondé sur sa victimisation…

On peut légitimement contester la proportionnalité de la riposte qui a fait deux cents morts civils et des centaines de blessés, dont beaucoup d’enfants, du côté palestinien.

De plus le gouvernement d’une puissance occupante, au sens du droit international, ne peut pas s’attendre à ce qu’un peuple de plus de quatre millions de personnes puisse accepter sans résister sa situation de dominé et d’opprimé dès lors que toutes les perspectives politiques lui sont refusées.

INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ

Et c’est là que la communauté internationale, et tout particulièrement les Etats-Unis et les Européens, fait preuve d’une insoutenable légèreté. Elle ne fait rien pour mettre un terme à cette occupation et au blocus de Gaza, mais prétend ensuite s’indigner de ces flambées de violences dramatiques qui provoquent la mort de centaines d’innocents.

Les communiqués de condamnation des roquettes fusent aussitôt, et on peut le comprendre, mais on ne peut comprendre qu’il n’y ait en aucune façon l’équivalent pour dénoncer l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie (Jérusalem-Est inclus) et l’intolérable enfermement du blocus de Gaza.

Comme pour les séquences précédentes, en 2009 et 2012, un cessez-le-feu sera sans doute bientôt conclu. Il mettra un terme à un épisode aussi tragique qu’absurde où, à ce jour, près de six cent Palestiniens et de trente Israéliens, seront morts pour rien.

LA NÉCESSAIRE CRÉATION D’UN ÉTAT PALESTINIEN

Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que la communauté internationale se saisisse vraiment du problème et mette tout en oeuvre pour que soit créé un Etat palestinien à côté de l’Etat d’Israël.

Si ce n’est pas le cas, comme malheureusement on doit s’y attendre, on va continuer à ignorer la souffrance des Palestiniens en ne pensant qu’à la sécurité d’Israël, sans comprendre que celle-ci n’a aucune chance d’être préservée si elle continue à être fondée sur l’insécurité absolue du peule palestinien.

 

Dans Le Monde,
Juillet 2014

Jean-Paul Chagnollaud,
Professeur des universités,
Président de l’iReMMO

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