Après la décision irresponsable de Donald Trump, que la France s’engage !
Tribune à Lire sur Libération
Depuis des années, on ne parle plus guère du conflit israélo-palestinien. Ce silence ne recouvre pas un statu-quo synonyme d’immobilisme comme s’il ne se passait plus rien sur le terrain. Il occulte au contraire une politique de colonisation chaque jour plus intense déployée par le gouvernement Netanyahou partout en Cisjordanie et plus particulièrement à Jérusalem-Est et dans ses environs immédiats avec tout ce que cela implique de violences physiques, matérielles et symboliques aux conséquences irréversibles à l’encontre des Palestiniens. Une politique ouvertement assumée par Israël comme vient encore de le montrer (le 27 septembre) la grande fête officielle organisée par l’Etat à Goush Etzion, colonie de Cisjordanie, pour célébrer «le 50ème anniversaire de la libération de la Judée-Samarie, de la vallée du Jourdain et du Golan» … et donc les 50 ans de colonisation. 5000 invités, des feux d’artifices mais aussi, il faut le souligner, un boycott des leaders des partis de gauche, du centre et … de la présidente de la Cour Suprême. Et ce gouvernement compte aller encore beaucoup plus loin puisqu’il prépare l’annexion d’une partie de la Cisjordanie avec une loi déjà votée et des projets actuellement en discussion à la Knesset.
C’est dans un tel contexte que Donald Trump a choisi d’annoncer que les Etats Unis reconnaissaient Jérusalem comme capitale d’Israël.
En agissant ainsi, il manifeste son mépris des règles du droit international pourtant fermement rappelées par une importante résolution adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité en décembre 2016 en ces termes : «que l’acquisition de territoires par la force est inadmissible… que la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est constitue une violation flagrante du droit international». Elle «exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé» et estime que cette politique de colonisation «met gravement en péril la viabilité de la solution à deux Etats fondée sur les frontières de 1967».
Une telle décision radicalement contraire au droit international est d’autant plus grave qu’elle constitue aussi une forme de légitimation des politiques israéliennes d’occupation et de colonisation. Imagine-t-on l’ampleur et l’intensité des humiliations qu’une telle situation peut infliger à tous ceux qui la subissent et au-delà à tous ceux dans le monde arabe et musulman qui s’en sentent solidaires ? Il ne faudra donc pas s‘étonner que des foyers de radicalité ne resurgissent ici et là avec leur cortège de violences irrépressibles relançant ainsi un nouveau cycle tragique d’affrontements mortifères.
Dans la configuration internationale actuelle, il ne faut donc rien attendre des Etats-Unis dirigés par un tel président. Sur les dossiers du Moyen-Orient comme sur bien d’autres, l’imprévisibilité irresponsable des positions de Washington est telle que ses alliés traditionnels doivent oser prendre seuls les initiatives qu’ils estiment indispensables. Compte tenu de la crise interne que vit aujourd’hui l’Europe notamment avec la perspective du Brexit, la France et l’Allemagne sont les seuls pays capables d’agir et d’être écoutés au Moyen-Orient. Ils ont tous les deux de bonnes relations avec les acteurs qui comptent dans la région et en particulier avec l’Arabie saoudite et l’Iran alors même que l’opposition frontale entre ces deux Etats structure les pôles de confrontation dans la région avec un risque sérieux de guerre.
Dès lors si la France, avec au moins le soutien de l’Allemagne qui a tant fait pour la sécurité d’Israël (notamment en lui permettant d’acquérir des sous-marins Dolphin porteurs d’ogives nucléaires), lançait une initiative, elle pourrait contribuer à apaiser les tensions dans une région encore uns fois au bord du gouffre.
En janvier de cette année, Paris avait organisé une conférence internationale où les 70 pays présents ont réaffirmé leur engagement en faveur de la solution à deux Etats. Il faudrait en reprendre les termes et aller plus loin avec cette fois une véritable procédure de suivi et d’évaluation internationale. En réinventant aussi, autant que possible, une autre forme de négociation qui, sans rien imposer aux parties en présence, ne les laisse pas dans un impossible et stérile huis-clos avec d’un côté les représentants d’une puissance occupante et de l’autre ceux d’un peuple sous occupation.
Et, en dernière instance, le moment venu, il conviendrait de reprendre la suggestion de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, envisageant la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France en cas d’échec de cette relance de négociations comme l’avaient aussi préconisé des résolutions votées par le Sénat et l’Assemblée nationale. Cette initiative permettrait de rappeler par un acte diplomatique fort :
1) le droit international et, tout particulièrement, le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force,
2) l’illégalité de la colonisation et de toute annexion de territoires occupés, y compris de Jérusalem-Est
3) le fait que la seule solution viable à cette confrontation passe par la création d’un Etat palestinien à côté de l’Etat d’Israël avec Jérusalem comme capitale des deux Etats.
Paris le 8 décembre 2017
Les signataires sont :
Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO et les membres du bureau : René Backmann, chroniqueur à Médiapart, Estelle Brack, économiste, trésorière de l’iReMMO, Monique Cerisier ben Guiga, sénatrice honoraire et vice-présidente de l’iReMMO, Agnès Levallois, consultante, spécialiste du Moyen-Orient, vice-présidente de l’iReMMO, Géraud de la Pradelle, juriste, professeur émérite des Universités, secrétaire général de l’iReMMO, Giovanna Tanzarella, responsable des Universités Populaires de l’iReMMO, Dominique Vidal, journaliste, historien et responsable des Midis de l’iReMMO.