Home » Publications » Édito » La Tunisie démocratique à l’épreuve des urnes

La Tunisie démocratique à l’épreuve des urnes

18 octobre 2019

Huit ans après le renversement du régime autoritaire en place, la Tunisie vient de vivre une nouvelle étape de sa transition vers une démocratie mature.

Les échéances électorales ouvertes par le premier tour de la présidentielle le 15 septembre suivi du deuxième tour le 13 octobre dernier (sans oublier les législatives du 6 octobre) ont montré un pays qui maitrise désormais parfaitement, dans le calme et la transparence, le processus électoral. Montrant encore une fois l’exemple, la Tunisie a su traverser cette nouvelle épreuve, sans violence dans les rues et dans le respect scrupuleux des règles constitutionnelles et des institutions du pays.

La démocratie tunisienne en sort confortée : c’est là le premier enseignement de cette période délicate.

En effet, des craintes étaient permises compte tenu de la situation difficile que connaît le pays en termes de stagnation de l’économie, de persistance des inégalités sociales et territoriales, de dégradation des conditions de vie et surtout de malaise des jeunes.

2019 : des élections atypiques.

A tout cela s’ajoute le contexte électoral atypique d’abord en raison du calendrier : les élections législatives ont eu lieu entre les deux tours des présidentielles qui se trouvaient de ce fait déconnectées de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale.

La participation des électeurs a été étudiée de près puisque les médias prévoyaient un taux record d’abstention, signe d’un désintérêt de l’opinion. Or le tableau est plus contrasté. En effet, si l’abstention a été élevée aux législatives, à savoir 58,7% du corps électoral, elle a été de 51,02% au 1er tour des présidentielles pour descendre au 2e tour à 43,20% (à savoir une abstention moindre qu’en 2011 qui avait atteint 48,03% lors de l’élection de l’Assemblée constituante en pleine effervescence révolutionnaire). Par ailleurs, la comparaison entre les différentes consultations est faussée par le fait que cette année la commission électorale a entrepris une campagne massive d’inscriptions sur les listes électorales qui a porté les votants de 5,5 millions à 7 millions en 2019. Le choix entre les deux candidats aux présidentielles a donc été plus mobilisateur que celui entre les 26 partis présents aux législatives.

Ce qui est apparu au grand jour est la crise des principales formations politiques, décrédibilisées pour avoir échoué sur la plupart des questions vitales pour l’avenir du pays. Cela a conduit à l’émiettement de la représentation politique (18 partis siègent au Parlement), à l’éparpillement de la famille dite moderniste en plusieurs formations, à la division de la gauche, et enfin à l’affaiblissement du groupe parlementaire de Nahda, passé de 89 sièges en 2011, à 69 sièges en 2014 et enfin à 52 sièges en 2019.

En rupture avec le passé, les élections présidentielles ont marqué un tournant, les deux candidats du 2e tour n’étant pas issus du monde politique. Leurs profils étaient radicalement différents : l’un, Nabil Karoui, venant du monde de l’entreprise et des médias, l’autre, Kaïs Saïed, du monde académique et de l’enseignement. Le premier, homme d’affaires flamboyant, a passé la période électorale en prison sous une accusation de fraude fiscale et de blanchiment et a été libéré quelques jours avant le scrutin. Le second, juriste connu pour sa sobriété et sa compétence, a choisi de ne pas mener campagne afin de ne pas être considéré comme déloyal. Le professeur austère a su réunir autour de sa candidature des soutiens venant d’horizons très divers : nationalistes arabes, gauchistes, anarchistes, mais aussi conservateurs et islamistes et surtout beaucoup de jeunes, fascinés par son honnêteté et son aspiration à la justice sociale.

Les prévisions donnaient un résultat très serré. Or Kaïs Saïed a été élu haut la main avec plus de 70% des voix.

Désormais, cet homme qui a veillé à ne pas faire de promesses électorales (à la différence de son concurrent) fait face au défi de réaliser son projet de démocratie directe par le bas, à partir des villes et des villages, qui a séduit beaucoup, de Tunisiennes et de Tunisiens.

Mais avec quel gouvernement ? Quelle majorité parlementaire ?

Le silence du président élu sur de nombreux sujets à l’agenda et sur les moyens de parvenir au changement de cap nécessaire alimente les craintes.

L’avenir proche est fait d’inconnues et les inquiétudes sont légitimes tant les problèmes sociaux et économiques attendent des solutions urgentes ; d’autant plus urgentes que les Tunisiens et les Tunisiennes sont devenus des citoyens exigeants.

On peut considérer qu’au regard de l’histoire, la Tunisie a franchi un pas de plus vers la consolidation de sa révolution de 2011 et avance positivement vers l’affirmation d’un « Etat de droit équitable … comme garant des libertés et droits individuels et collectifs » [1].

L’avenir reste néanmoins à construire.

Giovanna Tanzarella

[1] Manifeste de la Ville rêvé, rédigé dans le cadre des Ateliers de la ville rêvée du Festival Dream city, par un groupe de jeunes tunisiens et tunisiennes, accompagnés par Eric Corijn.

ÉDITO

ÉDITO

La Turquie aux avant-postes à Charm el-Cheikh

Alors qu’en Turquie le cours de l’euro est en passe de franchir le seuil fatidique des 50 livres, que l’inflation est repartie à la hausse et que l’on se demande qui sera le prochain maire CHP arrêté, Recep Tayyip Erdoğan s’emploie à faire oublier une conjoncture intérieure plutôt sombre, en faisant feu de tout bois sur le plan international. Grande bénéficiaire de la chute du régime de Bachar al-Assad à la fin de l’année 2024, la Turquie a joué, en effet, en cet automne 2025, un rôle remarqué dans la conclusion de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Gaza, en particulier lors du sommet de Charm el-Cheikh. Retour sur cette implication et ses perspectives…

Par Jean Marcou, professeur émérite à Sciences Po Grenoble-UGA

Lire la suite »

LES ANALYSES DE CONFLUENCES

LES ANALYSES DE CONFLUENCES

Il faut aller en Tunisie : notes d’un tour dans l’Extrême-Sud (juillet 2011)

François Pouillon, 27 août 2011
Invité en Tunisie pour participer à une école doctorale organisée par un laboratoire de sciences sociales de l’université de Tunis (Diraset), j’en ai saisi l’occasion pour faire, avec de jeunes collègues, un tour dans le Sud-Est, une région que je connaissais assez bien pour y avoir enquêté dans les années 1970. J’en ai rapporté ces impressions de voyage. Encore une fois, ce voyage a été précédé de nouvelles alarmistes . Mes amis de Tunis m’engagent à la prudence : des classes dangereuses aux coupeurs de route, il n’y a qu’un pas, et on signale des poches d’insécurité dans la région de Sidi Bou Zid, épicentre de la révolution démocratique. D’autres vont commenter : il semble que cela arrangerait bien le gouvernement provisoire, en facilitant un regroupement grégaire autour de la ligne qu’il incarne. Je ne suis pourtant pas descendu au Sud par cette route des steppes : pour aller au Sud-Est, mon objectif, la nouvelle autoroute de la côte nous conduit en quelques heures à Gabès.

Lire la suite »
Lettre d’information de l’iReMMO