L’accord sur le nucléaire iranien peut-il être sauvé?

À l’heure où ces lignes sont écrites, rien n’a encore été signé à Vienne entre l’Iran et ses partenaires pour ressusciter « le Plan d’action global commun » (JCPOA, selon son acronyme anglais) c’est-à-dire l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 avec l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume Uni et la Russie. Accord dont les États-Unis se sont retirés en 2018. Mais les signes en provenance ces derniers jours de Téhéran comme de Washington semblent indiquer que, malgré une défiance réciproque persistante, un accord serait proche dans la capitale autrichienne où les négociations sont en cours depuis avril 2021. Selon des sources diplomatiques à Vienne, le nouvel accord, comme le précédent prévoirait un gel du programme nucléaire iranien jusqu’à 2030, avec des clauses étendant certaines dispositions adoptées jusqu’à 2032.

Le JCPOA de 2015, on s’en souvient, offrait à la République islamique un allègement progressif des sanctions américaines et européennes en échange d’une limitation de son programme nucléaire, en particulier l’arrêt de l’enrichissement de son uranium, à 3,67% pendant 15 ans, sous contrôle de l’ONU, afin de garantir qu’elle ne cherchait pas à se doter de la bombe atomique. Mais trois ans plus tard, Donald Trump, influencé par son électorat évangéliste pro-Likoud et par son « ami » Benjamin Netanyahou avait décidé de quitter l’accord, jugé insuffisant pour protéger la sécurité d’Israël, et rétabli les sanctions économiques contre l’Iran, qui, en riposte, s’était progressivement affranchi des restrictions imposées à ses activités nucléaires. Téhéran aurait ainsi enrichi une partie de son stock d’uranium à 60% alors que le « seuil militaire » est à 90%.

Pour Netanyahou, la décision de Trump était une victoire politique et stratégique considérable. D’autant qu’il avait été, jusqu’au cœur du Congrès américain, l’adversaire le plus résolu et le plus bruyant de l’accord JCPOA, voulu par Obama. Depuis des années, il répétait en effet que l’Iran était sur le point de disposer de l’arme nucléaire, ce qui constituait à ses yeux une « menace existentielle » pour Israël. Assertion que contestaient la plupart des responsables du renseignement et de la sécurité. Non pas parce qu’ils étaient indifférents à cette menace. Mais parce qu’ils surveillaient le complexe nucléaire iranien depuis toujours et savaient exactement à quelle distance exacte du seuil dangereux pour Israël en était l’Iran.

Ils étaient déjà intervenus, d’ailleurs sous des formes diverses, pour maintenir ce seuil à bonne distance. Ce qui n’empêchait pas Netanyahou de multiplier les vraies et fausses fuites dans les médias, annonçant une prochaine frappe israélienne contre l’infrastructure nucléaire iranienne. « Ce discours guerrier sur l’Iran, c’est de la politique, pas de la stratégie » disait en 2002 Ephraim Halevy qui venait de quitter la direction du Mossad où il avait passé 30 ans à surveiller et combattre les ennemis d’Israël. En fait, pour Netanyahou, évoquer la menace de la bombe iranienne était une manière de détourner l’attention de la question palestinienne, recluse dans un statu quo dont elle n’est toujours pas sortie.

La mobilisation américano-israélienne contre l’Iran avait même semblé un temps en mesure de bouleverser profondément l’équilibre stratégique au Moyen-Orient : séduits par cette perspective, nombre de capitales arabes, notamment parmi les monarchies du Golfe qui dénonçaient la volonté d’hégémonie régionale de Téhéran s’étaient ralliées à cette nouvelle alliance, oubliant tout à coup leurs préventions historiques à l’égard d’Israël et leurs proclamations de solidarité avec la cause des Palestiniens.

Cette page semble désormais tournée.

Paradoxalement, c’est au moment où l’Iran augmente sa production d’uranium enrichi et se dote d’un arsenal conventionnel moderne et performant, à priori menaçant, que ses voisins semblent tout à coup le juger plus fréquentable, ou moins menaçant.

La décision prise par Joe Biden de revenir dans le JCPOA, le départ du pouvoir de Netanyahou, mais aussi le développement et la modernisation par l’Iran de son arsenal d’armes conventionnelles, dont certaines – missiles de précision, drones – ont été mises à la disposition de ses alliés dans la région, depuis les combattants houtis du Yémen jusqu’au Hezbollah libanais en passant par diverses milices syriennes ou irakiennes, semblent avoir changé la donne.

Comme si les innovations stratégiques régionales lancées et encouragées par Trump n’avaient pas vocation à survivre à leur inspirateur, la coalition anti-Iran qui réunissait les monarchies du Golfe et une poignée d’autres pays arabes autour d’Israël semble en tout cas avoir vécu. Paradoxalement, c’est au moment où l’Iran augmente sa production d’uranium enrichi et se dote d’un arsenal conventionnel moderne et performant, à priori menaçant, que ses voisins semblent tout à coup le juger plus fréquentable, ou moins menaçant. Comme si l’évolution du rapport de forces militaires avait, en quelques années, rendu toutes ses chances à la diplomatie. La quasi-totalité des régimes arabes sunnites de la région qui s’étaient ralliées à la coalition anti-Iran ont désormais renoué leurs relations commerciales et/ou diplomatiques avec Téhéran et ne manifestent pas d’hostilité à la perspective d’une réactivation du JCPOA.

C’est aussi le moment qu’a choisi en Israël l’ancien Premier ministre et ministre de la Défense Ehoud Barak pour dénoncer dans une tribune publiée par le quotidien Yediot Aharonot, l’échec de la politique de Benjamin Netanyahu et Donald Trump. Il reproche ainsi à Netanyahou d’avoir été à ce point aveuglé par sa confiance dans l’alliance avec Trump qu’il a négligé de préparer un plan B pour le cas où Téhéran s’approcherait trop de l’arme atomique. Et il accuse l’ancien Premier ministre de n’avoir rien compris à la nature profonde et au fonctionnement du régime iranien.

« L’Iran cherche à obtenir des armes nucléaires non pas pour les utiliser contre les Etats-Unis, Israël ou l’un de ses voisins, mais pour garantir l’avenir de son régime et son indépendance d’action, affirme ainsi Barak. Les ayatollahs iraniens sont des idéologues extrémistes mais ils ne sont pas fous. Ils veulent consolider leur hégémonie régionale, pas ramener leur nation à l’âge de pierre.

Un Iran au seuil du nucléaire, c’est-à-dire immunisé contre une agression militaire conventionnelle, représenterait un changement capital, vers le pire pour ce qui concerne Israël, mais ce ne serait pas une menace existentielle immédiate. Le véritable danger immédiat pour nous est le déclenchement d’une course régionale au nucléaire. Si l’Iran atteint la capacité nucléaire, la Turquie sera tentée de suivre, puis l’Egypte et l’Arabie saoudite. Avant dix ans, toutes les dictatures de la planète auront le même objectif. Ce qui signifie qu’un engin nucléaire finira par tomber dans les mains de terroristes et ne menacera pas seulement Israël mais le monde entier. C’est pourquoi nous devons nous préparer aussi à ce scénario. La bravade et la rhétorique vide ne constituent pas une bonne réponse. Elles ne feront que nous affaiblir et réduire notre aptitude à l’auto-défense. »

Successeur de Netanyahou, Naftali Bennett, qui n’est pas moins hostile que le chef du Likoud à l’accès de l’Iran au nucléaire, semble disposé à faire confiance à Washington pour prolonger les garanties offertes par l’accord au-delà de 2030, tout en indiquant qu’Israël reste prêt à « assurer par lui-même la sécurité de ses citoyens. »

C’est donc dans un contexte stratégique nouveau que les négociations de Vienne ont repris, il y a deux semaines, après une courte pause, pour aboutir à une situation où l’hypothèse d’une conclusion positive devient crédible. Si crédible même qu’à Washington, les adversaires Républicains d’un retour à l’accord et quelques démocrates ralliés à leur cause commencent à donner de la voix et menacent Biden de lui faire payer ce choix politique lors des élections de mi-mandat, en novembre.

Les prochaines semaines diront sans doute si un accord a été trouvé. Et surtout quelles concessions ont dû faire les uns et les autres pour y parvenir. C’est-à-dire ce qu’il reste du compromis de 2015.

René Backmann

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