L’État omeyyade (661-750) a eu une influence profonde et durable sur l’histoire du monde islamique. Sa domination s’étendait de l’Andalousie à l’Asie centrale, consolidant son pouvoir par des conquêtes militaires et des alliances tribales stratégiques. Cependant, sa politique discriminatoire envers les non-Arabes a engendré de nombreuses révoltes internes. Le calife omeyyade a cherché à renforcer l’identité arabe comme pilier de son autorité, une stratégie que le grand historien musulman Al-Mas‘udi évoque dans son ouvrage Muruj al-Dhahab, mettant en lumière les fractures sociales et politiques sous-jacentes au sein de ce système.
Avec la chute de l’État omeyyade en 750, le califat abbasside a inauguré une nouvelle ère, marquée par un renouveau intellectuel et culturel où la priorité était accordée aux sciences, à la philosophie et aux arts. Les Abbassides ont transféré leur capitale de Damas à Bagdad, transformant cette ville en un centre mondial du savoir. Contrairement à la politique centralisatrice et excluante des Omeyyades, les Abbassides ont adopté un modèle plus inclusif, attirant ainsi diverses catégories sociales et ethniques sous leur domination.
L’héritage omeyyade et abbasside, avec ses mémoires collectives, continue d’influencer de manière significative les relations contemporaines, notamment entre l’Irak et l’Arabie saoudite. L’Irak, berceau de l’État abbasside, incarne une vision plus inclusive et accueillante, considéré comme une société plurielle, malgré les tensions internes qui ont émergé à certaines périodes de son histoire. En revanche, l’Arabie saoudite, qui porte certains aspects de l’identité omeyyade, promeut une vision plus homogène et unitaire, basée sur l’unité religieuse et ethnique. Ces divergences historiques et culturelles nourrissent les profondes divisions entre les deux nations dans les contextes contemporains, exacerbées par les rivalités géopolitiques et identitaires. Comme l’a dit Hegel : “La mémoire collective est ce qui façonne l’esprit vivant des peuples”. Par conséquent, les relations irako-saoudiennes sont façonnées par cette mémoire historique, influençant les orientations identitaires et les tensions géopolitiques actuelles entre les deux pays.
Pour comprendre les tensions actuelles, il est crucial d’étudier le conflit historique entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Comme l’a noté Machiavel, “La capacité de lire l’histoire est la capacité de bâtir l’avenir”. Cette citation souligne l’importance de l’analyse historique pour comprendre les compétitions modernes, en particulier entre l’Iran, spirituellement lié à Damas, et l’Arabie saoudite, qui cherche à raviver la domination sunnite omeyyade. Le soutien saoudien aux forces opposées au régime alaouite en Syrie, par exemple, reflète le désir de réactiver les idéaux du passé omeyyade.
Les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite trouvent également leur origine dans des mémoires historiques associées à des événements clés, comme l’Aïd al-Ghadir, qui célèbre l’autorité de l’Imam Ali ibn Abi Talib. Cet événement soulève des questions de légitimité des califes omeyyades, plaçant Riyad en opposition avec un héritage intellectuel qui conteste sa vision du sunnisme. Comme l’a écrit Ibn Al-Athir : “La mémoire humaine ne peut effacer ce que les événements ont gravé dans les âmes”. Ces commémorations ne sont pas de simples actes de souvenir ; elles ravivent les anciennes tensions, alimentant les divisions géopolitiques actuelles.
Le conflit entre l’Iran, l’Irak et l’Arabie saoudite repose sur un affrontement idéologique remontant aux premiers conflits de pouvoir dans l’Islam, tels que l’incident de Ghadir Khumm, relaté dans les recueils de Sahih al-Bukhari et Sahih Muslim. La politique discriminatoire des Omeyyades envers certaines tribus arabes a conduit à des révoltes qui ont contribué à leur chute. Comme le souligne al-Tabari : “L’injustice conduit toujours à la chute des royaumes”, principe qui reflète la fragilité des empires fondés sur des bases inéquitables. En revanche, les Abbassides ont su tirer parti de la diversité culturelle et ethnique pour consolider leur pouvoir, adoptant une approche plus inclusive et symbolique de la gouvernance, soutenue par des alliances avec diverses communautés religieuses et ethniques.
L’Irak, avec son histoire longue et complexe de pluralisme social et ethnique, représente ce modèle diversifié qui est célébré malgré les défis internes. Bien que cette pluralité puisse parfois conduire à des tensions, elle n’a pas été condamnée dans la même mesure qu’en Arabie saoudite, où une vision plus homogène de l’identité est imposée. En Arabie saoudite, l’unité religieuse et culturelle est perçue comme un élément stratégique, tandis qu’en Irak, la pluralité est célébrée comme une richesse contribuant à la résilience de la société. Comme le disait Ibn Abi al-Hadid : “L’Irak est le cœur battant de la nation”.
L’Irak représente un carrefour de civilisations, où coexistent diverses tribus, religions et ethnies. Bien que cette diversité puisse générer des tensions internes, sa force est perçue comme une source majeure de résilience sociale, contrairement à l’Arabie saoudite, où l’unité religieuse et culturelle prévaut. Ce contraste entre les deux pays résulte de mémoires collectives distinctes, contribuant à façonner les relations modernes et à accentuer les tensions géopolitiques dans la région du Moyen-Orient.
Quant à l’Iran, bien que république islamique gouvernée par un régime autoritaire, elle n’a pas criminalisé la diversité religieuse comme l’a fait l’Arabie saoudite. L’Iran permet la coexistence de communautés religieuses diverses, bien qu’il impose des restrictions sur les libertés individuelles. Cela crée un paradoxe : la diversité religieuse est autorisée, mais les libertés personnelles restent limitées.
En revanche, l’Arabie saoudite applique une politique stricte en matière d’unité religieuse et ethnique, refusant toute forme de pluralité culturelle ou religieuse. Cette vision s’impose dans tous les domaines, y compris les rituels religieux, ce qui reflète une restriction sévère de toute forme de différence. Bien que le régime saoudien accorde une liberté personnelle, celle-ci reste très encadrée et ne tolère aucune déviation par rapport à la norme dominante.
L’Irak, quant à lui, se distingue par un modèle de gouvernance qui, bien qu’occasionnellement instable, encourage la coexistence entre diverses groupes ethniques et religieux. Bien que cette diversité soit parfois exploitée politiquement par des forces internes et externes, comme ce fut le cas après 2003 avec l’invasion américaine et la montée de Daesh, la société irakienne continue de valoriser cette pluralité comme un bien vital. Cette dynamique, marquée par des interventions extérieures, a exacerbé les tensions sectaires et menacé la stabilité de cette diversité. Après 2003, les chiites et les Kurdes ont cherché à se venger des Sunnites, ce qui a intensifié les divisions internes, et les interventions extérieures, comme le soutien iranien, ont été l’une des causes principales.
Ainsi, l’Irak représente un modèle où la pluralité est perçue comme un pilier fondamental de son identité, bien que le pouvoir central transforme souvent ce modèle en facteur d’instabilité. Bien que la pluralité soit une richesse sociale pour l’Irak, elle devient parfois une source de division interne, en raison d’une mauvaise gestion de la diversité et de son exploitation à des fins politiques étroites. Ces tensions apparaissent clairement dans les bouleversements politiques du pays après 2003, qui ont été alimentés par des conflits sectaires et des interventions extérieures, transformant la pluralité d’un facteur de stabilité à une source ininterrompue de crises.
Les différences dans la gestion de la diversité religieuse et ethnique entre l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Irak révèlent des visions sociales profondément divergentes. Alors que l’Iran et l’Irak tolèrent la diversité religieuse, cette pluralité reste fragile, marquée par des tensions internes et des influences extérieures. En revanche, l’Arabie saoudite impose une uniformité religieuse et culturelle stricte, excluant toute forme de pluralité. Ce contraste reflète un héritage historique remontant aux premiers conflits entre Omeyyades et Abbassides, un héritage qui continue de façonner les confrontations idéologiques et géopolitiques au Moyen-Orient.
de Ahmad Al Rubaye
Étudiant en Master 2 d’Histoire politique sur le Moyen-Orient et l’Afrique-Sorbonne Université. Étudiant en Master 2 des Identités et cultures transfrontalières-Université Paris 8.
Bibliographie
Bernard Lewis, Le langage politique de l’islam (University of Chicago Press, 1988)
Ce livre explore l’influence de l’Islam sur la politique dans le monde islamique et comment les principes religieux ont façonné la pensée politique.
Thierry Bianquis, Les omeyyades et les abbassides: la grande dispute (Gallimard, 1995)
Cet ouvrage analyse le conflit historique entre les Omeyyades et les Abbassides, en mettant l’accent sur les dimensions politiques et religieuses de cette rivalité dans le contexte historique islamique.
Ewan Anderson, La géopolitique du Moyen-Orient (Routledge, 2000)
Ce livre examine l’importance géopolitique du Moyen-Orient et le rôle crucial des puissances internes et externes dans la configuration politique de la région.
Edward Said, L’orientalisme (Pantheon Books,1978)
Edward Said analyse la manière dont l’Orient a été représenté dans la culture occidentale, et comment cette perception a contribué à la construction du discours colonial.
Joseph Schacht, Introduction à la loi Islamique: évolution de la jurisprudence à travers les écoles (Clarendon Press, 1964)
Ce livre académique retrace l’évolution de la jurisprudence islamique et présente les principales écoles de pensée en droit islamique.
Natana J. DeLong-Bas, Arabie saoudite: religion, politique et la tradition wahhabite (Oxford University Press, 2004)
Cet ouvrage aborde l’histoire de l’Arabie saoudite, l’essor du wahhabisme et son influence sur la politique et la culture saoudiennes.