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Législatives de 2026: le dilemme stratégique des Forces Libanaises

Le 30 mai 2025, l’Orient-Le Jour titrait « Comment Samir Geagea est devenu le chef politique le plus puissant du Liban »[1]. Bien que discutable, ce titre est le reflet d’un rapport de force politique mouvant depuis le 7 octobre 2023. Dès lors, l’analyse politique au Liban se focalise sur la volonté du gouvernement de désarmer le Hezbollah. Or, Samir Geagea et son parti des Forces libanaises (FL) jouent un rôle moteur dans les évolutions en cours, dont la ligne dure envers le Parti de Dieu diffère de la prudence préconisée par le gouvernement.

Cette centralité politique ne se limite pas à une posture idéologique, mais s’est traduite concrètement dans les équilibres institutionnels et électoraux. En effet, les FL ont disposé de la plus large représentation partisane au sein du conseil des ministres. Dans le système libanais, où le gouvernement s’efforce de respecter les rapports de forces au sein de la Chambre des députés afin d’en obtenir la confiance, cette présence confirme leur influence. Par la suite, les municipales de mai 2025 ont conforté cette dynamique par des victoires dans des localités stratégiques.

Ce scrutin favorable constitue un prélude aux élections législatives de 2026, susceptibles de confirmer la popularité du parti au sein de la Chambre des députés. Ainsi, les FL, perçues comme l’opposition la plus ferme au Hezbollah, se retrouvent dans une phase charnière de leur histoire.

L’entrée dans une nouvelle phase pour les FL

Les FL, issues du parti Kataeb, émergent en 1976 en tant que milice chrétienne au cœur de la guerre civile libanaise. Samir Geagea y construit progressivement sa légitimité militaire et politique, jusqu’à s’imposer comme l’un des acteurs principaux du pays à la fin du conflit. Son emprisonnement entre 1994 et 2005, interprété par ses partisans comme la conséquence de son refus de se soumettre à l’influence syrienne, a contribué à renforcer son image de représentant d’une ligne politique singulière.

Seul chef de guerre condamné pendant la guerre civile, le leader des FL est libéré lors du retrait de l’armée syrienne et tire de cette période un capital politique qui facilite sa réinsertion dans le paysage libanais. Bien qu’incarnant une droite chrétienne identitaire, il atténue graduellement les symboles religieux des FL, dont la croix biseautée, afin de s’intégrer dans l’alliance transcommunautaire du 14 mars 2005[2], opposée à l’influence syrienne.

Cependant, la formation de ce front hétérogène a été contrebalancée par le rapprochement du Courant patriotique libre (CPL), principal rival chrétien des FL, avec le Hezbollah en 2006. Puis, après une instabilité politique et des affrontements militaires entre des représentants du 14 mars et le Hezbollah, ce dernier et son camp obtiennent une minorité de blocage, par l’accord de Doha en 2008, qui lui permet d’imposer ses volontés sur la formation des gouvernements[3]. Cet avantage stratégique cantonne ainsi les FL à l’opposition, malgré des percées électorales significatives. Pour autant, ceci ne les a pas empêchés d’influencer les rapports de forces politiques.

Dans un contexte de blocage sur l’élection présidentielle en 2016, Saad Hariri, figure principale du 14 mars, accorde son soutien au candidat proche du Hezbollah et de la Syrie, Sleiman Frangie. Pour éviter un isolement politique, Samir Geagea soutient en réaction Michel Aoun, autre candidat proche du Hezbollah, qui accèdera à la présidence[4]. L’accord de Maraab, actant cette alliance, a permis au parti de bénéficier de quatre ministres au sein du gouvernement de Najib Mikati en 2016. Autrefois une milice, cette rupture idéologique confirme la transformation des FL en un parti de gouvernement, prêt à faire des compromis pour sa survie politique, au prix d’un décalage avec son discours parfois radical. Cependant, ces compromis n’enterrent pas l’alternative politique que souhaite incarner le parti.

Lors de la «Thawra» en 2019, Samir Geagea appelle à la démission du gouvernement et tente de capitaliser sur la dynamique contestataire du soulèvement populaire. Face à l’impopularité croissante du Hezbollah et du CPL, mouvement de Michel Aoun, les FL concrétisent une percée électorale lors des législatives de 2022 en devenant le groupe le plus largement représenté avec 19 sièges, bien que la coalition pro-Hezbollah reste majoritaire. Ceci lui permet d’imposer un contre-blocage à l’élection présidentielle à celui du Hezbollah, de 2022 jusqu’à l’élection de Joseph Aoun le 8 janvier 2025[5].

À partir de cette séquence et du contexte régional marqué par la chute de la Syrie d’al-Assad, le leader des FL conceptualise une nouvelle phase dont il se présente comme l’incarnation. Le 23 mars 2025 lors d’une célébration organisée à Maarab, Samir Geagea a déclaré « nous avons tourné la page du passé, avec toutes ses tragédies et ses malheurs, et avons commencé une nouvelle phase »[6]. Celle-ci se structure par l’édification d’un État fort, supposément neutre vis-à-vis des conflits régionaux et par l’affaiblissement manifeste de ses opposants politiques. Elle s’érige face à celle en dominée par le Hezbollah, que le leader chrétien accuse d’avoir entraîné le Liban dans une guerre qu’il n’a pas voulu après le 7 octobre au service des intérêts iraniens. Il appelle ainsi à la « désintégration »[7] du CPL, dans une perspective politique, et se positionne comme l’acteur le plus engagé dans le processus de désarmement de la milice chiite.

Une position ambivalente, entre participation au gouvernement et incarnation de l’opposition

Bien que les FL aient apporté leur soutien au gouvernement et y soient représentées, le dossier du désarmement du Hezbollah témoigne d’une volonté d’incarner une ligne politique indépendante. En effet, s’aligner totalement sur l’exécutif implique de partager ses victoires et défaites en vue des législatives de 2026. Dans cette perspective, Samir Geagea mise sur une participation active au gouvernement pour en retirer des gains politiques, mais se distancie ponctuellement de l’exécutif pour incarner une ligne politique différente.

Ainsi, dès mars 2025 et le premier conseil des ministres, les ministres FL ont exigé un calendrier clair pour le désarmement du Hezbollah et Geagea fixait un délai de six mois en avril 2025[8].  Par la suite, le mouvement a multiplié les menaces de quitter le gouvernement, mettant en péril son maintien, pour protester contre son approche vis-à-vis de ce même dossier sensible. En juillet 2025, lors de l’épisode du «Papier Barrack», Samir Geagea critique l’accaparement du président et premier ministre sur la réponse à apporter à ce document[9] et souhaite que ses ministres puissent participer aux négociations. Le « Papier Barrack », du nom du diplomate américain qui l’a présenté, constitue un plan de désarmement du Hezbollah et est perçu comme une pression extérieure exercée sur le gouvernement.

L’autre pan de la stratégie des FL est la volonté d’incarner ces mêmes pressions envers le Président Aoun et le Premier ministre Salam. Par le biais de Youssef Rajji, ministre des Affaires étrangères et affilié au parti chrétien, ils détiennent une influence majeure et accompagnent d’ailleurs le rapprochement du Liban avec les pays arabes. Ce pivot concerne particulièrement l’Arabie saoudite, alliée de longue date des FL, dont l’implication aux côtés des États-Unis contre les armes du Hezbollah est particulièrement tangible. Samir Geagea considère d’ailleurs que ce n’est qu’avec l’aide de Riyad et Washington que le Liban pourra se prémunir des attaques israéliennes[10]. Ce positionnement atteste de sa volonté de s’en remettre à ces puissances étrangères, plutôt que se ranger derrière l’État.

Les limites de la stratégie des FL pour 2026

Cette pression exercée sur l’exécutif, conjointement aux puissances étrangères, représente l’une des faiblesses de la stratégie des FL pour 2026. Lors de la remise du «papier Barrack», Samir Geagea a misé sur la radicalisation de l’approche de Washington. Or, l’aggravation de son discours n’a pas trouvé de relais significatifs dans le paysage politique, tandis que le gouvernement faisait le choix d’une approche plus équilibrée. Bien que la réponse de ce dernier s’éloignât des attentes américaines, cette dernière suffit à convaincre l’émissaire et a porté préjudice à la position des FL.

Un autre élément fragilisant le discours ferme des FL est son inscription dans la continuité des pratiques politiques libanaises. Lors des municipales de mai 2025, les rapports de forces locaux ont de nouveau produit des alliances hétérogènes, souvent perçues comme contradictoires. À Beyrouth, la redondante «parité islamo-chrétienne» a de nouveau conduit à la formation d’une liste unitaire entre les grands partis, sous la bannière « Beyrouth nous unit ». Face à un rapport démographique défavorable dans la capitale pour les chrétiens, cette pratique visait à assurer une représentation équitable de ces derniers au sein du conseil municipal. Paradoxalement, les FL se retrouvent ainsi à faire campagne aux côtés du Hezbollah. Ils affirment toutefois que la parité était l’enjeu de cette liste et qu’aucun contact n’avait été pris avec le parti chiite. Également, à Koura, une liste commune avec le Parti socialiste nationaliste syrien, pro al Assad, est constituée pour concurrencer le CPL. Samir Geagea répond aux critiques en déclarant que la liste commune a été composée avec des individualités dont les liens avec le parti proche du Hezbollah restent relatifs[11]. Ces contradictions sont cependant structurelles au système électoral où les partis s’allient à des figures locales pour asseoir leur présence et concurrencer leurs rivaux sur le plan national.

Enfin, la question des alliances politiques est l’enjeu principal des FL pour 2026 et au-delà. Samir Geagea, qui n’a jamais caché ses ambitions présidentielles, est l’un des politiciens les plus polarisants au Liban, dont le rôle lors de la guerre civile a forgé sa popularité tout en accentuant les critiques à son égard. La polarisation que suscite le leader des FL et de son parti les empêche d’apparaître comme une force de consensus. Alors que la présidence libanaise a récemment été incarnée par des personnalités plutôt modérées et non partisanes, excepté Michel Aoun, le leader des FL s’efforce de constituer une coalition plus large. Mais face à des voix comme celles de Walid Joumblatt, autre acteur du 14 mars, qui prône « une prise en compte des sensibilités politiques des chiites » et parle d’un «matraquage»[12] au sujet du désarmement, l’approche maximaliste de Geagea l’empêche d’être rassembleur. D’autant qu’une partie des Libanais craint un nouveau conflit interne avec le Hezbollah.

La montée en puissance des FL reste à concrétiser lors des législatives de 2026, où la répartition des sièges déterminera leur influence effective dans le système libanais. Le parti se confronte néanmoins à ses limites structurelles: sa force politique repose sur son opposition, l’empêchant de se présenter comme une figure consensuelle. Cette ambivalence pourrait restreindre la traduction de son poids communautaire et local en leadership national.

Laurent Lahoud
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CONTRIBUTIONS

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