Et si la France reconnaissait à son tour l’État de Palestine ? Alors que 135 pays ont déjà fait ce choix, une résolution sur ce sujet est discutée à l’Assemblée nationale, vendredi 28 novembre. Même si ce vote n’a aucune portée juridique, il est très important.
Nos parlementaires s’apprêtent à débattre d’une résolution portant sur la reconnaissance par la France de l’Etat de Palestine; même s’il n’ a aucune portée juridique puisque seul le pouvoir exécutif est habilité à en décider, ce vote est très important.
On sait que 135 Etats ont déjà fait ce choix mais ce n’est pas seulement une question de nombre… Ce chiffre renvoie à une réalité géopolitique fondamentale : le monde entier (Amérique latine, Afrique, Asie, pays arabes, monde musulman, pays de l’ex-bloc communiste…) a reconnu l’Etat de Palestine à l’exception de l’Occident et de ses alliés historiques comme le Japon ou la Corée du Sud.
Cette réticence occidentale se comprend très bien dès lors que l’on connait l’histoire d’Israël indissociablement liée à celle de l’Occident dont il est, en définitive, partie intégrante. C’est la Grande-Bretagne qui a permis sa création avec la Déclaration Balfour de 1917 puis avec le mandat qu’elle a exercé en Palestine; ses fondateurs tels David ben Gourion et Haim Weizman, sont nés en Europe. Et, c’est en Europe qu’a eu lieu le génocide du peuple juif… L’Occident est donc historiquement attaché à Israël, à son peuple, à sa culture et, bien entendu, à sa sécurité.
Pour autant ce soutien évidemment légitime ne doit pas se faire ou plutôt ne doit plus se faire de manière aveugle en refusant de voir que le gouvernement d’Israël est arcboutés sur un ultra nationalisme qui le conduit à récuser toute idée d’Etat palestinien, à écarter toute perspective sérieuse de négociations avec les Palestiniens, à développer une colonisation systématique partout en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et, en définitive, à contraindre tout un peuple -de plus de quatre millions de personnes- de continuer à vivre sous une occupation militaire qui dure depuis 1967…
Par rapport à ce contexte historique, la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France auquel le vote de nos parlementaires pourrait ouvrir la voie est un acte majeur pour au moins trois raisons.
- Il replace le droit international au coeur d’un règlement politique global
On ne peut s’extraire de cette confrontation que par un retour au droit international qui est la mise en oeuvre de principes essentiels fondés sur des valeurs partagées par les membres de la communauté internationale… Et tout particulièrement : l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force rappelée notamment dans la résolution 242 du Conseil de sécurité (novembre 1967) et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (rappelé dans de nombreuses résolutions de l’ONU).
Reconnaître l’ Etat de Palestine, c’est rappeler avec force qu’aucun Etat ne doit violer ces règles fondamentales. Une occupation n’est en aucune façon translative de souveraineté : ce n’est pas parce qu’un Etat occupe un territoire qu’il peut y exercer sa souveraineté; la colonisation y est illégale tout comme les sont les annexions unilatérales de Jérusalem-Est et du Golan. Et d’ailleurs aucun Etat au monde ne les a acceptées et il n’y a donc aucune ambassade à Jérusalem… Reconnaître l’Etat de Palestine, c’est aussi définitivement dépassé le faux débat encore entretenu sur l’applicabilité de la IVème convention de Genève de 1949 aux territoires palestiniens au prétexte qu’ils ne seraient pas constitutifs d’un Etat…
- Il peut contribuer à transformer les termes de nouvelles négociations
Au lieu d’avoir des négociations supposées aboutir à un Etat palestinien comme cela a été tenté, en vain, depuis Oslo en 1993, on renverserait le processus en prenant comme point de départ l’existence juridique de l’Etat de Palestine, dès lors qu’il serait internationalement reconnu, surtout s’il est de surcroît accepté comme membre à part entière des Nations unies. A partir de là, comme le dit très justement Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël à Paris : «Une fois que l’État palestinien sera proclamé, il faudra négocier sa mise au monde, ses frontières, sa configuration, son caractère…Sans une pression politique extérieure très forte pour tracer des frontières claires, définir des paramètres et forcer les parties à les endosser, il n’y aura pas de paix dans cette région du monde». Et il faut ajouter évidemment toutes les autres questions majeures qui font la trame de ce conflit : Jérusalem, les réfugiés et, bien entendu, la sécurité d’Israël.
Ces négociations devront donc être conçues autrement avec une véritable implication de la communauté internationale au sein de laquelle l’Union européenne devra jouer un rôle actif. Et il semble que s’esquisse enfin cette volonté si l’on en croit les fermes déclarations de Madame Morgherini ainsi que les votes des parlements suédois, britannique, espagnol et bientôt français…
En d’autres termes, si la reconnaissance de l’Etat de Palestine est un acte aujourd’hui nécessaire, il demeurera insuffisant s’il n’est pas suivi d’une initiative internationale forte et déterminée. Laurent Fabius semble en être convaincu lorsqu’il a dit cet été au moment de la guerre à Gaza qu’il fallait «imposer un règlement aux parties».
3. Un Etat palestinien est la meilleure garantie de sécurité d’Israël
Sur le plan politique, comme le rappelait tout récemment encore Elie Barnavi : «Sans État palestinien à nos côtés, c’est l’avenir même d’Israël qui est compromis.» Cette opinion est largement partagée en Israël et dans le monde. Le statu quo actuel est intenable et, comme l’affirme le texte de la résolution proposée au vote de l’Assemblée nationale : «il est dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties». Comme la situation demeure bloquée, un véritable système d’apartheid a été mis en place avec des discriminations structurelles dans tous les domaines : libertés fondamentales, infrastructure, logements… Et tout ceci n’est possible que par la toute puissance de l’armée israélienne qui, en tant qu’armée d’occupation, règne en maître dans les territoires. C’est l’absolu contraire de la légitimité. Benjamin Netanyahou ne cesse d’invoquer la sécurité d’Israël sans vouloir admettre un instant qu’elle ne peut durablement être acquise que par une paix juste, comme ce fut le cas avec l’Egypte et la Jordanie. Vouloir imposer la sécurité d’Israël sur l’insécurité absolue des Palestiniens est un non-sens historique lourd de conséquences à terme… C’est la vocation de la France d’assumer un rôle majeur dans cette recherche de nouvelles perspectives pour une paix juste entre Israéliens et Palestiniens
Dans L’OBS,
Novembre 2014
Jean-Paul Chagnollaud,
Professeur des universités,
Directeur de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (iReMMO)