L’idée, avancée par le président Hollande, de demander aux Israéliens et aux Palestiniens de reprendre des négociations directes sans conditions, semble a priori une proposition pertinente puisqu’elle implique la volonté de laisser aux parties en présence toute latitude pour régler un conflit qui les oppose depuis si longtemps. Le problème est que le rapport de forces inhérent à cette confrontation rend cette approche totalement illusoire.

Les négociations commencées à Madrid en 1991 puis à Oslo en 1993 n’ont rien donné de décisif sauf un retrait de l’armée israélienne des grandes villes avec un découpage de l’espace en trois zones qui fragmente les Territoires palestiniens et laisse à Israël tous les pouvoirs sur le terrain… tandis que Jérusalem-Est a été illégalement annexée.Par la suite, les chances de succès d’une négociation bilatérale se sont encore réduites.

A partir de 2001, les attentats palestiniens en Israël et la terrible répression conduite par Ariel Sharon ont brisé, sans doute pour longtemps, toute relation entre les deux sociétés. C’est de cette période que datent l’effondrement du camp de la paix en Israël et la radicalisation à droite de la société israélienne. Aux législatives de 1992, avec Yitzhak Rabin, le Parti travailliste recueillait 44 sièges (sur les 120 que compte la Knesset) ; il n’en avait plus que 19 en 2006 et 13 en 2009. A l’inverse, le parti d’extrême droite, Israël Beitenu, passait de 4 sièges en 1999 à 15 en 2009…

Benjamin Nétanyahou et Avigdor Liberman demeurent plus que jamais des adversaires résolus de toute véritable concession à l’égard des Palestiniens. Pas question pour eux de discuter du problème des réfugiés, ni du statut de Jérusalem qu’ils considèrent comme la capitale unifiée d’Israël. Peut-être sont-ils prêts à parler du statut de la Cisjordanie, mais à la double condition d’annexer les grandes colonies de peuplement et de conserver le contrôle de la vallée du Jourdain. Au mieux, cette approche conduirait à un «Etat» palestinien composé de trois cantons. Scénario inacceptable pour les Palestiniens.

L’élément majeur qui pourrait pousser les leaders de la droite et de l’extrême droite à se résigner à la création d’un Etat palestinien tient aux perspectives démographiques. On peut estimer que la parité démographique entre Israéliens juifs et Palestiniens (d’Israël et des Territoires y compris Jérusalem-Est) est pratiquement atteinte. En 2011, on recensait environ 5,9 millions d’Israéliens juifs et 5,7 millions de Palestiniens (4,2 en Cisjordanie et à Gaza + 1,5 en Israël). Dans de telles conditions, pour sortir du dilemme bien connu, Etat juif et démocratie, il vaut mieux un Etat palestinien…

Désormais, on peut penser que cette problématique se pose en termes différents pour deux raisons.

Une réconciliation entre le Fatah et le Hamas paraît de plus en plus improbable. Cela signifie que la coupure territoriale entre la Cisjordanie et Gaza pourrait s’installer durablement. Pour le gouvernement Nétanyahou, cette situation est un atout stratégique majeur car, avec le blocus de Gaza et cette cassure territoriale et politique, l’équation démographique change : 1,5 million de Palestiniens pourrait être hors jeu.

L’autre raison est la montée des idées d’extrême droite dans la société juive israélienne. Un sondage paru dans Haaretz du 23 octobre montre qu’il n’y a plus d’opposition consistante dans cette société à ce que soit consolidé un système discriminatoire à l’encontre des Palestiniens dans des territoires qui seraient annexés par Israël. Une majorité de citoyens juifs israéliens pense que, dans cette hypothèse, on ne devrait pas donner le droit de vote aux Palestiniens. Un tiers souhaite même qu’on retire leur droit de vote aux Palestiniens d’Israël.

Commentant ces résultats, Zeev Sternhell écrivait : «Au terme d’un effort idéologique poursuivi sur une génération, la droite a réussi à imposer ses valeurs à toute la société… Si on annexait les Territoires, on laisserait les Arabes sans statut… Ils ne seraient plus que de la poussière d’humanité sans identité ni droits.»

Enfin la colonisation, entreprise unilatérale par excellence, se poursuit à un rythme inouï en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Et plus personne en Occident ne proteste sauf à considérer que la rédaction d’un bref communiqué officiel que personne ne lit constitue une protestation internationale d’envergure ! Résultat : 100 000 colons en Cisjordanie en 1993 ; plus de 300 000 aujourd’hui et plus de 500 000 en comptant Jérusalem-Est. Autant dire que la situation sur le terrain est de plus en plus intenable pour les Palestiniens. La fragmentation territoriale initiée à Oslo, et présentée à ses débuts comme provisoire, s’est révélé être un piège : ils n’ont plus qu’une petite partie du territoire (les 18% de la zone A), tandis que les Israéliens sont maîtres absolus de la zone C (plus de 60%) et, dans une large mesure, de la zone B (22%).

Des négociations sont nécessaires mais pour qu’elles aient une véritable chance d’aboutir à une paix juste et durable, il faut en reconsidérer le périmètre et les référents. Le périmètre, en faisant en sorte que la communauté internationale y soit impliquée ; les référents, en réaffirmant que toute solution devra être fondée sur le respect du droit international. Sans cet indispensable renversement de perspectives, la force, par définition brutale et arbitraire, continuera à s’imposer comme on le voit en ce moment même à Gaza où, une fois encore, des affrontements meurtriers font de nombreuses victimes. La force sans le droit ne peut conduire qu’à de nouvelles tragédies et rendre encore plus insoluble un règlement du conflit.

L’admission de la Palestine à l’ONU comme Etat observateur pourrait être une première étape majeure de cet indispensable rappel au droit. Cette demande, parfaitement légitime, devrait donc être soutenue par tous les Etats soucieux de défendre les principes fondamentaux du droit des relations internationales.

A commencer par la France.

Dans Libération,
Novembre 2012

Jean-Paul Chagnollaud
Professeur des universités,
Directeur de l’iReMMO

8 réponses

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