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Soudan : une crise affectant les enfants (1/2)

I. Genèse du conflit au Soudan ayant éclaté en 2023

Le conflit actuel au Soudan a débuté le 15 avril 2023 par une lutte de pouvoir entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR) [1]. La violence a d’abord éclaté dans la capitale, Khartoum, puis s’est rapidement étendue au Darfour, au Kordofan du Nord et à l’État de Gezira [2].  

La crise actuelle trouve son origine dans le coup d’État militaire de 2021, au cours duquel l’armée soudanaise a pris le contrôle du gouvernement. Le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des Forces armées soudanaises, est devenu le dirigeant de facto du pays, le général Mohamed Hamdan Dagalo (« Hemeti »), chef des Forces d’appui rapide, étant son adjoint. Des désaccords sont apparus au sujet de la transition du pays vers un régime civil, notamment en ce qui concerne l’intégration proposée des FAR dans l’armée nationale et la question de savoir qui dirigerait la force unifiée. Aucune des deux parties ne semblait disposée à abandonner le pouvoir, et ces différends ont dégénéré en conflit armé [3].

Ces violences ont eu de graves répercussions sur les civils. Les civils ont subi des violences sexuelles généralisées, des bombardements aériens aveugles (y compris des attaques contre des écoles et des hôpitaux) et la famine. Les Nations unies ont prévenu que le Soudan était sur le point de connaître la pire crise de la faim au monde [4]. Selon le Programme alimentaire mondial, plus de la moitié de la population – 25,6 millions de personnes – est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë, ce qui fait de ce pays le plus grand nombre de cas de malnutrition en Afrique de l’Est. 

Le Darfour, en particulier, est confronté à un grave risque de génocide, des rapports faisant état de violences à caractère ethnique à l’encontre du peuple Masalit [5].

II. Violations à l'encontre des enfants

Le conflit au Soudan a eu des effets dévastateurs sur les enfants, qui comptent parmi les victimes les plus vulnérables. L’UNICEF rapporte que les violations des droits de l’enfant dans le pays ont atteint leur niveau le plus élevé depuis plus d’une décennie. Des enfants ont été enrôlés de force dans des groupes armés, tués, blessés et enlevés. Nombre d’entre eux ont subi des déplacements forcés, des détentions avec des adultes, des tortures et des violences sexuelles. Ils ont également été privés de services de base tels que les soins de santé et l’éducation. La violence a laissé d’innombrables enfants traumatisés, ayant été témoins du meurtre ou de l’abus de membres de leur famille, d’amis ou de voisins. D’autres ont été séparés de leur famille ou abandonnés, y compris des enfants nés d’un viol [6].

Les violations en cours ont exposé 24 millions d’enfants soudanais au risque d’une catastrophe générationnelle ; parmi eux, 14 millions ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence [7]. Sur les quelque 10,7 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, 52 % ont moins de 18 ans et 26 % ont moins de cinq ans. Selon l’UNICEF, le Soudan est ainsi devenu le théâtre de la plus grande crise de déplacement d’enfants au monde [8].

i. L'éducation

L’éducation a également énormément souffert, les écoles restant fermées dans la majeure partie du pays pour la deuxième année consécutive. En conséquence, près de 18 millions d’enfants [9] ne sont pas scolarisés, ce qui fait du conflit soudanais l’une des crises éducatives les plus graves au monde [10]. Le système éducatif est en ruine, les écoles ayant été détruites ou réaffectées ; au moins 170 campus servent aujourd’hui d’abris d’urgence pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Non seulement les enfants sont privés de leur droit à l’éducation, mais ils sont également exposés à des risques accrus d’exploitation sexuelle et de trafic, ce qui compromet leur avenir pour les années à venir [11].

Ces enfants sont confrontés à des conditions désastreuses, avec de graves pénuries de nourriture et d’eau potable. L’UNICEF signale que 3,7 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, dont 730 000 de malnutrition aiguë sévère [12].

ii. Le recrutement

Le recrutement d’enfants soldats continue d’être un fléau au Soudan, en raison de la pauvreté généralisée, du manque d’éducation, des ressources limitées et des déplacements de population provoqués par des décennies de conflit. L’utilisation d’enfants dans des groupes armés a une longue et troublante histoire au Soudan, qui remonte à l’ère Al Bashir, lorsque les enfants soldats étaient désignés sous le nom d' »Armée de Jana ». Lors du conflit de 2003 au Darfour, des groupes armés tels que les Janjawids, le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et L’Armée de libération du Soudan (ALS) ont été documentés comme recrutant des enfants dès 2005. Les Janjawids, qui se sont ensuite transformés en RSF, auraient recruté des garçons mineurs pour combattre au Yémen en 2016 et 2017. Les incitations financières ont souvent conduit les familles à encourager leurs enfants à rejoindre ces groupes armés, perpétuant ainsi cette pratique d’exploitation [13]

Dans le conflit actuel, il a été prouvé que les forces de sécurité soudanaises et les forces armées soudanaises recrutaient des personnes de moins de 18 ans, bien que cette pratique soit explicitement interdite par le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme et de nombreux traités internationaux auxquels le Soudan est partie. Même la législation nationale du Soudan interdit cette pratique. Les preuves étayant ces allégations comprennent des vidéos, des témoignages et des enquêtes menées par le rapport annuel du Secrétaire général des Nations unies sur les enfants et les conflits armés, ainsi que par la mission d’établissement des faits elle-même [14]. Selon le Secrétaire général des Nations unies, sur 209 incidents vérifiés de recrutement d’enfants au Soudan en 2023, près de 80 % étaient liés au FAR et au Tamazuj (un groupe rebelle revendiqué basé au Darfour et au Kordofan, officiellement allié au FSR depuis août 2023) [15].

iii. Nombre de décès

L’impact dévastateur du conflit soudanais sur les enfants va au-delà des déplacements, des privations et du recrutement dans les groupes armés. La violence a également coûté la vie à d’innombrables jeunes, souvent dans des circonstances pénibles ; dans presque tous les cas de dommages civils documentés par la Mission d’établissement des faits, des enfants figuraient parmi les victimes [16]. Entre août 2023 et début 2024, des frappes aériennes ont tué au moins deux enfants à leur domicile et en ont blessé beaucoup d’autres [17]. En juin 2024, une attaque de la FAR a tué 35 enfants et en a blessé de nombreux autres [18]. Quelques mois plus tard, en septembre, de multiples obus ont frappé la ville de Sennar, tuant des dizaines de personnes, dont de nombreux enfants. Cette violence aveugle n’a épargné aucun sanctuaire ; les écoles et les mosquées ont également été prises pour cible. Les frappes aériennes sur les écoles ont fait de nombreuses victimes parmi les enfants [19], tandis que les Forces d’appui rapide auraient bombardé une mosquée, tuant plusieurs personnes, dont la plupart étaient des enfants [20]

En plus de ces atrocités, les Nations Unies ont lancé un cri d’alarme sur la vulnérabilité accrue des femmes, des enfants, des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays face à l’enlèvement et à l’esclavage. En avril 2024, l’Initiative soudanaise pour les personnes disparues faisait état de 990 personnes disparues et considérées comme ayant disparu de force depuis le début du conflit, dont 95 femmes et au moins 50 enfants [21]

Au-delà des victimes directes de la guerre, de nombreux autres enfants sont morts de maladies évitables, le système de santé s’étant effondré sous le poids du conflit. Les milices ont attaqué, pillé et détruit de nombreux hôpitaux, coupant l’accès aux services médicaux essentiels. Des maladies traitables comme la diarrhée et la rougeole sont devenues mortelles parce que les fournitures médicales vitales n’étaient plus disponibles [22]. Aujourd’hui, les deux tiers de la population soudanaise n’ont pas accès aux services de santé, car environ 70 à 80 % des hôpitaux ne sont pas opérationnels. L’UNICEF a prévenu que des dizaines de milliers d’enfants risquaient de mourir en l’absence d’une intervention internationale immédiate et d’un meilleur accès aux ressources [23].

iv. Santé mentale et rétablissement après un traumatisme

Les enfants soudanais souffrent de graves traumatismes psychologiques. La guerre en cours les a exposés à des niveaux de stress extrêmes, nombre d’entre eux ayant assisté à la mort de membres de leur famille, ayant été déplacés ou ayant survécu à des attaques directes. La destruction des écoles et des infrastructures communautaires les a encore plus isolés, les privant de tout sentiment de normalité [24].

Les services de santé mentale au Soudan étant déjà rares avant le conflit [25], maintenant, avec l’effondrement des hôpitaux et le déplacement des professionnels de la santé, ils sont presque inexistants à l’heure actuelle. L’UNICEF a mis en place des espaces amis des enfants dans tout le Soudan, où les enfants peuvent bénéficier d’un soutien psychosocial de la part de conseillers qualifiés. Ces espaces sont essentiels pour aider les enfants à retrouver un semblant de routine et à surmonter leurs traumatismes [26]. Cependant, avec des millions d’enfants dans le besoin, la demande de soutien en matière de santé mentale dépasse largement les ressources disponibles, laissant de nombreux enfants sans les soins dont ils ont besoin de toute urgence. Les conséquences à long terme d’un traumatisme non traité chez les enfants sont notamment une augmentation des taux de dépression, d’anxiété et de stress post-traumatique. Sans intervention, une génération entière risque de subir des dommages psychologiques tout au long de sa vie, affectant à la fois son développement personnel et la stabilité future du pays [27].

Notes

1 Les FAR, force paramilitaire indépendante, a été créée à l’origine par l’ancien président soudanais Omar al-Bashir pour réprimer les soulèvements au Darfour. Elle a servi de force auxiliaire au gouvernement soudanais. Cependant, après le départ de Bashir du pouvoir, le Soudan s’est engagé dans des réformes gouvernementales qui ont eu un impact indirect sur la FAS et les FAR. Ces changements ont aggravé les tensions existantes, qui ont finalement abouti à un conflit ouvert en avril 2023 ; Amnesty International. (non daté). Destruction et violence
au Soudan. Amnesty International. Consulté le 09/04/2025 à https://www.amnesty.org/fr/projects/sudan-conflict/
2 Ibid.
3 Ochieng, B., et Chibelushi, W. (13 juin 2024). Sudan war: A simple guide to what is happening. BBC. Consulté le 22 Janvier 2025 en anglais à https://www.bbc.com/news/worldafrica-59035053.
4 Ibid.
5 Amnesty International. Destruction et violence au Soudan. op. cit.

6 UNICEF. 30 juillet 2024. Humanitarian Situation Report No. 20. Disponible en anglais à : https://www.unicef.org/documents/sudan-humanitarian-situation-report-mid-year-2024
7 Communiqué de presse. Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). 18 mars 2024. Sudan conflict: 24 million children exposed to a year of brutality and rights violations, UN committee says. Disponible en anglais à : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/03/sudan-conflict-24-million-children-exposed-year-brutality-and-rights
8 Ibid.
9 D’autres rapports suggèrent que le nombre d’enfants déscolarisés est proche de 19 millions, et que cela pourrait encore augmenter depuis la publication de ces données ; Communiqué de presse. HCDH. op. cit. ; UNICEF. Humanitarian Situation Report No. 20. op. cit. ; Marwa Galaleldin/Global Campus Arab World’s web series on “Children in Wartime”, “Child Protection in Wartime Sudan”, 20 janvier 2025.
10 HCDH. 23 Octobre 2024. Findings of the investigations conducted by the Independent International Fact-Finding Mission for the Sudan into violations of international human rights law and international humanitarian law, and related crimes, committed in the Sudan in the context of the conflict that erupted in mid-April 2023. A/HRC/57/CRP.6. §216. Disponible en anglais à : https://www.ohchr.org/sites/default/filesdocuments/hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session57/A-HRC-57-CRP-6-en.pdf
11 Communiqué de presse. HCDH. op. cit. 
12 Communiqué de presse. HCDH. op. cit.

13 A/HRC/57/CRP.6, § 121.
14 A/HRC/57/CRP.6, §218-226.
15 A/HRC/57/CRP.6, §229.
16 A/HRC/57/CRP.6, §233.
17 A/HRC/57/CRP.6, §128 et 129.
18 A/HRC/57/CRP.6, §135.
19 A/HRC/57/CRP.6, §136.
20 A/HRC/57/CRP.6, §137.21

21 HCDH. 4 mars 2024. Rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Haut-Commissariat et du Secrétaire général : Situation des droits de l’homme au Soudan. A/HRC/55/29. Disponible à : https://digitallibrary.un.org/record/4045183/
22 A/HRC/57/CRP.6. §237-239.
23 Communiqué de presse. HCDH. op. cit. 
24 Proscovia Nakibuuka Mbonye. 14 nomvembre 2024. “From bubbly to withdrawn. How war and displacement changed four-year-old Walaa”. UNICEF. Disponible en anglais à : https://www.unicef.org/sudan/stories/bubbly-withdrawn
25 Abdalhai, K.A., Mokitimi, S. & de Vries, P.J. Child and adolescent mental health services in Khartoum State, Sudan: a desktop situational analysis. Child Adolesc Psychiatry Ment Health 18, 21 (2024). https://doi.org/10.1186/s13034-024-00707-1 (en anglais).
26 Proscovia Nakibuuka Mbonye, “From bubbly to withdrawn” op. cit.
27 Bürgin D, Anagnostopoulos D; Board and Policy Division of ESCAP; Vitiello B, Sukale T, Schmid M, Fegert JM. Impact of war and forced displacement on children's mental health-multilevel, needs-oriented, and trauma-informed approaches. Eur Child Adolesc Psychiatry. 2022 Jun;31(6):845-853. doi: 10.1007/s00787-022-01974-z. PMID: 35286450; PMCID: PMC9209349. (en anglais).

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