Monsieur le président de la République. L’Assemblée générale des Nations unies va se prononcer jeudi sur un projet de résolution permettant à la Palestine d’obtenir le statut d’Etat observateur. En choisissant cette option, les Palestiniens ne refusent pas la reprise des négociations que vous appelez de vos vœux. Alors qu’ils ont prouvé depuis dix-huit ans qu’ils veulent négocier et qu’ils sont prêts à recommencer vite, ils souhaitent avant tout s’abstraire des conditions du processus d’Oslo, qui ont surtout permis à Israël de renforcer son emprise sur le territoire de leur futur Etat. Il s’agit certes de négocier mais cette fois dans le cadre des principes du droit international. Leur reconnaissance en tant qu’Etat par l’ONU leur permettra de replacer le droit international au centre des discussions. Sans ce préalable, les négociations qui reprendraient auront le même destin que les précédentes : le renforcement de la position d’Israël, puissance militaire occupante au détriment de la population de Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) et de Gaza, et surtout une menace pour la paix comme le prouvent les tragiques événements actuels.
Il est souvent renvoyé aux Palestiniens qu’en se lançant dans cette opération de reconnaissance ils entreprennent une initiative unilatérale. Leur démarche n’est pas plus unilatérale que la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948. Elle n’est pas plus unilatérale que bien des faits accomplis réalisés par Israël depuis 1967 : l’annexion de Jérusalem-Est, la création de colonies qui occupent maintenant 43% des terres cultivables de Cisjordanie, les destructions de maisons, la spoliation de l’eau, l’arrachage massif des oliviers et des arbres fruitiers, les entraves quotidiennes à la circulation.
Oui, les Palestiniens ont pris cette décision parce que la situation sur le terrain s’est dégradée du fait d’une occupation qui continue d’opprimer tout un peuple et d’un processus de colonisation qui réduit chaque jour les possibilités de voir se créer un Etat palestinien viable, tant son territoire est fragmenté par des colonies installées partout en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Enfin, de la part des Palestiniens, aller devant les Nations unies, organisation universelle garante de la paix et de la sécurité internationale, c’est agir en vertu des principes de droit que la Cour internationale de justice a rappelé dans son avis du 9 juillet 2004, à propos de la construction du mur de séparation, et dont elle a constaté, dans le même avis, qu’ils sont constamment et lourdement violés. La Cour a également rappelé que tous les Etats membres ont le devoir de favoriser la réalisation du droit des Palestiniens à un Etat (avis du 9 juillet 2004). Aussi, voter en faveur de la reconnaissance de la Palestine comme Etat observateur est tout simplement se conformer au droit.
Porteuse de valeurs de liberté et de justice, la France peut être un leader dans cette reconnaissance de la primauté du droit international. Compte tenu du fait que 132 Etats ont déjà reconnu l’Etat de Palestine, il ne fait guère de doute que la demande palestinienne sera adoptée par une majorité de l’Assemblée générale des Nations unies. Le soutien de la France à cette initiative est attendu partout dans le monde et pas juste dans le sud de la Méditerranée, comme l’ont montré les réactions positives au lendemain du vote favorable de la France à l’admission de la Palestine à l’Unesco le 31 octobre 2011. Le oui de Paris serait aussi un signe positif fort envoyé à tous les peuples arabes qui se battent pour leur liberté. Les positions de la diplomatie française en sortiraient renforcées dans l’ensemble du monde méditerranéen et, bien au-delà, en Afrique, en Amérique latine, en Asie et au cœur même de l’Union européenne.
Le vote favorable à l’admission de la Palestine comme Etat non-membre à l’ONU correspond à la conviction d’une très grande majorité de l’opinion publique française comme en témoigne le fait que 81 sénateurs socialistes (sur 95 à l’époque) et 183 députés socialistes (sur 199) ont soutenu, les uns le 7 juin, les autres le 4 octobre 2011, une proposition de résolution sur la reconnaissance de l’Etat palestinien. Vous-même, la plupart des ministres du gouvernement, les présidents socialistes du Parlement en avez été signataires. Et le bureau national du PS a même rendu publique une déclaration en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien le 14 juin 2011, dans le droit fil de la proposition 59 de votre programme présidentiel.
Nous vous faisons confiance, monsieur le président de la République française, pour être à la pointe de l’engagement, parmi les peuples de l’UE, afin qu’une injustice vieille de soixante-quatre ans, aggravée par quarante-cinq ans d’occupation et de colonisation de la Cisjordanie ainsi que par le blocus de Gaza, trouve une juste réparation, par la négociation, sous l’égide du droit international comme les Palestiniens le demandent.
(1) Signataires :
Paul Balta, écrivain et journaliste ; Karine Bennafla, chercheuse ; Robert Bistolfi, chercheur ; Pierre Blanc, chercheur ; André Bourgey, ex-directeur de l’Inalco ; François Burgat, politologue ; Monique Cerisier Ben Guiga, sénatrice honoraire ; Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités ; Vincent Colin, metteur en scène ; Ghassan El Ezzi, professeur de sciences politiques à l’Université libanaise ; Jean-Pierre Faugère, professeur des universités ; Chloé Fraisse-Bonnaud, secrétaire générale de l’Iremmo ; Roger Heacock, professeur d’histoire à l’université de Bir Zeit ; Bernard Hourcade, chercheur au CNRS ; Salam Kawakibi, chercheur à l’Arab Reform Initiative ; Pierre Lafrance, ambassadeur de France ; Sylvie Malhanche, professeure d’économie ; Ivan Martin, chercheur à l’Instituto Complutense de Estudios Internacionales Madrid ; Gilbert Meynier et Bruno Péquignot, professeurs de sociologie ; Géraud de la Pradelle, juriste ; Bernard Ravenel, historien ; Xavier Richet, professeur d’économie Sorbonne nouvelle ; Claudine Rulleau-Balta, écrivaine et journaliste ; Shlomo Sand, professeur d’histoire à l’université de Tel Aviv ; Dominique Vidal, historien ; Sylviane de Wangen, dirigeante associative ; Catherine Withol de Wenden, directrice de recherche au CNRS ; Faouzia Zouari, écrivain.
Dans Libération,
Novembre 2012