L’Etat hébreu doit admettre le droit international et reconnaître que les territoires conquis par la force doivent être rendus. Cela reste un préalable aux discussions pour trouver une solution au conflit.
La Conférence de Paris, une première étape vers la relance de la négociation sur le conflit israélo-palestinien ? Beaucoup dépendra de la capacité du nouveau processus à préparer et à encadrer la deuxième étape, à laquelle devraient participer les Palestiniens et les Israéliens, s’ils reviennent sur leur refus. L’expérience le montre : pour l’initiative française, nombreux sont les risques d’échec. Le premier réside dans le renvoi à plus tard du débat sur les dossiers de fond qui conditionnent la naissance d’un Etat palestinien : les frontières, la capitale, les colonies, les réfugiés et les richesses naturelles. Le deuxième serait de ne pas fonder ce débat sur le droit international tel que le définissent les résolutions des Nations unies. Le troisième découlerait de l’absence d’un organisme de contrôle – et, le cas échéant, de sanction – de l’application des accords éventuels.
La question, centrale, de la colonisation éclaire cette problématique. Comment ne pas tirer les leçons de l’«oubli» des négociateurs de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui n’exigèrent pas l’inclusion dans la «déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d’ »autogouvernement »», de septembre 1993, d’une clause interdisant tout développement des implantations israéliennes dans les Territoires occupés ? Depuis, en vingt-trois ans, le nombre de colons juifs est passé de 120 000 à 450 000 en Cisjordanie et de 160 000 à 200 000 à Jérusalem-Est.
La construction par Israël en Cisjordanie d’un mur et d’une barrière de près de 700 km qui annexent de fait au territoire israélien les principaux «blocs» de colonisation, c’est-à-dire la majeure partie de la population israélienne des Territoires palestiniens occupés, aggrave les effets délétères de la colonisation. Car elle impose sur le terrain une frontière arbitrairement tracée. Et ce fait accompli topographique déchire le tissu économique, social, culturel de la société palestinienne et mine toute possibilité de négociation…
Or, le droit international considère la colonisation comme illégale. Avec sa résolution 242, le Conseil de sécurité de l’ONU a défini, le 22 novembre 1967, plusieurs principes pour un règlement pacifique du conflit, à commencer par le retrait israélien des territoires arabes occupés pendant la guerre des Six Jours. Et, dans ce texte fondamental, l’affirmation du caractère inadmissible de l’acquisition de territoires par la force l’emporte sur l’ambiguïté, bien connue, entre les versions française et anglaise sur le retrait «des» ou «de» territoires occupés…
Israël a d’ailleurs, à plusieurs reprises dans le passé, officiellement reconnu l’application des normes du droit international dans les territoires qu’elle occupe. Quant à la Cour suprême d’Israël, si elle n’a pas pris position sur l’applicabilité de la IVe Convention de Genève de 1949, elle l’a régulièrement invoquée considérant donc qu’il s’agit bien de territoires occupés, avec tout ce que cela implique.
Nombreuses sont les résolutions du Conseil de sécurité statuant dans le même sens, notamment la résolution 446 du 22 mars 1979 concernant la Cisjordanie et la résolution 1860 du 8 janvier 2009 concernant la bande de Gaza, toujours considérée comme territoire occupé malgré le retrait israélien de 2005. Concernant Jérusalem, il faut rappeler que le plan de partage de l’ONU du 29 novembre 1947 faisait de la ville et de ses environs un «corpus separatum sous régime international spécial».C’est donc logiquement que le Conseil de sécurité a condamné les décisions unilatérales successives de la Knesset : en 1953 celle faisant de Jérusalem la capitale du jeune Etat ; en juillet 1967, le vote déclarant la ville «réunifiée capitale éternelle d’Israël» ; en 1980, la loi fondamentale proclamant «Jérusalem entière et réunifiée […] capitale de l’Etat d’Israël» (1). La meilleure preuve de l’unanimité de la communauté internationale sur cette question : Jérusalem n’accueille plus aucune ambassade, elles se trouvent toutes à Tel-Aviv…
Autre organisme international important : la Cour internationale de justice de La Haye. Appelée en 2004 à statuer sur la construction du mur, elle qualifie, dans son avis, la Cisjordanie et Jérusalem-Est de «territoire occupé» sur lequel le mur empiète illégalement. Il faut citer aussi la Cour de justice de l’Union européenne qui, le 25 février 2010, dans l’affaire Brita, affirme que l’accord d’association avec Israël est inapplicable aux produits provenant des territoires occupés palestiniens. Enfin, la Commission européenne, dans un «avis interprétatif» sur l’origine des produits en provenance des Territoires occupés en date du 11 novembre 2015, confirme l’exigence contenue dans ses «lignes directrices» en vigueur depuis janvier 2014 : les produits des colonies doivent faire l’objet d’un étiquetage spécifique avec indication d’origine.
Dès lors que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza constituent des territoires occupés, la IVe Convention de Genève et notamment son article 49 s’appliquent : ils interdisent notamment toute implantation par la puissance occupante de ses ressortissants. Quant au statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), il qualifie même cette démarche de «crime de guerre» dans son article 8-2-a – applicable puisque l’Etat de Palestine est membre de la CPI depuis le 1er avril 2015 et peut déposer plainte pour des faits remontant jusqu’au 13 juin 2014. Dans ces conditions, toute installation de colons est un crime de guerre relevant non seulement de la compétence de la CPI, mais encore de celle de tribunaux nationaux, la compétence de la CPI n’étant que subsidiaire.
Un dernier point souligne le caractère central de la question de la colonisation : c’est l’évolution de la composition du gouvernement israélien. On a noté, à juste titre, que celui-ci avait connu une nette radicalisation. Les coalitions entre la droite et le centre ont cédé la place à des équipes unissant la droite et l’extrême droite. Mais ce déplacement du centre de gravité de l’exécutif, particulièrement sensible depuis les élections législatives du 17 mars 2015 et plus encore récemment avec la nomination d’Avigdor Lieberman comme ministre de la Défense, signifie aussi que les colons sont plus que jamais au pouvoir en Israël. L’actuel gouvernement est leur gouvernement. Si elle veut agir efficacement, la communauté internationale doit en tenir le plus grand compte.
(1) Voir notamment les résolutions 252 du 21 mai 1967 ; 476 du 30 juin 1980 ; 478 du 20 août 1980.
Jean-Paul Chagnollaud, René Backmann, Géraud de la Pradelle et Dominique Vidal
Membres du bureau de l’iReMMO (Institut de Recherche et d’études Méditerranée / Moyen-Orient).
Dans Libération,
Juin 2016